Macron en Afrique: «On n’a pas besoin d’aider les PME, on a besoin d’indépendance»

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Entre espoir et scepticisme, Emmanuel Macron mènera à partir du 27 novembre une tournée dans plusieurs pays d’Afrique, d’abord à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Il s’adressera à 800 étudiants, alors que les manifestations sont prévues. Regards africains croisés sur cette visite française.

Convaincre une jeunesse africaine hostile à la présence française sur le continent: en visite au «pays des hommes intègres», le Burkina Faso, Emmanuel Macron doit tenir un discours très attendu, mardi matin, à l'université de Ouagadougou. Il présentera à cette occasion «sa vision personnelle du rapport entre la France et l'Afrique et entre l'Union européenne et l'Afrique», d'après une source élyséenne, citée par Reuters. Le chef d'État devrait s'emparer de sujets qui n'étaient pas prisés par ses prédécesseurs: entrepreneuriat, jeunesses, éducation.

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«La richesse d'une nation, c'est d'abord celles des petites et moyennes entreprises», estime Kako Nubukpo, ancien ministre et macroéconomiste togolais. Il voit d'un bon œil la venue du chef d'État français, porteur d'une «transition»:

«D'une économie que nous pouvons qualifier d'économie de l'empire, fondée sur les anciennes relations Françafrique, le prima des grands groupes, le prima des monopoles français en Afrique, vers une lecture des économies africaines plus inclusive.»

Car le problème actuellement, lorsque vous êtes jeune entrepreneur (ou tentez de l'être) c'est que «vous ne pouvez pas accéder aux crédits, dans les pays africains francophones, à des taux d'intérêt inférieurs à deux chiffres». Sans renier les groupes étrangers présents, notamment européens et français, l'ancien ministre de la Prospective et de l'évaluation des politiques publiques du Togo plaide pour combler le «chaînon manquant» entre multinationales et PME africaines:

«Concrètement, dans le cadre de l'accompagnement, que fait par exemple l'Agence Française de Développement, il serait intéressant qu'il y ait des lignes de crédit dédiées aux PME. […] Ce qui se joue actuellement, c'est la capacité de la France à nouer avec la jeunesse un partenariat gagnant-gagnant.»

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En Afrique, le sentiment persiste que «la France n'est pas au service effectif des populations africaines, mais au service des dirigeants africains», argue-t-il pour expliquer le mécontentement de la jeunesse et l'appel à la mobilisation.

Las de voir continuellement les promesses de moderniser la relation franco-africaine échouer, les appels à manifester se multiplient ces derniers jours. Associations étudiantes ou syndicats ne croient guère en cette nouvelle politique de développement:

«Comme ses prédécesseurs, dès qu'il y a un nouveau Président français, il vient en Afrique, fait un discours en faisant croire que les relations vont changer», déclare Ouiry Sanou, représentant de l'Organisation démocratique de la jeunesse. «On n'a pas besoin d'aider les PME. Ce dont on a besoin, c'est l'indépendance.»

L'organisation est d'autant plus révoltée que l'accès à l'université serait sciemment filtré. Les étudiants et journalistes seraient choisis, car «acquis à la politique française» et les questions «préparées»:

«Les journalistes ont droit à une seule question. Les étudiants qui peuvent entrer dans la salle et poser une question ont été triés. L'administration a choisi ceux qu'ils pensent favorables: nom, prénom, date de naissance, numéro d'identification nationale.»

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Le ministère de l'éducation a d'ailleurs décidé de fermer les établissements scolaires les 27 et 28 novembre: «Imaginez Roch Marc Christian Kaboré en France, et l'État français décide de fermer les écoles. C'est ça que vous appelez l'indépendance?» Ouiry Sanou y voit un moyen de faire taire la contestation. Pourtant, l'entourage du chef de l'État français l'assure: «le président n'esquivera aucune question».

«Est-ce à Emmanuel Macron de redresser l'entrepreneuriat de la jeunesse au Burkina Faso? Est-ce son travail? Pourquoi ne le fait-il pas en France? Pour nous, c'est clair, il est le représentant de l'impérialisme français», poursuit le militant.

il prend pour exemple l'entreprise Bolloré, qui détient encore 67% la compagnie de chemin de fer Sitarail contre 15% pour le Burkina Faso, et qui n'a pas réalisé les travaux de rénovation de la ligne reliant le pays à la Côte d'Ivoire, comme annoncée en septembre 2015:

«Regardez Bolloré au Burkina Faso, ça fait combien d'années qu'il gère la Sitarail? Ça a été conçu par la sueur et le sang de nos ancêtres. On a privatisé et on l'a mis entre les mains de Bolloré, et 20 ans après il n'a pas fini son contrat et continue d'exploiter les chemins de fer».

Au cœur des tensions également, la question du franc CFA. D'après Kako Nubukpo, son maintien crée «objectivement les conditions d'une accumulation du capital hors de la zone franc. Ce n'est pas une accumulation illégale, mais ces incitations en œuvre permettent sans difficulté de sortir la richesse créée de l'Afrique par les grands groupes, par les dirigeants africains et obligent les économies africaines à recommencer chaque année le cycle de création de richesse», alors qu'en parallèle, «la population double tous les 25 ans».

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Emmanuel Macron reviendra-t-il sur le défi «civilisationnel» de l'Afrique? Le Président avait créé la polémique en déclarant, lors du G20 à Hambourg, en juillet cette année: « Quand des pays ont encore aujourd'hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d'y dépenser des milliards d'euros, vous ne stabiliserez rien», laissant entendre, au mieux, que la surpopulation entraîne le sous-développement.

Le climat est d'autant plus tendu que les migrants continuent d'arriver quotidiennement en Libye: des journalistes de CNN ont été témoins d'une vente aux enchères de certains d'entre eux, réduits en esclavage. Un «crime contre l'humanité», avait alors déclaré le Président de la République, tandis que l'ONU qualifiait d'«inhumaine» la politique migratoire de l'UE en Libye.

Pour Kako Nubukpo, «Il sera difficile, à terme, d'éviter les questions douloureuses, comme l'immigration», conséquence directe de l'absence de politique inclusive dans les pays africains. « La monnaie en fait partie, ce n'est pas le seul problème, mais elle en fait partie».

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