Guillaume Bernard : «la gauche est épuisée intellectuellement»

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De nouvelles fractures politiques émergent-elles en France ? La droite est-elle vraiment à l’offensive ? Remporte-t-elle la «guerre culturelle» ? Guillaume Bernard répond à ces interrogations essentielles à la veille de l’élection présidentielle.

Alors que la France est engagée dans une longue période électorale, nous allons à la fois éclairer et nous extraire des jeux politiciens avec l'universitaire Guillaume Bernard, qui vient de publier l'essai La guerre à droite aura bien lieu. Le mouvement dextrogyre (Desclée de Brouwer, 2016).

Un glissement de la droite vers la gauche

Cet ouvrage jette dans le débat public le concept de « mouvement dextrogyre »  : « pendant des années, depuis la Révolution française jusqu'aux années 90, nous avons assisté à un mouvement sinistrogyre — l'expression a été formulée par Albert Thibaudet dans les années 30 : les forces politiques nouvelles sont arrivées par la gauche, repoussant vers la droite les formations et les idées nées antérieurement. »

A supporter of French National Front political party holds a FN pin as he waits for French National Front political party leader and candidate Marine Le Pen results in the Nord-Pas-de-Calais-Picardie region, in the second-round regional elections in Henin-Beaumont, France, December 13, 2015 - Sputnik Afrique
Le Front National, rempart de la République ?
La donne a cependant changé, ajoute Guillaume Bernard : « à partir des années 90 et de la chute du mur, avec l'élargissement européen et l'emballement de la mondialisation, la gauche connaît un effritement, un épuisement idéologique. Désormais, c'est par la droite que les nouvelles idées politiques prennent forme, provoquant un glissement de la droite vers la gauche, glissement des idées et des partis politiques ». Voici donc ce que notre invité appelle le « mouvement dextrogyre ».

Si, bien sûr, Bernard admet que « la gauche est aujourd'hui absolument dominante dans le monde intellectuel et le monde des médias », il tient à souligner qu'elle est « aujourd'hui véritablement sur la défensive ». « Elle ne produit plus grand-chose », dit-il avant de préciser: « la théorie du genre, oui, mais ça date des années 1970, dans les Universités américaines, ce n'est plus très nouveau. » Et de conclure : « je crois sincèrement que la gauche est épuisée intellectuellement ».

« L'argument pourrait sembler contre-intuitif : la réaction incarnerait l'avenir. « La production qui a le vent en poupe aujourd'hui, qui intéresse le grand public, c'est Philippe de Villiers, Eric Zemmour, Patrick Buisson… », avance-t-il, sans d'ailleurs voiler son appartenance à la même mouvance.

Pour notre invité, le clivage droite/gauche est une donnée indépassable de la politique française. Ainsi récuse-t-il l'idée qu'une opinion reflétant exclusivement l'une des deux tendances puisse être une hémiplégie morale : « je ne crois pas du tout qu'il faille faire un syncrétisme, un assemblage entre la droite et la gauche » [à écouter sur ce sujet, notre émission avec Arnaud Imatz sur le « mythe incapacitant » du clivage droite/gauche].

Une « droite hors les murs »

Face au FN, Robert Ménard Oz sa droite - Sputnik Afrique
Face au FN, Robert Ménard "Oz sa droite"
Premier parti de France, le FN ne prendrait selon lui pas assez en considération certaines mouvances : « il y a un espace à droite qui n'est pas occupé, entre la droite moderne incarnée par Alain Juppé et la quasi-totalité de la primaire des Républicains, et le FN. Cet espace est orphelin. Nicolas Sarkozy essaie de l'occuper, mais c'est Mister Sarko et Docteur Nico… est-il crédible pour occuper cet espace ? Sincèrement, je ne le crois pas. Et le FN ne semble pas vouloir occuper cet espace-là, espérant capter des électeurs de gauche, avec cette idée qui n'est pas bête en soi, mais qui demeure difficilement réalisable, de rassembler tous les opposants au traité de 2005. »

Par conséquent, le Front national « laisse libre cet espace de la "droite hors les murs", qui s'affiche véritablement de droite et souhaite une recomposition politique au-delà des étiquettes politiques d'aujourd'hui. » Exemple typique : la nébuleuse de « La Manif' Pour Tous ». « Ils sont forts ensemble, ils convergent », estime notre invité.

La gauche retrouve son unité intellectuelle

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En France, la gauche votera-elle à la primaire de la droite?
Ainsi la gauche est-elle aussi amenée à évoluer : « Se droitise-t-elle ? Oui et non… elle se droitise parce qu'elle récupère des idées qui passent de la droite vers la gauche ». Ces idées, ce sont principalement celles du libéralisme, « à l'origine une idée de gauche qui est en train de glisser de nouveau vers la gauche ! On va avoir une gauche modérée, entre la sociale démocratie et le social libéralisme à la Tony Blair. »

Car la gauche subit la nouvelle fracture qui scinde la droite en deux, entre « les partisans d'un ordre naturel » et ceux « du contractualisme social ». En conséquence, « une partie de la droite redeviendra inéluctablement la gauche ».

De même ce clivage « entre les classiques et les modernes » devrait-il conduire à une recomposition politique au sein de la droite, en fonction de valeurs et non de choix partisans. Du moins l'espère-t-il : « aujourd'hui, les partis ont intérêt à être attrape-tout. Ils ne font pas l'effort de défendre une doctrine qui soit cohérente. Mais par honnêteté et loyauté vis-à-vis des électeurs, il faudrait une recomposition du paysage politique français, où les organisations politiques feraient explicitement le choix de défendre une pensée classique ou une pensée moderne. »

Une analyse politique donc, mais aussi et surtout un plaidoyer pour une clarification doctrinale. Au risque d'émettre un jugement trop distant de la pratique politique?

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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