C'est au jeune Emmanuel Macron (40 ans) que le très jeune Sebastian Kurz (32 ans) vient de rendre visite, avant même de se rendre à Berlin pour rencontrer Angela Merkel, certes en grande difficulté politique… et d'une autre génération.
Au centre des discussions, l'immigration et les frontières. Si ces deux dossiers résonnent dans l'actualité française avec la futur loi Asile et Immigration, en Autriche, ils rappellent les principales thématiques (immigration et sécurité) traitées par Sebastian Kurz lors de sa dernière campagne électorale.
Au lendemain de sa prise de fonctions, le 18 décembre 2017, Sebastian Kurz effectue à Bruxelles son premier déplacement officiel en tant que Chancelier. La presse et les autorités de l'Union sont unanimes, il vient rassurer l'Europe: sa nouvelle coalition, formée par les conservateurs de l'OVP et des nationaux-populistes du FPÖ, souhaite bien s'inscrire dans le projet d'une Union européenne. Ce réengagement pour l'Europe annihile toute velléité autrichienne d'un référendum sur la sortie de l'Union. Une volonté paneuropéenne affichée par la nouvelle équipe gouvernementale qui réfrène donc toutes sanctions de Bruxelles, comme celles qui furent appliquées lors de la première coalition entre ces deux partis en 2000.
À l'instar de son homologue français, Sebastian Kurz est pro-européen. Il ne cesse de le répéter. Il partage aussi le souhait d'Emmanuel Macron de faire évoluer l'Union européenne.
Mais les deux dirigeants désirent-ils les mêmes changements?
N'est-ce qu'une différence de mot? Non! C'est un gouffre de la pensée politique sur le fonctionnement de l'Union qui sépare les deux hommes. Le cas le plus frappant et révélateur dans le contexte actuel est la politique migratoire de l'Union européenne et des pays qui la composent.
Alors ministre des Affaires étrangères, Sebastian Kurz avait dénoncé la crise migratoire et l'inutilité des dispositifs européens pour la réduire: «C'est un désastre humanitaire, un désastre pour l'Union européenne tout entière, et il est urgent que nous nous penchions sur la situation dans les Balkans de l'Ouest». Quelques semaines après avoir tancé l'Union en 2015, il a obtenu la fermeture de la route des Balkans et le retour à un contrôle aux frontières nationales. Considérant que Schengen avait failli, il n'hésita pas à aller contre l'un des accords emblématiques de l'Union européenne.
Aujourd'hui, Sebastian Kurz appelle à la subsidiarité et à une certaine solidarité. Mais cette entraide est contraire à celle d'Angela Merkel et dans une moindre mesure à celle d'Emmanuel Macron. La preuve la plus éclatante est la réponse apportée sur les quotas.
Alors que l'Union et sa Commission avaient trouvé comme parade immédiate la répartition des migrants qui affluaient sur le territoire européen, un certain nombre de pays, majoritairement situé à l'est de l'Europe, avait contesté et refusé cette politique. Récemment encore en guerre contre l'Union, les pays du groupe Višegrad voient d'un bon œil l'arrivée de Kurz en Autriche et en Europe. En effet, ce dernier a déclaré la veille de Noël: «forcez des États à prendre des réfugiés ne fera pas avancer l'Europe, cette discussion n'a pas de sens.»
Si les premiers éléments de la nouvelle loi Asile et Immigration du gouvernement Philippe ont mis en émoi la classe politique de gauche et les associations d'aide aux migrants, le programme de campagne du Président Macron —qui, pour le moment, met en application ce qu'il a promis- et une rapide étude du budget alloué en 2018 pour les dossiers immigration et asile, permettent de comprendre les divergences de vues sur ces enjeux entre Macron et Kurz.
En effet, le programme sur l'immigration d'Emmanuel Macron se rapproche davantage de celui d'Angela Merkel que de celui de Sebastian Kurz, ce dernier ayant repris la position de ses nouveaux alliés nationaux, le FPÖ. En France, l'exécutif souhaite la réduction des délais d'instruction de la demande d'asile et des délais de recours, mais diminue les moyens pour la lutte contre l'immigration irrégulière; les expulsions vont baisser tandis que l'AME va augmenter. En Autriche, Vienne entend réduire drastiquement l'immigration, contrôler plus que jamais ses frontières et construit même depuis 2016, une clôture sur sa frontière italienne. La déclaration de Sebastian Kurz le 18 décembre avant de se rendre à Bruxelles laisse peu de place au doute: «Aujourd'hui, je peux vous promettre que nous mettrons fin à l'immigration illégale pour assurer l'ordre et la sécurité en Autriche».
Si les médias français voient en Emmanuel Macron le leader pour l'Europe de demain, surtout en ces temps instables en Allemagne, et en Sebastian Kurz son allié, leurs divergences de vues profondes sur la gouvernance de l'Europe et sur le dossier des migrants tendraient à prouver le contraire. Le Chancelier fédéral soutient le Président français pour la refonte et la transformation de l'Union. Kurz a notamment exprimé ce vendredi à Paris qu'ils avaient tous deux une «vision commune», mais cette unité affichée ressemble davantage à une déclaration convenue qu'à une réalité tangible.
En effet, les pays du groupe Višegrad, très opposés à certaines directives de Bruxelles, voient en ce jeune dirigeant le moyen de parvenir à leurs fins tout en évitant une cassure irrémédiable: en finir avec une politique migratoire défaillante et une renaissance de l'Union par un retour au respect des nations européennes souveraines.
Sans devenir LE leader européen, le Chancelier autrichien pourrait s'imposer comme LE médiateur. Sebastian Kurz, qui souhaite aussi éviter l'éclatement de l'Union européenne, pourrait parvenir, contrairement à Emmanuel Macron, à rapprocher le groupe Višegrad de l'Union s'il parvient à transformer cette dernière. Le pourrait-il à partir du 1er juillet? À cette date, l'Autriche prend la présidence tournante de l'UE.