En appelant à la «démilitarisation et au démantèlement progressif de la Mobilisation populaire et de toutes les milices», Emmanuel Macron ne pensait probablement pas à mal, mais il a été mal perçu.
Car, et là se situe le nœud du problème, aux yeux du droit irakien, la «Mobilisation populaire» n'est pas une milice. Selon une source proche du chef d'État irakien citée par le Figaro, elle est «une institution de l'État» irakien et elle est «légitime, car sa création a été votée par le Parlement». Cette source ajoute que son intégration au sein des forces régulières du régime est d'ailleurs prévue.
Il semble de plus que le chef de l'État ait sous-estimé la virulence des réactions vis-à-vis de sa déclaration sur la Mobilisation populaire. Tandis que Laith Al-Adhari, du bloc parlementaire Assaëb al-Haq (chiite, pro-iranien) estimait que le «Président [français] n'a pas le droit de s'ingérer dans les affaires de l'Irak», le vice-président du parlement irakien s'est dit déçu de la réaction d'Emmanuel Macron, qu'il accuse d'oublier le rôle de cette milice dans la lutte contre l'État islamique en déclarant que sans eux, «Daesh serait arrivé au cœur de Paris».
Un manque de tact d'autant plus dommageable que ce n'est pas le premier faux-pas du Président récemment élu. La rigueur du protocole ne laisse pour autant aucune place à l'improvisation et chaque symbole est instrumentalisé. Emmanuel Macron en a fait les frais au début du mois de décembre.
La réception du Premier ministre du gouvernement kurde, avec les hommages théoriquement réservés à un chef d'État, a été vue comme un soutien aux velléités indépendantistes du Kurdistan irakien, quelques semaines après le referendum d'autodétermination, non reconnu par Bagdad.
Pire encore, lors de la conférence de presse de MM. Macron et Barzani, le drapeau kurde était mis en valeur, semblant renforcer cette reconnaissance tacite, tandis que d'avoir «oublié d'installer le drapeau irakien», comme l'a reconnu au Figaro un diplomate français, frisait de très près l'insulte protocolaire.
Hasard du calendrier, manque d'attention; ces «ratés» du Président de la République ont eu lieu juste avant le lancement des travaux de la Commission mixte franco-irakienne, ce qui leur a donné un écho particulier à Bagdad.
Aussi, la sortie d'Emmanuel Macron sur la «Mobilisation populaire» intervenait-elle dans un contexte particulièrement tendu entre Paris et Badgad. Mais d'ailleurs, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il dénoncé spécifiquement cette milice plutôt qu'une autre?
Pour obtenir une réponse, il faut dépasser la vision nationale pour une approche régionale. La «Mobilisation populaire» est née de l'appel du chef spirituel chiite —soutenu par Téhéran- à repousser les djihadistes du territoire irakien. Elle a, à ce titre, été perçue par Paris comme un outil à la solde de la «tentation hégémonique» de l'Iran.
Une ambition rejetée d'un revers de la main, comme l'avait fait Bachar El-Assad à propos de la proposition d'Emmanuel Macron de faire de la France un médiateur entre le régime syrien et l'opposition il y a quelques jours. Un diplomate irakien résume la situation ainsi:
«C'est dommage, on voyait [Emmanuel Macron] comme une chance pour l'Irak après l'affaiblissement en Europe d'Angela Merkel et de Theresa May».
Après s'être décrédibilisé auprès de Bachar El-Assad, Emmanuel Macron se met à dos une bonne partie du gouvernement irakien. Avec ces résultats, il lui sera de plus en plus difficile de jouer le rôle de médiateur entre sunnites et chiites ou de s'afficher comme partisan du dialogue avec toutes les parties. À croire que la formule magique du «en même temps» ne fonctionne que pour la politique française.