Le complot, un sport de haut niveau. Alors que Vladimir Poutine a officiellement annoncé aujourd'hui sa candidature aux élections présidentielles de 2018, le Kremlin semble mettre de l'eau dans sa vodka concernant l'épileptique dossier des Jeux olympiques: «Il ne faut pas céder aux émotions», mais «analyser avec attention» la décision du Comité international olympique (CIO), a déclaré mercredi Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, au lendemain de l'annonce du verdict interdisant la participation de la Russie aux JO. Quelque temps avant l'annonce de ce prévisible couperet, qualifié d'«humiliation pour la Russie», le président-candidat Vladimir Poutine dénonçait un complot occidental, dans le but de nuire à sa probable réélection: «En représailles à notre ingérence imaginaire dans leur élection (les États-Unis) veulent créer des problèmes pendant l'élection présidentielle russe».
«À titre personnel, j'ai toujours milité pour la sanction individuelle. Donc la décision me semble injuste»,
estime Pierre Sallet, docteur en physiologie et président d'Athletes for Transparency, association promouvant l'intégrité dans le sport. Pour le scientifique, il faut privilégier les sanctions individuelles et revoir le système:
«C'est comme si vous aviez une entreprise et que vous demandez au comptable si tous les comptes sont clean. Il ne va pas vous dire oui ou non. Dans l'antidopage, quand vous avez des JO organisés dans un pays, depuis longtemps on dit qu'il faudrait que ce pays n'ait aucune maîtrise sur le processus de la lutte antidopage.»
Malgré le séisme de l'annonce, il y avait quelque chose de prévisible. Au cœur d'un scandale depuis la publication du rapport McLaren en juillet 2016, la Russie est soupçonnée d'avoir instauré un système de dopage institutionnalisé dans le sport russe, avec la participation des services secrets nationaux, notamment pendant les JO d'hiver 2014 organisés sur son propre sol, à Sotchi. Certains athlètes russes avaient déjà été privés des jeux de Rio 2016, ou contraints de concourir sous bannière neutre lors des Mondiaux d'Athlétisme cet été à Londres.
«Si on regarde le rapport Mac Laren et les conclusions Oswald et Schmidt, il y a des faits impossibles à nier et on est face à un dopage institutionnalisé», estime pour sa part le journaliste Jean-Baptiste Guegan, expert en géopolitique du sport, avant de relativiser:
« Là où la décision du CIO est intéressante, c'est qu'elle permet aux athlètes qui peuvent prouver qu'ils sont propres de participer. En clair, c'est une sanction collective, mais qui ménage le droit individuel à la justice. Ça aurait pu être pire, sans athlètes russes du tout».
De l'aveu du président russe, le système russe de prévention de l'abus de médicaments qui améliore la performance des athlètes «n'a pas marché». En 2015 déjà, à Sotchi, il assurait: «Nous devons tout faire en Russie pour nous débarrasser du dopage», ajoutant: «En même temps, si nous arrivons à la conclusion que quelqu'un doit être responsable [du dopage], la responsabilité doit être personnifiée. C'est une règle générale. La responsabilité doit toujours être personnelle». Une règle «générale», ou même simplement scientifique, d'après Pierre Sallet:
«Par rapport à ce qui se passe avec la Russie, on oublie les règles scientifiques et on établit des règles juridiques. Et au final, on oublie les athlètes».
Mais le fond du problème va sans doute bien au delà du dopage, estime Pierre Sallet:
«Le problème [du dopage] n'est pas un problème spécifique à la Russie ou au sport de haut niveau. On sait très bien qu'il y a une hypermédicalisation. Pour faire simple: avant d'aller vers des substances sur des listes interdites, il y a un tas de substances avec des effets qui améliorent la performance et qui ne se trouvent pas sur les listes.»
«C'est une vraie question. On voit Jukov à la tête du comité olympique russe qui a reconnu et qui s'est excusé, au nom de la Russie, sur la question. On peut imaginer qu'on va avoir une remise en ordre du système russe, qui avait déjà plus ou moins commencé. […] Après, est-ce que politiquement, on va pouvoir conserver des gens comme Vitali Mutko à la tête de la Fédération, sachant qu'il a une vraie part de responsabilité dans le système en place? La question est, de fait, politique.»