Élections européennes: Macron, isolé, joue la carte de la diabolisation

© REUTERS / Stephane MaheFrankreichs Präsident Emmanuel Macron (Archiv)
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«Nous vivons depuis 70 ans dans un miracle: il n’y a plus la guerre en Europe» a tweeté Emmanuel Macron. Pourtant, les prochaines échéances européennes verront s’affronter à couteaux tirés deux perceptions de l’Europe, exaltant au passage les tensions entre États membres sur fond de crise migratoire. Deux camps définis par Emmanuel Macron lui-même.

«Nous ne sommes pas prêts à payer pour cette Europe-là. Il faut le dire clairement.»

Devant les ambassadeurs réunis à Paris le 29 août, Jean-Yves le Drian adressait un avertissement aux pays qui ne respecteraient pas les «principes fondamentaux» de l'Union européenne. Dans le collimateur du chef de la diplomatie française — qui a par ailleurs vanté un couple franco-allemand «moteur de la relance européenne» — la Pologne et la Hongrie, estiment nos confrères.

«C'est une question de conception de la notion de fédération, telle que les européistes l'ont toujours défendu. Ce n'est pas une fédération décentralisée, c'est une fédération hyper-centralisée, où la tête décide et ne laisse pas beaucoup de pouvoir aux États ou aux autorités fédérées. Donc, en l'occurrence, un condominium franco-allemand déciderait à la place des autres et c'est pour cela d'ailleurs que les européistes veulent absolument une supranationalité accélérée.»

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Réagit, peu surpris, l'historien Christophe Réveillard, enseignant chercheur à l'Université de la Sorbonne et Sciences-Po. Rien d'étonnant, en somme, que Paris ne cautionne pas les politiques qui heurtent sa perception de l'Europe, à commencer par celle de ces pays du groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie).

Une sortie du ministre des Affaires étrangères, qui dans un premier temps apparaît en contradiction avec le ton adopté par le chef de l'exécutif. Deux jours plus tôt, devant les mêmes ambassadeurs, Emmanuel Macron vantait le mérite de «l'identité profonde des peuples» face à l'idée d'un peuple mondialisé.

​«Il faut bien aller dans le sens dominant, au moins sur la forme», soit une critique de la mondialisation, pour être entendu sur un message «profondément empreint de mondialisme et de supranationalité» estime Christophe Réveillard,

qui insiste sur une contradiction qui n'est «qu'apparente.» Pour l'historien, Emmanuel Macron a conscience de sa faible marge de manœuvre, contrairement à ses opposants eurosceptiques, dans cette bataille électorale pour le Parlement européen.

«Il sait très bien quelle est l'opinion dominante en France. Une opinion qui est contre l'immigration et l'aide aux migrants, et c'est d'ailleurs pourquoi il a une politique relativement timide [en la matière, ndlr.]»

Une sortie de l'hôte de l'Élysée à ne pas isoler en effet du reste de son discours, où il évoque également un «combat européen», «long» et «difficile», face à des «extrêmes» qui ont «progressé» et des «nationalismes» qui «se sont réveillés». Et «en même temps», le Président sait faire preuve d'optimisme pour l'Europe: «Nous vivons depuis 70 ans dans un miracle: il n'y a plus la guerre en Europe» a-t-il tweeté.

​Notons également qu'entre ces deux prises de paroles devant les ambassadeurs, Macron débutait le 28 août une tournée de trois jours en Scandinavie, d'où il a plaidé en faveur du «rêve européen» et fustigé les «solutions nationalistes».

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Une tournée scandinave aux accents européens, durant laquelle le Président de la République n'a pas hésité à «humilier» (dixit. Marianne) son peuple devant la reine du Danemark, ou à tacler le peuple de son pays hôte devant des étudiants de l'université de Copenhague.

Des «petites phrases» estime Christophe Reveillard qui insiste sur le contexte électoral. Comme le souligne notre intervenant, «les sondages ne sont pas bons ni pour les partis de gauche ni pour les partis européistes» d'où la nécessité pour Emmanuel Macron de lancer lui-même et le plus tôt possible cette campagne.

