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De quoi le RIC est-il le nom?

© AFP 2024 FRANCOIS LO PRESTI / AFPDes Gilets jaunes
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La crise de la représentativité politique est aujourd’hui flagrante. Elle se traduit par une participation de plus en plus faible lors des élections et dans le mouvement des Gilets jaunes elle a pris la forme d’une contestation radicale des élites politiques.

Elle conduit à faire émerger tant le Référendum d'Initiative Citoyenne que l'exigence d'une forte dose de proportionnelle dans le système électoral français comme des revendications majeures du mouvement des Gilets jaunes. Il est donc important que ces mesures soient introduites le plus vite possible. Mais, il faut faire attention à ne pas les transformer en panacée.

Crise de la représentativité, crise de la démocratie?

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La crise de représentativité se traduit par un sentiment d'aliénation des citoyens d'avec le système politique. Au lieu et en place du «bien commun» et de la «chose publique» (la Res Publica) monte une distinction entre «eux» et «nous». Le premier terme, «eux», tend à désigner les représentants du «système», vivant en extériorité avec le reste de la population, qui se reconnaît dans le «nous».

Cette représentation a plus qu'un fond de vérité. Quant cette distinction prend la forme de l'évidence (comme ce fut le cas dans les régimes de type soviétique), l'autorité n'est plus légitime et le système s'effondre. Il faut le savoir, aucune démocratie, ce fameux pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple pour reprendre la phrase d'Abraham Lincoln [1], ne peut survivre à une telle division de la société. La crise de la représentativité est donc une crise de la démocratie. Cette crise de la démocratie se manifeste aussi par des dénis de démocratie de plus en plus manifestes, comme la violation du résultat du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen de 2005. C'est pour cela qu'il faut avoir le débat sur le RIC et sur l'introduction de la proportionnelle.

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Dans le même temps il faut reconnaître que dans un système politique moderne la figure de l'homme politique professionnel se détache. La complexité des Etats modernes et celles des systèmes d'administration, tendent en effet à spécialiser l'activité politique. Cette spécialisation tient non seulement à la complexité des processus et des procédures, mais aussi à la nécessité d'y accorder une attention prioritaire. Cette spécialisation implique et nécessite des formes de délégation, de représentation, du pouvoir du peuple. Cette nécessité a aussi d'autres causes. Nous sommes contraints de vivre dans des sociétés profondément hétérogènes. Cette hétérogénéité invalide la possibilité, pour une période historique indéterminée, d'un système «simple», telle que Lénine l'avait imaginé dans l'Etat et la Révolution [2]. Dès lors se pose le problème de l'articulation entre le pouvoir du peuple et celui de ses représentants, avec les questions particulières du mandat (impératif ou pas) et du possible référendum révocatoire.

Le peuple et le législateur: la question de la souveraineté

Le référendum existe dans la constitution française. La question posée par le RIC est donc d'élargir son initiative aux citoyens. Sous cette forme, le RIC est effectivement une mise en cause, indirecte ou directe, du législateur. Mais, cette mise en cause n'est en réalité que la conséquence de la primauté de la souveraineté du peuple sur celle du législateur. Il y a une tendance dans les institutions actuelles à considérer que le législateur constituerait un «peuple juridique» qui pourrait s'opposer et contrôler le peuple politique. C'est l'une des dynamiques de l'ordre légal décrit par Max Weber [3], et une conséquence du primat de la légalité sur la légitimité [4]. Ce n'est pas nouveau.

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Ainsi, dans la Rome antique, selon Claudia Moatti, Cicéron construisit un discours dans lequel les magistrats représentaient un «peuple» juridique distinct du peuple social [5], utilisant dans De re publica la métaphore de la tutelle [6], métaphore qu'il reprendra dans De officis [7]. Le peuple est donc considéré comme le fils mineur du Sénat, dans un parallèle avec les pouvoirs du paterfamilias romain.

Qui détenait donc réellement la souveraineté? Cette question se pose aussi aujourd'hui. Mario Bretone montre que la volonté du peuple s'affirmait à travers l'élection de magistrats dès l'époque royale [8]. Cette question devient centrale dans les débats politiques du IIème siècle avant notre ère [9]. De fait, le peuple était dit maître de l'ordre du jour des assemblées populaires [10]. Le concept de la «souveraineté populaire», que certains tiennent pour «inventé» par la Révolution française, existait donc bel et bien à Rome. Le contrôle populaire sur les magistrats [11] est donc fondé. Cela tranche la question sur le RIC, qui ne doit donc pas avoir de limitations, car la souveraineté du peuple est totale ou n'existe pas. La seule limitation que l'on puisse concevoir est celle du délai entre deux RIC sur un même sujet.

