La diplomatie chinoise au cœur de la paix en Syrie

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Drôle de coïncidence? Ce 30 octobre, Pékin aurait fait un don conséquent à la Croix rouge Internationale à Damas, le jour même de l’ouverture du septième round des discussions d’Astana pour la résolution de la crise syrienne. La Chine s’affirmerait-elle comme un acteur de premier ordre dans la diplomatie internationale au Moyen-Orient?

«La Chine est tous azimuts et avec prudence, parce que ce n'est pas forcément sa tasse de thé le Moyen-Orient, mais elle est présente sur tous les terrains de négociations internationales.»

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Pierre Picquart, docteur en géopolitique et spécialiste de la Chine, confirme le nouveau rôle de la Chine et de sa diplomatie. Alors que les Américains ou les Russes sont depuis des années au centre du conflit syrien, que la France tente de se tailler une place dans ce grand jeu, Pékin souhaite affirmer sa puissance au Moyen-Orient et notamment en Syrie. Cependant, son modus operandi diffère de celui des autres grandes puissances.

«C'est tout à fait nouveau et logique, à savoir qu'avec la montée en puissance de la Chine en tant que futur leader mondial, même si la Chine ne veut pas avoir comme la Russie une position hégémonique dans une région, elle tient à jouer un rôle déterminant dans les pourparlers, quels qu'ils soient».

Pierre Picquart définit la diplomatie chinoise actuelle et future autour de trois axes majeurs: la lutte contre le terrorisme, la stabilité territoriale et le progrès économique et humain.

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Alors certes, la Chine refuse de prendre directement part aux conflits armés en envoyant des troupes ou des armes, contrairement aux Russes et aux Américains, mais elle s'implique dans le conflit syrien tout d'abord pour lutter contre l'État islamique et plus directement pour éviter l'expansion du terrorisme sur son territoire, notamment via la population ouïghoure. Cette population majoritairement musulmane est une cible politique de Pékin, car elle est devenue une actrice de déstabilisation du pouvoir chinois. En effet en février dernier, l'État islamique a menacé directement la Chine en diffusant une vidéo appelant la population ouïghour à lutter contre Pékin et a promis à l'Empire du Milieu de «verser des rivières de sang» sur son territoire.

«Elle-même (la Chine), de par ses frontières à l'Ouest, est impliquée pour des questions de terrorisme et cela représente un véritable enjeu. Donc le terrorisme au niveau international —et la lutte contre ce terrorisme- est une des priorités de la politique internationale et de la diplomatie chinoise.»

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L'intérêt chinois dans la région est aussi économique. Anticipant la fin du conflit armé en Syrie, Pékin entend bien être un acteur majeur de la reconstruction du pays en signant de juteux contrats. De plus, la stabilité de la Syrie (et de l'Irak) représente un enjeu stratégique de premier ordre pour que le président Xi Jinping. En effet, ces deux pays sont sur le trajet du titanesque projet de «nouvelle route de la soie». Cette voie terrestre devrait en effet traverser le nord de la Syrie, où un «hub» économique est prévu, avant de rejoindre l'Europe.

«La Chine souhaite jouer un rôle de plus en plus important dans la région, notamment parce que la future route de la soie "one belt, one road", va également passer par le Proche-Orient. [La région, ndlr] est concerné directement par ces voies d'échanges économiques.»

Le journaliste George Malbrunot tweetait hier que Pékin aurait fait un don d'un million de dollars à la Croix-Rouge internationale à Damas, ce qui marquerait une première pour cette organisation. Ce geste exprime la vision chinoise du progrès humain évoqué par Pierre Picquart et s'inscrit dans la politique humanitaire internationale de la Chine.

«Les dirigeants chinois ont vraiment une vision de l'humanité et donc du progrès humain, puisqu'ils savent qu'on ne peut pas résoudre un conflit en deux coups de baguette magique et du jour au lendemain.»