Point sur lequel insiste l'historien, l'absence de leader «avéré ou démontré» au sein de LREM à part Emmanuel Macron lui-même, tant pour lancer cette campagne des européennes que pour «pouvoir jouer le rôle du fusible» en cas d'échec. Une configuration propre à la formation du chef de l'exécutif français, qui s'ajoute aux enjeux d'un scrutin européen particulier.

«Les élections européennes sont un test beaucoup plus important que d'habitude, notamment en France, parce que les sujets européens ont des correspondances cette fois-ci encore plus importantes que d'habitude au niveau national: l'immigration, tout le monde la voit, tout le monde la ressent, elle est un sujet de tous les jours, elle n'est pas quelque chose que l'on renvoie à Bruxelles.»

Dans ce contexte, Emmanuel Macron, en fin stratège, adopte donc la même stratégie que pour toutes les autres élections: désigner un ennemi qu'il fustige pour son «nationalisme» et «ses discours de haine».

Si désigner deux blocs antagonistes au sein des membres de l'UE est une analyse «diplomatiquement tout à fait exacte» selon Christophe Reveillard, ce choix — en plus de déplaire à Bruxelles — ne serait pas des plus judicieux selon l'historien, qui rappelle qu'aujourd'hui, les identitaires ont le vent en poupe à travers le vieux continent.

«Il n'y a plus qu'à Sciences Po, dans certaines élites, pour considérer que le mot nationalisme est une critique, une insulte. Le nationalisme, s'il est considéré comme l'exaltation du sentiment national — comme il a toujours été considéré auparavant, est au contraire quelque chose de très bien. Chaque peuple a le droit d'exalter ses valeurs nationales, c'est quand elles deviennent impérialistes qu'évidemment ces notions sont critiquables.»

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Sommet Merkel-Macron: l’hypocrisie du couple franco-allemand dans une UE en «délitement»
Dans ce contexte d'affrontement électoral, Emmanuel Macron se réjouit d'être «l'opposant principal» de Viktor Orban et Matteo Salvini. Lors de leur rencontre à Milan, le 28 août, le Premier ministre hongrois et le vice-président du Conseil italien ont en effet désigné le Président français comme étant «à la tête des forces politiques soutenant l'immigration», soit le leader de l'un des «deux camps» en Europe.

«Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent ce discours de haine. S'ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison!» rétorquait dès le lendemain Emmanuel Macron, bravache devant des journalistes.

Pourtant, le Président de la République n'a-t-il pas lui-même contribué à façonner ce découpage manichéen? «La véritable frontière en Europe» est celle séparant «progressistes» et «nationalistes», déclarait-il mi-juillet, devant le Parlement réuni à Versailles.

«On constate que les stratégies sont radicales, où l'adversaire est clairement diabolisé. […] Ce sera sur des arguments très forts — de sauvetage, de sauvegarde de l'identité européenne — que se joueront les élections et la dégradation des relations entre les pays sera bien réelle, car ce sera sur des stratégies irréductibles, contradictoires,» constate Christophe Réveillard.

Pour autant, faire de Victor Orban sa nouvelle Marine Le Pen est-il un choix judicieux pour Emmanuel Macron? Le rapport de forces, dans ce mauvais «remake des présidentielles françaises à l'échelle européenne», n'est pas le même pour Macron estime Christophe Réveillard.

«Emmanuel Macron ne peut pas continuer à fédérer autour de lui sur une posture de matamore "je suis l'opposant principal des nationalistes", et en même temps continuer à ne pas appliquer sa politique — prononcée — qui était une politique pro-immigration.»

