Comment le Sahara s’est invité aux retrouvailles entre le Maroc et Cuba

© Sputnik . Natalia Seliverstova / Accéder à la base multimédiaRabat
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Les retrouvailles entre Rabat et La Havane sont la une manifestation d’une nouvelle stratégie que marocaine: un «containment» du Front Polisario, destiné à le priver de tout soutien économique et militaire, quitte à s’accommoder de toutes les voix politiques qui s’exprimeront contre le Maroc dans les assemblées internationales.

C'est la fin de quatre décennies de brouille entre le Maroc et Cuba.

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Mardi 28 août, la dernière étape de la normalisation des relations entre les deux pays venait d'être franchie avec succès. L'ambassadeur, Elio Eduardo Rodríguez Perdomo, présentait une copie de ses lettres de créance à Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères. Résidence à Paris pour cette représentation diplomatique cubaine, certes, mais en termes de relations avec les Marocains, on revient de loin. La cérémonie venait surtout sanctionner des retrouvailles, après une rupture remontant à 1980: à cette époque, la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) venait d'être reconnue par le gouvernement de Fidel Castro. Une ambassade ouvrait même à La Havane.

«Il y a une attitude ferme de la part du Roi Hassan II à l'endroit des pays qui reconnaissent la RASD. Une attitude déjà esquissée lors du dernier sommet de l'OUA, à Monrovia, avec une menace qui vraisemblablement se traduira concrètement. Celle de sortir de l'OUA si elle reconnaît la RASD» relate, le 23 avril 1980, un article du journal espagnol El Pais intitulé: «Le Maroc rompt ses relations diplomatiques avec Cuba».

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Rabat finira, effectivement, par quitter l'OUA, le 12 novembre 1984, suite à l'admission de la RASD. En retrouvant sa famille africaine, en 2017 et en reprenant langue avec des soutiens traditionnels du Front Polisario, le Royaume rompt avec une politique épidermique de Hassan II. Dorénavant, c'est une logique plus pragmatique, et autrement plus subtile, qui préside à sa gestion internationale du Sahara. Un véritable «containment» à la Truman, pour limiter le raffermissement du Front Polisario. La reprise des relations avec Cuba, allié traditionnel du Front Polisario, annoncée dès 2017, s'inscrit bien dans cette logique.

«Le soutien de Cuba au Polisario date d'une quarantaine d'années, au moins. La majorité écrasante des cadres du Polisario, dans les secteurs de la santé, de l'éducation, mais aussi leurs experts en sécurité, ou dans les politiques publiques, ont tous étudié à Cuba. Sans compter les experts cubains qui débarquaient à Alger pour aller à Tindouf [ville algérienne, QG du Polisario, ndlr], former et encadrer, aider et soutenir les gens du Polisario», souligne Achraf Tribak, directeur du Centre de recherches Hespress à Rabat, dans une déclaration à Sputnik.

Les relations historiques entre la RASD et des États socialistes comme Cuba ont été tissées à la faveur de celles, encore plus profondes, entre l'Algérie, premier allié de la RASD, et ces mêmes pays. Depuis son indépendance, acquise en 1962, et jusqu'à la fin de l'ère Boumediene (1978), Alger se voulait «la Mecque des révolutionnaires», apportant son soutien à ceux qui luttaient contre «l'oppression coloniale ou raciale». Qu'ils soient en Afrique subsaharienne ou en Amérique latine, les révolutionnaires tiers-mondistes trouvaient dans l'Algérie un allié indéfectible.

C'est au nom du même principe, celui du «droit des peuples à disposer d'eux-mêmes», que l'Algérie soutient les Sahraouis, dans leur quête d'autodétermination. Les Marocains, eux, considèrent le territoire comme une partie intégrante du Royaume, avant même son rattachement officiel en 1975, au terme de la Marche verte. Tout au plus, Rabat est-il disposé à concéder l'autogouvernance. La bataille diplomatique s'enlise, au Conseil de sécurité des Nations unies.

Entre temps, le Polisario devra être isolé, économiquement et militairement, et les accusations portées par Rabat sur de présumées accointances du Polisario avec les terroristes servent bien cet objectif. Tel est le pari du Maroc, qui ne se fait pas d'illusion sur un basculement d'alliances. Tout au plus, les rapprochements avec des alliés pro-Polisario permettraient-ils de «faire bouger les lignes». D'après Achraf Tribak,

«Le Maroc essaie de limiter le soutien qu'apportera Cuba au Polisario à la seule dimension politique, qui est un degré incompressible, vu la profondeur des relations historiques entre Cuba et le Polisario. L'objectif est donc que ce soutien ne se développe pas outre mesure en empruntant —ou en continuant d'emprunter- des dimensions économique et sécuritaire. C'est donc une tentative de serrer l'étau autour du Polisario, sécuritairement et économiquement parlant», décrypte le directeur du centre de recherche Hespress.

À l'appui de cette normalisation, quelques bons projets, et de bonnes «résolutions». Le Royaume chérifien, qui espère endiguer le zèle cubain, a pavé la reprise diplomatique de très bonnes intentions. Son soutien, par exemple, à la résolution onusienne pour la levée de l'embargo économique, commercial et financier qui frappe l'État insulaire des Caraïbes depuis 1962.

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Reste à gérer le soutien politique au Polisario que cette normalisation ne pourra brider dans les assemblées internationales. Un exercice de comptabilité (de voix) diplomatique, que Rabat a appris à gérer, d'autant plus que le Royaume sait compter, de son côté, dans les arènes internationales, sur l'appui indéfectible de ses partenaires classiques, principalement la France et les États-Unis d'Amérique. Toutefois, le soutien apporté par les États-Unis au Maroc a légèrement fléchi, ces dernières années, constate Tribak, qui corrèle cet état de fait à l'influence grandissante de «groupes de pression et de lobbies pro-algériens et pro-Polisario», comme la fondation Robert-Kennedy Center for Justice and Human Rights, présidée par la militante américaine des droits de l'homme Kerry Kennedy, fille du sénateur Robert Francis Kennedy, assassiné en 1968.

«Des voix à l'intérieur du gouvernement marocain estiment, depuis un moment, que le soutien américain n'est plus aussi irréductible que par le passé. C'est pour ça que le Maroc essaie aussi, depuis un moment, de se rapprocher de pays comme la Russie et la Chine, et on a vu que ces pays étaient capables de positions plus nuancées sur la question du Sahara», relativise Achraf Tribak.

Les relations extérieures du Maroc, comme de l'Algérie ou de la RASD, restent toutefois gouvernées par des constantes presque immuables. Aussi, n'est-il pas attendu des États-Unis qu'ils apposent leur veto sur le plan d'autonomie du Sahara proposé par le Maroc, pas plus qu'il n'est possible pour Cuba de devenir le héraut de la marocanité du Sahara. Rabat parie, en revanche, sur le fait que la pression sociale grandissante et le déclin des idéaux socialistes et révolutionnaires pourront influer sur la coûteuse politique extérieure de La Havane, suppose Achraf Tribak. Au lieu de continuer à soutenir «des entités non reconnues», les Cubains pourraient estimer que cet argent leur revient de droit.

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