L'oncologue russe Andreï Kaprine évoque dans un entretien à Sputnik de nouvelles méthodes de traitement et des acquis de l'oncologie.
Dispose-t-on déjà des statistiques sur le nombre de nouveaux cas de cancer chez les Russes en 2018?
Globalement, l'incidence du cancer en Russie a augmenté de près de 14% en dix ans. Cela s'explique notamment par l'augmentation de la durée de la vie car le cancer est, en principe, une maladie qui touche les personnes âgées. Qui plus est, le travail des services oncologiques — notamment en matière de diagnostic — s'est considérablement amélioré depuis quelques années, ce qui facilite la détection des maladies, notamment des formes différentes de cancer. Si la détection des premiers stades du cancer était de 50% en 2012, on a atteint près de 56% en 2017. Ces chiffres ne semblent probablement pas très impressionnants, mais ils correspondent à des milliers de malades qu'on peut encore sauver.
Parmi les tendances positives, on peut notamment citer l'augmentation du nombre de malades chez qui on détecte le cancer parallèlement à une autre maladie. Par exemple, un patient vient consulter un médecin à cause d'une toux, on l'examine et on trouve une tumeur. Les services diagnostiques ont lancé un rééquipement technique considérable. Ainsi, le nombre de ces patients se chiffrait à 15% il y a cinq ans et a atteint plus de 25% actuellement. Dans la plupart des cas, on détecte ces maladies à leur stade initial».
«La mortalité du cancer au cours de la première année après le diagnostic a déjà diminué de 26% à 22% depuis 5 ans. En même temps, le nombre des patients qui s'adressent aux médecins au stade 4 reste toujours très élevé — environ 20% — malgré une diminution de 1%.
C'est pourquoi il faut encourager partout la vigilance chez les médecins et la population. Il est nécessaire d'inculquer aux citoyens une attitude responsable envers leur santé et de les persuader de consulter en cas de tout soupçon de maladie, au lieu de retarder l'examen jusqu'au moment où il sera déjà trop compliqué voire impossible de les soigner».
Quel est l'âge le plus fréquent d'apparition du cancer et quel est son type le plus répandu?
«Comme je l'ai déjà dit, c'est une maladie qui touche principalement les personnes âgées. Ainsi, l'incidence la plus élevée chez les hommes et chez les femmes est enregistrée entre 70 et 79 ans. Chez les hommes, le cancer affecte le plus souvent les poumons — environ 17% des cas — alors que chez les femmes il s'agit principalement du cancer du sein — un peu plus de 20% des cas. L'incidence du cancer du poumon a légèrement diminué après la mise en œuvre active de la campagne anti-tabac».
Qu'est-ce qui a changé dans le traitement des maladies cancéreuses? Quelles nouvelles méthodes a-t-on créé ces dernier temps?
«Le traitement du cancer est devenu plus agressif, mais suscite en même temps des réactions toxiques moins graves. La chirurgie développe activement des méthodes efficaces de chirurgie électronique permettant d'arrêter l'hémorragie des vaisseaux difficilement accessibles. Qui plus est, nous utilisons désormais plus souvent des méthodes chirurgicales de reconstruction et de conservation des organes, qui sont désormais plus demandées en raison de la détection plus rapide du cancer. Par le passé, cela n'était pas si important car l'espérance de vie était moins importante. Aujourd'hui, il est nécessaire non seulement de sauver la vie d'une personne, mais également de réduire le taux de handicap, de lui permettre de reprendre une vie normale.
Il existe également des méthodes utilisées seulement en Russie, seulement dans notre clinique, telles que la chimio-hyperthermie intra-péritonéale (CHIP) qui implique la dispersion de substances chimiques à haute pression. Cette méthode est utilisée par exemple en cas de dissémination des métastases dans l'abdomen. Ces patients étaient incurables par le passé, mais nous leur offrons aujourd'hui un traitement. Nous perfectionnons actuellement ces méthodes afin de les répandre dans différentes régions du pays.
