Ex-haut fonctionnaire, Bruno Guigue est un analyste politique français, enseignant en relations internationales à l'Université de La Réunion et chroniqueur en politique internationale. Il dresse pour Sputnik un bilan géopolitique de l'année 2017 et trace des perspectives pour 2018.
Sputnik: Commençons par la Syrie, qui a été à la Une de l'actualité depuis plusieurs années. Fait certainement majeur dans la guerre qui a été imposée à ce pays: l'anéantissement de Daech par les forces gouvernementales soutenues par ses alliés, en premier lieu la Russie. Quelle leçon en tirer? À travers ces événements, quel avenir pour la République arabe syrienne, mais aussi pour cette région, peut-on entrevoir, selon vous?
Les tentatives de subversion ont été balayées, il faut maintenant couper court aux tentatives de démembrement du pays. Washington a joué à la fois la carte terroriste et la carte kurde. Avec la liquidation de Daech, les «néocons» ont perdu leur principal atout. Mais les Kurdes ne sont pas des ennemis de la Syrie, et ils trouveront un compromis avec Damas. Quant aux dernières poches «rebelles», elles finiront par céder. La Syrie va renaître sur des bases nouvelles, et elle restera un État souverain et unitaire. Le coût de la reconstruction du pays est estimé à 250 milliards de dollars, et les Chinois ont déjà annoncé leur participation à cette vaste entreprise.
Sputnik: Au vu de ces changements majeurs dont nous avons été tous témoins, quel sera le nouveau rôle de la Russie au Moyen-Orient?
Les Russes, en outre, ont accumulé les succès sur le plan politique. Les pourparlers sur l'avenir de la Syrie ont commencé à Astana, capitale d'un pays allié de la Russie, le Kazakhstan. Ils se prolongent à Sotchi, sur le littoral russe de la mer Noire. Avec une habileté consommée, Moscou a déplacé l'axe des négociations internationales. En endossant la responsabilité de la résolution de la crise syrienne, la Russie a pris des risques. Aujourd'hui, elle s'en sort avec les honneurs. Les USA, eux, sont condamnés à faire tapisserie, et leur influence se réduit plus que jamais à leur capacité de nuisance.
Sputnik: En tenant compte de ce nouveau rôle confié de plus en plus à la Russie, au Moyen-Orient comme ailleurs, que vont entreprendre les USA? On pense notamment à la récente décision de l'administration Trump de confirmer le transfert de l'ambassade étasunienne de Tel-Aviv à Jérusalem —une décision largement condamnée par plusieurs capitales régionales, dont Damas, Téhéran ou encore Ankara.
La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël est symptomatique. Cette décision est sans intérêt pour les USA. Elle mécontente ses alliés arabes et musulmans. Elle montre que Washington, au Proche-Orient, ne fait pas partie de la solution, mais du problème. Mais peu importe. Trump en a fait la promesse à Netanyahou en septembre 2016 pour compenser son désavantage face à Hillary Clinton. En un sens, c'est plus clair. Cette allégeance à l'État-colon rappelle à ceux qui l'auraient oublié que le lobby pro-israélien détermine la politique étrangère des États-Unis.
Sputnik: L'année 2017 a été aussi celle de la poursuite de la montée en puissance de la Chine, à tous les niveaux. Puissance économique, politique, diplomatique et militaire mondiale de premier rang, Pékin a désormais son mot à dire sur pratiquement toutes les questions internationales. L'année 2018 confirmera-t-elle cette dynamique? Et en quoi les rapports privilégiés et des positions souvent similaires, ou du moins proches, entre Pékin et Moscou pourront-ils continuer à renforcer la réalité multipolaire du monde?
Les Russes, eux, ont compris depuis longtemps l'intérêt stratégique du rapprochement entre les deux pays. L'alliance russo-chinoise n'est pas seulement une affaire de gaz et de pétrole. C'est l'axe autour duquel s'opère le basculement du monde. L'hinterland stratégique prend sa revanche sur les puissances maritimes. C'est comme un déplacement de plaques tectoniques, les phénomènes s'enchaînent insensiblement. Le projet chinois de «Route de la soie» transasiatique donnera corps au projet eurasien de la Russie. Dans ce vaste mouvement vers l'Est, Moscou et Pékin ont une vision commune, et ils peuvent entraîner avec eux une grande partie de l'Asie.
Sputnik: En ce XXIe siècle, on continue d'observer des rapports entre certains États que l'on peut caractériser par une relation de vassal à suzerain. Plusieurs pays africains, par exemple, n'ont toujours pas de politiques nationale et internationale indépendantes, se trouvant sous le contrôle de certaines puissances occidentales, dont européennes.
Le système monétaire du franc CFA est tout aussi aberrant. En arrimant la monnaie des pays-membres à l'euro, il leur impose une parité qui entrave le développement. Lorsqu'il fustigeait la dette, Thomas Sankara posait la question de la souveraineté économique de l'Afrique. Il faisait le procès d'un néocolonialisme qui continue de sévir aujourd'hui. Nous venons de commémorer le 30e anniversaire de son assassinat, et son message demeure d'une brûlante actualité.
Sputnik: Aujourd'hui, la notion de souveraineté est de plus en plus présente dans les discours aux quatre coins du monde. Selon vous l'année 2018 sera-t-elle l'année où la souveraineté continuera à remporter des victoires face au néocolonialisme?
Pour les pays du sud, c'est le contrôle de l'accès aux ressources naturelles et aux technologies modernes qui est prioritaire. Mais pour y parvenir, il leur faudra desserrer la double étreinte des marchés mondiaux et des institutions financières internationales. Pour maîtriser leur développement, ces États devront d'abord restaurer leur souveraineté, préalable de toute politique progressiste. Contre un économisme dogmatique, il faut réaffirmer la primauté du politique. L'abandon aux mécanismes aveugles de la mondialisation libérale a fait son temps. La poigne d'un État souverain vaudra toujours mieux, pour le développement, que la main invisible du marché.
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