Quel mode de scrutin?

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Quant à la question du mode de scrutin à la proportionnelle, elle ne se situe nullement au même niveau de principes que le RIC. Elle n'est pas pour autant négligeable. Rappelons que, de la IIIème République à la Vème République, les modes de scrutin ont fortement variés [12]. La question est celle de la logique de coalition (induite par les deux tours) qui peut fausser le résultat.

Dans un scrutin à la proportionnelle, ce sont les directions des partis qui décident de qui sera député. Et cela ne va pas sans abus, autoritarisme des uns, flagornerie des autres. La constitution des listes pour les élections européennes nous en fournit un exemple. Inversement, le scrutin d'arrondissement a été accusé historiquement de conduire à un «localisme» vidant l'élection législative de son sens [13]. De plus, le scrutin d'arrondissement soulève l'épineux problème de la définition des circonscriptions [14], avec les accusations de «charcutage électoral» qui se font jour à chaque fois que l'on veut modifier ces circonscriptions. Aucun mode de scrutin n'est parfait. La question du mode de scrutin est complexe en ceci que ce mode doit allier une bonne représentativité de l'opinion ET doit permettre de dégager des majorités. Mais aujourd'hui se dégage une majorité pour considérer que le manque de représentativité de l'Assemblée nationale est un problème majeur.

La question du vote «blanc»

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Le problème peut-être le plus directement posé est celui des effets pervers des «coalitions» induites par le système à deux tours. Ce système induit aussi un «votestratégique» où l'on vote plus «contre» que «pour». On peut aboutir, dans certains cas, à ce qu'une majorité d'électeurs ne se reconnaissent ni dans l'un ni dans l'autre des candidats. Une des revendications des Gilets jaunes, mais une revendication existant aussi depuis fort longtemps, était la reconnaissance du «vote blanc» qui se distingue de l'abstention en cela qu'il montre que l'on participe au processus mais que l'on refuse les candidats en présence. Une solution possible à ce problème, dans les cas où le système à la proportionnelle ne peut s'appliquer (comme dans celui de l'élection présidentielle) serait d'introduire un bulletin «contre tous» au deuxième tour.

Le mouvement des Gilets jaunes a permis de mettre, ou de remettre, sur le devant de la scène une série de questions qui sont toutes légitimes. Il faut comprendre que, derrière la question de la représentativité gît celle de la démocratie. C'est dire l'importance de ces questions. Le gouvernement cherche à les dissoudre dans le «grand débat» pour se contenter de doses homéopathiques de réforme. Mais, on ne pourra pas revenir en arrière. Il est donc important que l'on puisse librement discuter et proposer sur ces sujets. Très clairement, ce qui s'impose est bien une refonte considérable de notre constitution.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

[1] Lincoln A., The Gettysburg Address, 19 novembre 1863. Voir Barton, William E. Lincoln at Gettysburg: What He Intended to Say; What He Said; What he was Reported to have Said; What he Wished he had Said. New York, Peter Smith, 1950.

[2] Lénine V.I., L'État et la Révolution, édition en langues étrangères, Moscou, 1951, 132 p.

[3] Weber M., Le savant et le Politique, Paris, UGE, 1963.

[4] Primat dont les conséquences sont analysées dans Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, Cambridge University Press, Londres-New York, 2006 et Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.

[5] Moatti C., Res publica — Histoire romaine de la chose publique, Paris, Fayard, coll. Ouvertures, 2018, p. 199.

[6] Moatti C., Res Publica, op.cit., p. 237.

[7] Cicéron, Des Devoirs [De Officiis], Livre-1, Trad. M. Testard, 1.12.85.

[8] Bretone M., Technice i ideologie des giuristi romani, Naples, EDI, 1975.

[9] Bretone M., Technice i ideologie des giuristi romani, op.cit., p. 17.

[10] Astin A.E., Scipio Aemilianus, Oxford, Oxford University Press, 1967.

[11] Wiseman T.P., «The Two-Headed State. How Romans explained civil wars» in Breed B.W., Damon C. et Rossi A. (ed), Citizens of Discord: Rome and its civil wars, Oxford-New York, Oxford University Press, 2010, p. 25-44.

[12] Le Béguec, G., «La représentation proportionnelle: cent ans de controverses» in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Année 1986, n° 9 pp. 67-80

[13] On se souviendra de la formule, sous la IIIème République, lors des élections de 1910 «..du peu que pèse le plus souvent la valeur personnelle dans l'atmosphère des mares stagnantes du scrutin d'arrondissement où tout est subordonné à de mesquines ou égoïstes préoccupations », Le Temps — 25 avril 1910.

[14] Erhard T., Le découpage électoral sous la Ve République, Paris, éd. Garnier, 2017.

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