Les amendements à la Directive sur le gaz de l'UE proposés par la Commission européenne supposent l'application des principes fondamentaux de la loi paneuropéenne sur l'énergie à tous les gazoducs présents sur le territoire de l'UE. Hormis l'UE, cela concerne directement au moins six autres pays: l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Norvège, la Tunisie et la Russie avec son projet Nord Stream. Après sa sortie attendue de l'UE, le Royaume-Uni pourrait s'ajouter à cette liste, écrit le quotidien Vzgliad.
Pour justifier cette nouveauté, la Commission européenne se réfère au discours prononcé par son président Jean-Claude Juncker en septembre devant le Parlement européen. La nécessité d'appliquer aux gazoducs extérieurs les principes de l'UE figurait effectivement parmi les thèses centrales. Toutefois, la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager a constaté dans une conférence de presse à Vilnius le 10 octobre dernier que l'UE ne disposait pas des capacités juridiques pour stopper ou bloquer le projet Nord Stream 2. Deux semaines plus tard, on annonçait que la Commission européenne préparait tout de même une proposition visant à étendre les règles du Troisième paquet énergie aux gazoducs des pays tiers.
Cependant, dans la pratique, le contexte politique reste bien présent. C'est visiblement ce qui a induit les politiciens européens à proposer une «idée fraîche»: appliquer les mêmes règles à tous les gazoducs transitent vers l'UE. Désormais, les pays dont les intérêts pourraient être affectés par ces propositions ont de bonnes raisons de se poser des questions: ne sont-ils pas pris en otage du principe de responsabilité collective sous prétexte de la lutte pour la transparence et la compétitivité?
Une riposte tirée par les cheveux
Comme le souligne l'expert indépendant et économiste Alexandre Polygalov, la Commission européenne s'est retrouvée dans une position paradoxale. L'ingérence de cette institution serait parfaitement justifiée si les opposants au projet Nord Stream 2 avaient réussi à prouver sa nuisance pour l'écosystème de la mer Baltique. Dans ce cas Bruxelles, guidé par son fameux «principe de précaution», aurait pu adopter des mesures préventives pour prévenir le risque pour l'environnement représenté par ce projet.
Formellement, la Commission européenne existe pour garantir l'application des lois adoptées par le Parlement européen et le Conseil de l'UE et ne peut pas avancer d'initiatives législatives allant à l'encontre des actes normatifs adoptés par le Conseil de l'UE. Mais dans la pratique on obtient le contraire et il convient de revenir à nouveau au discours mentionné de Margrethe Vestager, qui a fait une précision mineure à première vue: «Nous n'avons pas les capacités juridiques pour bloquer la voie à Nord Stream 2, mais nous avons les raisons juridiques afin qu'il ne se retrouve pas dans un vide juridique».
«Du point de vue des artifices de procédure, la démarche est bonne: l'accord sur le NS 2 se trouve soi-disant dans un «vide juridique» et il faut donc supprimer ce vide, explique Alexandre Polygalov. Même si au fond c'est vraiment tiré par les cheveux. Du point de vue de la logique il n'y a aucun sens à affirmer que la construction d'une infrastructure de transport supplémentaire pour le gaz naturel empêcherait d'une manière quelconque les agents libre du marché européen de transporter le gaz par l'infrastructure de transport alternative déjà disponible (et qui plus est de construire d'autres gazoducs sans la participation de la Russie).»
«Pour l'Allemagne l'initiative de la Commission européenne n'a aucun sens. Tout comme pour toute l'Europe. Et si cette proposition a bien un sens, c'est pour les bureaucrates de la Commission européenne qui obtiendront la possibilité de réguler le transport de gaz en provenance de Russie. Ainsi que pour des lobbyistes officiels qui font partie des comités de la Commission européenne et (hypothétiquement) peuvent représenter les intérêts des structures d'affaires ayant un intérêt commercial concret, par exemple, dans le transport du gaz russe via le territoire, disons, de la Slovaquie ou de la Pologne», explique Alexandre Polygalov.
Ce dernier remarque qu'aujourd'hui ce sont plutôt les intérêts des lobbyistes des compagnies de transport d'Europe centrale qui dominent au sein de la Commission européenne. Tandis qu'au sein du Conseil de l'Europe, qui a reconnu le Nord Stream 2 comme un «projet purement privé», semblent dominer les lobbyistes proches des structures commerciales de l'Allemagne, de l'Italie et d'autres pays qui ont lancé ce projet conjointement avec Gazprom.
«La question est de savoir qui gagnera cette bataille de lobbyistes en coulisses. C'est pourquoi la réponse à la question de savoir dans quelle mesure toutes ces nouveautés sont réalisables ou si elles sont des paroles en l'air est qu'elles sont évidemment réalisables mais que tout dépend du pourcentage du profit», conclut l'expert.
Des manœuvres de contournement
Même si la Commission européenne parvenait à faire adopter ses initiatives controversées, cela ne signifie pas du tout que les opposants au Nord Stream 2 parviendraient à bloquer ce projet. Une fois de plus, le transit ukrainien jouera un rôle central.
«Très probablement, d'ici 2019 toutes les propositions de la Commission européenne n'auront pas d'impact direct sur les exportations russes car d'ici là les fournitures se poursuivront via l'Ukraine, analyse Vassili Tanourkov, directeur adjoint du groupe de notations corporatives de l'Agence d'analyse de notation financière. Sachant qu'il est évident que dans les années à venir aucun investissement ne sera réalisé dans le système de transport de gaz ukrainien, d'un point de vue purement technologique la possibilité des fournitures de gaz via l'Ukraine à partir de 2020 est remise en question. De toute évidence, Gazprom comprend mieux que les Européens le fait que les livraisons via l'Ukraine peuvent devenir techniquement impossibles d'ici cinq ou dix ans. On ignore comment il est possible de régler ce problème autrement qu'en construisant un nouveau gazoduc. C'est pourquoi, malgré les éventuels problèmes initiaux à s'entendre, les Européens devront trouver un terrain d'entente avec la Russie.»
Vassili Tanourkov rappelle que le gaz russe occupe traditionnellement une part conséquente et croissante dans les importations européennes. Par conséquent, soit les Européens se créeront eux-mêmes des problèmes en étendant la législation intérieure sur les gazoducs entrants, soit il faudra changer par la suite à titre rétroactif cette législation pour des gazoducs concrets compte tenu de l'impossibilité technique de maintenir les acheminements par le biais de l'Ukraine. D'autant qu'il y a déjà des exemples notables de telles exceptions: il suffit de rappeler que l'an dernier, la Commission européenne a exempté le gazoduc OPAL situé entre la partie maritime de Nord Stream 1 et le système de transport de gaz de l'Europe des normes du Troisième paquet énergie, agissant ainsi dans l'intérêt de Gazprom.
«On ignore pour l'instant si la Commission européenne parviendra à faire passer son initiative, qui plus est dans de tels délais, conclut Vassili Tanourkov. Je ne suis pas certain que ces propositions seront soutenues par tous les membres de l'UE et que ce débat affectera la construction de la seconde branche de Nord Stream.»
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.