C'est la fin de quatre décennies de brouille entre le Maroc et Cuba.
«Il y a une attitude ferme de la part du Roi Hassan II à l'endroit des pays qui reconnaissent la RASD. Une attitude déjà esquissée lors du dernier sommet de l'OUA, à Monrovia, avec une menace qui vraisemblablement se traduira concrètement. Celle de sortir de l'OUA si elle reconnaît la RASD» relate, le 23 avril 1980, un article du journal espagnol El Pais intitulé: «Le Maroc rompt ses relations diplomatiques avec Cuba».
«Le soutien de Cuba au Polisario date d'une quarantaine d'années, au moins. La majorité écrasante des cadres du Polisario, dans les secteurs de la santé, de l'éducation, mais aussi leurs experts en sécurité, ou dans les politiques publiques, ont tous étudié à Cuba. Sans compter les experts cubains qui débarquaient à Alger pour aller à Tindouf [ville algérienne, QG du Polisario, ndlr], former et encadrer, aider et soutenir les gens du Polisario», souligne Achraf Tribak, directeur du Centre de recherches Hespress à Rabat, dans une déclaration à Sputnik.
Les relations historiques entre la RASD et des États socialistes comme Cuba ont été tissées à la faveur de celles, encore plus profondes, entre l'Algérie, premier allié de la RASD, et ces mêmes pays. Depuis son indépendance, acquise en 1962, et jusqu'à la fin de l'ère Boumediene (1978), Alger se voulait «la Mecque des révolutionnaires», apportant son soutien à ceux qui luttaient contre «l'oppression coloniale ou raciale». Qu'ils soient en Afrique subsaharienne ou en Amérique latine, les révolutionnaires tiers-mondistes trouvaient dans l'Algérie un allié indéfectible.
C'est au nom du même principe, celui du «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes», que l'Algérie soutient les Sahraouis, dans leur quête d'autodétermination. Les Marocains, eux, considèrent le territoire comme une partie intégrante du Royaume, avant même son rattachement officiel en 1975, au terme de la Marche verte. Tout au plus, Rabat est-il disposé à concéder l'autogouvernance. La bataille diplomatique s'enlise, au Conseil de sécurité des Nations unies.
Entre temps, le Polisario devra être isolé, économiquement et militairement, et les accusations portées par Rabat sur de présumées accointances du Polisario avec les terroristes servent bien cet objectif. Tel est le pari du Maroc, qui ne se fait pas d'illusion sur un basculement d'alliances. Tout au plus, les rapprochements avec des alliés pro-Polisario permettraient-ils de «faire bouger les lignes». D'après Achraf Tribak,
«Le Maroc essaie de limiter le soutien qu'apportera Cuba au Polisario à la seule dimension politique, qui est un degré incompressible, vu la profondeur des relations historiques entre Cuba et le Polisario. L'objectif est donc que ce soutien ne se développe pas outre mesure en empruntant —ou en continuant d'emprunter- des dimensions économique et sécuritaire. C'est donc une tentative de serrer l'étau autour du Polisario, sécuritairement et économiquement parlant», décrypte le directeur du centre de recherche Hespress.
À l'appui de cette normalisation, quelques bons projets, et de bonnes «résolutions». Le Royaume chérifien, qui espère endiguer le zèle cubain, a pavé la reprise diplomatique de très bonnes intentions. Son soutien, par exemple, à la résolution onusienne pour la levée de l'embargo économique, commercial et financier qui frappe l'État insulaire des Caraïbes depuis 1962.
«Des voix à l'intérieur du gouvernement marocain estiment, depuis un moment, que le soutien américain n'est plus aussi irréductible que par le passé. C'est pour ça que le Maroc essaie aussi, depuis un moment, de se rapprocher de pays comme la Russie et la Chine, et on a vu que ces pays étaient capables de positions plus nuancées sur la question du Sahara», relativise Achraf Tribak.
Les relations extérieures du Maroc, comme de l'Algérie ou de la RASD, restent toutefois gouvernées par des constantes presque immuables. Aussi, n'est-il pas attendu des États-Unis qu'ils apposent leur veto sur le plan d'autonomie du Sahara proposé par le Maroc, pas plus qu'il n'est possible pour Cuba de devenir le héraut de la marocanité du Sahara. Rabat parie, en revanche, sur le fait que la pression sociale grandissante et le déclin des idéaux socialistes et révolutionnaires pourront influer sur la coûteuse politique extérieure de La Havane, suppose Achraf Tribak. Au lieu de continuer à soutenir «des entités non reconnues», les Cubains pourraient estimer que cet argent leur revient de droit.