Et pour l'Ethiopie — une nouvelle idée nationale. Quelles sont les chances d'apparition sur la carte du monde d'un nouveau point chaud?
Le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri est déjà parti à Addis-Abeba pour les négociations, mais de facto la situation est dans l'impasse, écrit le quotidien Vzgliad. Certaines forces politiques égyptiennes appellent ouvertement à lancer les opérations militaires contre le pays voisin. Le fait est qu'en cas de construction de ce barrage sur le Nil le pays pourrait se retrouver sans sources d'eau ni électricité en devenant dépendant de l'Ethiopie chrétienne qui revendique le rôle de nouveau leader régional.
Le coût total estimé approche déjà 5 milliards de dollars, soit près de 10% du PIB national.
En 1929, le Royaume-Uni, l'Egypte et l'Ethiopie ont signé un accord attribuant au Caire le droit de veto sur tout projet des pays voisins sur le Nil. En 1959, cet accord a été remanié, mais le fond restait le même jusqu'à récemment. En d'autres termes, le régime d'accords de l'époque coloniale s'applique au XXIe siècle sous forme pratiquement inchangée.
L'Ethiopie a décidé de se débarrasser unilatéralement des restrictions coloniales immédiatement après l'apparition du projet du Grand Ethiopian Renaissance Dam (également appelé barrage de la Renaissance). En 2013, le parlement du pays a ratifié une loi controversée appelant à remplacer les accords coloniaux par de nouveaux accords permettant au pays de disposer légitimement des eaux du Nil et du lac Tana. Le président égyptien de l'époque Mohamed Morsi avait d'autres problèmes et déclarait ne pas vouloir s'impliquer dans une guerre avec l'Ethiopie, mais qu'il ne permettrait pas de remettre en question les fournitures d'eau en Egypte. Sachant que de nombreux politiciens égyptiens dès 2013 appelaient ouvertement et publiquement à déclarer immédiatement la guerre à l'Ethiopie.
Le président égyptien actuel Abdel Fattah al-Sissi s'est lancé dans la modernisation de tous les aspects de la vie des Egyptiens: du contrôle des naissances à la diversification économique. Dans ces circonstances être confronté à une pénurie d'eau et par conséquent d'énergie est la dernière chose souhaitée par le dirigeant égyptien.
Al-Sissi a lancé une vaste activité diplomatique et au printemps 2015 il a réussi à signer avec le premier ministre éthiopien Haile Mariam Dessalegn et le président soudanais Omar el-Béchir un nouvel accord trilatéral sur le Nil. Mais son texte était vague et n'imposait aucun engagement direct à Addis-Abeba.
L'Egypte s'est retrouvée en isolement. Même le Soudan, à la frontière duquel les Ethiopiens érigent le grand barrage, lui a tourné le dos. Khartoum a annulé unilatéralement le «Pacte stratégique» avec Le Caire qui reprenait globalement les accords coloniaux, en échange de quoi Addis-Abeba a promis de construire sur le territoire soudanais un «contre-barrage» et partager les recettes.
Le projet d'infrastructure d'une telle envergure a demandé des efforts gigantesques. Près de deux milliards de dollars ont été investis par les banques chinoises, le reste les Ethiopiens ont réussi à réunir en se serrant la ceinture avec une certaine participation de la Banque africaine de développement. Mais il est promis que tous les dépenses seront largement amorties, ce qui fera de l'Ethiopie le deuxième plus grand producteur d'électricité derrière l'Afrique du Sud pour en faire un leader régional notamment sur le plan politique en rejetant en arrière l'ancien leader incontestable — l'Egypte.
La peur et la panique du Caire monte à l'exponentiel. Premièrement, les Egyptiens craignent une brusque diminution du flux du Nil après le remplissage du réservoir du barrage. Deuxièmement, la concentration d'eau dans le réservoir conduira à sa réduction à cause des évaporations.
Troisièmement, le barrage se transforme pour l'Egypte en «étoile de la mort» — une libération d'eau du barrage par l'Ethiopie pourrait tuer les deux tiers des Egyptiens par des tsunamis de fleuve.
Sachant qu'Addis-Abeba fait l'impasse sur les conventions internationales et les résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies sur l'utilisation des ressources d'eau.
Le Caire n'est pas encore enclin à un règlement militaire de la situation, d'autant que son résultat n'est pas évident. Certes l'armée et les capacités des deux pays sont incomparables, mais que propose-t-on concrètement? Occuper la province éthiopienne de Benishangul-Gumuz? Installer à Addis-Abeba un gouvernement fantoche? Les deux options sont un véritable mal de tête, sans oublier qu'en grande partie l'Ethiopie est un pays chrétien, et un tel conflit se transformerait rapidement pour l'Egypte en un autre grave problème.
Cependant une succession de conflits frontaliers mineurs est envisageable. Ils pourraient déstabiliser la situation dans la région où se déroule la construction, ce qui pourrait influencer les participants au projet, les Chinois y compris. La perspective d'un long conflit armé à cause du barrage est, malheureusement, tout à fait plausible.
En revanche, l'Egypte n'est manifestement pas prête pour un tel scénario, et l'Ethiopie ne se laissera pas faire.
Pour l'instant différentes missions diplomatiques gardent espoir que le dialogue entre Le Caire et Addis-Abeba se poursuivra. La Banque mondiale aurait décidé de jouer le rôle de médiateur, mais ses services paraissent souvent douteux. La mission du ministre Choukri n'est pas non plus terminée et sera certainement reportée à l'année prochaine.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.