En effet, Viktor Orban n'est pas en quête d'obtenir le pouvoir dans son pays, il l'a déjà. Qui plus est, celui-ci jouit chez lui d'une popularité considérable, contrairement au Président français. Comme le rappelle également notre intervenant, avec près de 25% des votes exprimés, c'est le Front national qui en France l'avait emporté au dernier scrutin européen. Un score qui reflète la fracture entre le peuple du pays leader du bloc «progressiste» et sa classe dirigeante,

«Il y a une réalité chez les gouvernements nationalistes, ou populistes ou identitaires, d'une correspondance entre les gouvernants et les peuples. C'est beaucoup moins sûr dans les pays où les gouvernants sont plus ouverts à l'immigration, voire favorable à un renforcement de l'immigration par rapport à leur population et c'est ce hiatus qui va accélérer la victoire des partis, groupes et leaders eurosceptiques lors des prochaines européennes, sauf accident, et procéder à la désintégration lente, mais certaine de l'Union européenne sur ces questions.»

Un hiatus qui s'observe actuellement en Allemagne et pose ainsi un second problème au bloc «progressiste» d'Emmanuel Macron. Un problème attenant à la constitution de ces blocs antagonistes. En effet, si l'on prête comme soutiens à la France, l'Espagne — fraîchement repassée sous pavillon socialiste ou l'Allemagne d'Angela Merkel, c'est oublier la situation délicate dans laquelle cette dernière se trouve depuis les dernières élections.

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Emmanuel Macron et Sebastian Kurz, deux leaders pour une Union antinomique
Quant à l'Espagne, le pays est devenu la première porte d'entrée de l'immigration illégale en Europe, devant l'Italie et la Grèce, en recevant durant les sept premiers mois de l'année 2018 trois fois plus de migrants qu'en 2017. Un mois après avoir ouvert les bras à l'Aquarius, les autorités espagnoles viennent de renvoyer plus d'une centaine de clandestins vers le Maroc d'où ils étaient venus par la force. Il n'est donc pas dit que Madrid maintienne sa ligne pro-immigration à l'approche des élections européennes, mais aussi municipales et régionales.

Inversement, le camp «nationaliste», défini comme étant constitué par cet «axe» italo-hongrois, est minimisé. Comme le rappelle Christophe Réveillard, La Hongrie de Victor Orban peut compter sur le soutien diplomatique des trois autres membres du groupe de Višegrad (Pologne, République tchèque et Slovaquie) et il ne faut pas non plus négliger l'Autriche du jeune chancelier Kurz. Un cas autrichien sur lequel l'historien tient d'ailleurs à revenir.

«Il y a une quinzaine d'années, l'Autriche a connu le même phénomène électoral qu'aujourd'hui, c'est-à-dire une alliance entre la droite nationale et les libéraux, disons le centre-droit. Rien que pour cela, l'article 7 du Traité d'Amsterdam a été brandi contre l'Autriche, c'est-à-dire qu'on a dit à l'Autriche que ses droits allaient être suspendus et ses obligations évidemment maintenues au sein de l'Union européenne, parce que la droite avait osé passer alliance avec ce qu'on appelait l'extrême droite.»

Dernière force et non des moindres d'Orban et de Salvini, si ces dirigeants européens «n'ont absolument rien à voir l'un avec l'autre», ceux-ci s'entendront dans leur refus d'obtempérer aux injonctions de Bruxelles, notamment en matière de répartition des clandestins.

Le groupe de Višegrad, l'Autriche et l'Italie, des pays qui selon Christophe Réveillard «feraient front en cas d'application des injonctions de Bruxelles de payer» ces amendes dont ils sont régulièrement menacés, notamment dans le cas de la Pologne et la Hongrie.

Plus grave encore pour l'UE, récemment, Rome a menacé de couper son financement à Bruxelles. Un inversement de situation qui, dans le cas de ces six pays récalcitrant à la politique migratoire européenne, pourrait porter un coup dur à l'Union. Un cas de figure «concevable» estime l'historien,

«Ils possèdent l'arme nucléaire de l'éclatement de l'Union européenne. L'UE peut additionner les menaces et les injonctions concernant les amendes financières. Tant que les pays ne veulent pas payer ils ne paient pas. […] l'Union européenne a ce grave problème d'une gestion géopolitique, dont elle est incapable de trouver la solution», conclut Christophe Réveillard.

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