Il faut également souligner l'intérêt des recherches concernant les préparatifs du patient au traitement chirurgical à l'aide d'une chimiothérapie endovasculaire supersélective. Les cardiologues utilisent depuis longtemps l'angiographie pour élargir un vaisseau. Aujourd'hui, les centres oncologiques se servent de ces appareils pour — au contraire — diminuer le diamètre des vaisseaux ou les fermer afin d'arrêter l'afflux sanguin vers la tumeur. Qui plus est, cette méthode permet l'introduction ciblée d'une substance chimiothérapeutique pour en arroser la tumeur par transportation endovasculaire.
C'est pour cette méthode que nous élaborons actuellement une substance sur la base de l'yttrium. Ce médicament est très efficace dans le traitement du cancer du foie. Les Australiens produisent déjà cette substance, mais nous créons la nôtre en parallèle.
L'immunothérapie nous a permis de progresser considérablement dans le traitement du mélanome. Par le passé, tout s'arrêtait au deuxième ou au troisième cycle de traitement, alors qu'aujourd'hui on peut le poursuivre efficacement à l'aide de l'immunothérapie».
«Oui, plusieurs centres de recherches mènent actuellement un travail dans ce domaine. Il s'agit d'une méthode très coûteuse, mais nous en disposerons en Russie. Nous avons participé à l'élaboration d'un vaccin contre le cancer du rein. La vaccination oncologique fera partie de la liste des mesures de lutte contre les maladies cancéreuses».
La Russie est-elle en retard dans le traitement du cancer par rapport aux pays occidentaux?
«Nous ne sommes pas en retard dans le traitement du cancer. Nous ne sommes en aucune façon en retard en ce qui concerne le savoir-faire chirurgical, car l'école russe de chirurgie est très bonne. Il n'existe non plus aucun manque de substances chimiothérapeutiques, car l'État offre son soutien à leur acquisition.
Par contre, nous sommes en retard du point de vue des cadres et de la production de nos propres médicaments et équipements de précision. Notre pays avait grandement contribué au développement de la science dans ce domaine dans les années 1960-1970, mais les années 1990 ont repoussé certains programmes de plusieurs dizaines d'années. Aujourd'hui, nous tentons de rattraper ce retard. Il faut souligner un autre élément important: nous accordons toujours trop peu d'attention à la bonne publicité, aux services et à l'encouragement du tourisme médical.
Par ailleurs, les cliniques étrangères ne publient que très rarement leurs données sur la mortalité et les complications car elles comprennent que cela affecte le marketing de manière négative».
Il existe en Russie un programme fédéral de lutte contre le cancer, dans le cadre duquel le ministère de la Santé envisage d'organiser un réseau de centres oncologiques ambulatoires dans toutes les régions du pays. De quoi s'agit-il exactement?
«Nous disposons toujours d'un grand nombre de centres et de cliniques bien équipés en région, munis d'appareils modernes tels que des scanners radiologiques, des tomographes à résonance magnétique, ainsi que des appareils numériques modernes d'échographie et de mammographie. Ces centres étaient initialement destinés au diagnostic et au traitement des patients affectés par des maladies bénignes.
Nous utiliserons désormais les capacités de ces établissements médicaux pour préciser le diagnostic des patients oncologiques. Par exemple, s'il existe des soupçons de cancer du sein, la patiente doit passer certains tests pour accéder à un traitement spécialisé. Afin de ne pas surcharger les cliniques oncologiques, nous utiliserons des établissements de traitement et de prévision dûment équipés pour mener ce diagnostic. Les patients pourront ainsi obtenir rapidement des informations sur leur santé et un traitement ciblé».
Ce projet fédéral prévoit également une campagne d'information et d'éducation. Est-elle nécessaire en Russie? Que pensez-vous des connaissances de la population en matière de maladies cancéreuses?
Aujourd'hui on parle beaucoup de l'oncologie, mais sera-t-il un jour possible de vaincre le cancer?
«Pour le moment, la médecine moderne ne tente pas d'éradiquer le cancer — comme cela a été le cas avec la variole ou le choléra — mais de le rendre contrôlable, de le transformer en maladie chronique avec une période longue de rémission. Ainsi, le contrôle médical a permis de détecter les premiers stades du cancer du sein dans 70% des cas, alors qu'une durée de vie de 5 ans en cas de détection lors du premier stade du cancer est enregistrée chez 90% des patients. Il faut obtenir des résultats similaires pour tous les types de cancer».