Ce don confirmerait aussi la volonté chinoise d'être réellement acteur des résolutions de Paix en Syrie. En effet, Pékin prend part aux réunions qui s'organisent depuis de nombreux mois à Genève et à Astana et souhaite faire entendre sa voix:

«La Chine est pragmatique en termes de diplomatie. Ses prises de position étaient à la fois prudentes sur le plan international, elle respectait les gouvernements en place, mais maintenant elle n'entend plus se laisser dicter sa politique sur de grands dossiers, de grands conflits, de grands pays.»

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La réaction de Pierre Picquart sur le nouveau positionnement international de Pékin est significative. Présent dans les pourparlers de paix de Genève, la Chine essaye d'imposer sa politique de non-ingérence: «elle ne souhaite pas intervenir au niveau des dirigeants en place ni des régimes politiques», à l'inverse de celle des Américains et des Européens. Alors que les présidents Macron et Trump ont respectivement qualifié Bacha el-Assad de «criminel» et de «boucher» et que les négociations à Genève ne peuvent donner aucun résultat probant parce que le sort du dirigeant syrien est un préalable non négociable pour Paris et Washington, Pékin se distingue clairement de cette ligne:

«Elle est fidèle à sa diplomatie multilatérale, qui fait qu'elle ne souhaite pas intervenir au niveau des dirigeants en place ni des régimes politiques. […] La Chine va privilégier un pouvoir stable et elle ne va certainement pas laisser autour de la table des négociations les Américains ou les Européens décider seuls.»

Cette diplomatie multilatérale qu'évoque Pierre Picquart s'exprime clairement par l'engagement chinois dans l'autre processus de paix en Syrie, les discussions d'Astana. Ces réunions sont organisées sous l'égide de la Russie et de l'Iran —alliés du régime syrien- et de la Turquie, soutien des rebelles armés en Syrie. Contrairement à Genève, l'influence occidentale est toute relative à Astana et c'est plutôt celle de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui se fait sentir. Le lieu de ces discussions n'est pas non plus un hasard: d'un côté, on trouve Genève, symbole de l'ONU et de l'autre Astana, capitale du Kazakhstan, pays proche de Moscou et de Pékin et dernier hôte de l'OCS.

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Alors qu'on peut douter des résultats des négociations de Genève, les discussions d'Astana ont déjà enregistré plusieurs succès, notamment sur les questions humanitaires, en s'accordant sur des cessez-le-feu et une désescalade du conflit dans des régions importantes de la Syrie.

Confirmant une rivalité entre Genève et Astana, Pierre Picquart préfère rester prudent quant aux succès à venir de ces discussions et considère la Chine, avec se deux fers au feu, comme un futur vainqueur de ces négociations:

«Il y a effectivement une forme de rivalité, mais les vainqueurs seront ceux qui vont tirer profit de la situation, quelle qu'elle soit. On ne sait pas aujourd'hui si d'Astana ou de Genève, il va en ressortir des points forts d'un côté ou de l'autre. Le fait d'être présent dans ces négociations produira un effet plus favorable pour les pays qui participeront aux deux réunions plutôt de ceux qui vont se contenter d'être présents soit à Genève, soit à Astana.»

À l'instar des Américains et de l'ONU, peu présent dans les réunions d'Astana, l'Union européenne et la France semblent bien en retard comparée à la Russie et à la Chine dans la résolution du conflit syrien:

«La division (des Européens) créait le succès des autres. L'Europe, jusqu'à présent, n'a pas toujours très bien joué, donc elle est en recul par rapport à des nations, que ce soient Russie ou la Chine. L'Europe est en perte de vitesse sur ce dossier-là, et quand on dit l'Europe, c'est la France.»

Le président Macron avait confirmé cette théorie lors de son discours devant les Nations unies en septembre dernier, en reconnaissant que les pourparlers de Genève étaient à l'arrêt et que celles d'Astana portaient des fruits. Et avait ajouté: «ça n'est donc pas une grande réussite pour le monde occidental, que ce soit pour l'Union européenne ou les États-Unis».

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