Comme le rappelle Guillaume Bernard, politologue, historien des idées et maître de conférences à l'Institut Catholique d'Études Supérieures : la République est une notion qui évolue dans le temps et pas simplement au gré des changements de constitution ou des alternances politiques :
« On est en face d'une notion à géométrie variable : philosophiquement parlant, la doctrine moderne qui meut la quasi-totalité des hommes et des organisations politiques définissent la République comme étant un contrat social. Évidemment, à partir du moment où le Front National propose une autre vision de ce corps politique, il est certain qu'il peut être dénoncé par le reste de la classe politique comme étant +antirépublicain+ au sens où il n'aurait pas exactement la même définition de la République. »
Bref, selon le politologue, ce sont les partis majoritaires qui définissent qui est républicain et qui ne l'est pas… selon leurs propres intérêts politiciens :
Guillaume Bernard qui nous rappelle également que le Front National traine une image de parti antirépublicain, pour des raisons historiques, principalement :
« Il est certain que le courant politique qu'elle anime aujourd'hui, la droite nationale, la droite réactionnaire, a souvent eu une grande réticence vis-à-vis des institutions telles qu'elles existent. Il y a un cumul d'éléments : il y a évidemment le vieux courant monarchiste qui se situe à la droite de l'échiquier politique il y a évidemment la vieille et lancinante question liée à la création de la Vème République. On sait bien que Charles de Gaulle est arrivé au pouvoir parce qu'il a été soutenu par une partie conséquente de la Droite, qui l'a fait venir au pouvoir pour essayer sauver l'appartenance des départements d'Algérie à la République française et on sait ce qu'il en est advenu. Par conséquent, il y a toujours cette tache indélébile sur la création de la Vème république, où un certain nombre de personnes se sont senties flouées. Disons-le très clairement : il y a eu le développement d'un anti-gaullisme, qui n'a rien à voir avec celui de la Deuxième Guerre mondiale puisqu'il a réuni des gens qui étaient dans tous les camps en 1940, mais il y a effectivement eu au sein du Front National une activité envers le régime, une réticence vis-à-vis du régime, en raison de ses origines. »
Mais ces thèmes liés à l'Algérie française et au « péché originel » de la Ve République, comme d'autres, ont fini par disparaître du discours du Front National, renouvellement des générations oblige.
Daoud Boughezala, Rédacteur en Chef du magazine mensuel Causeur, estime — quant à lui — que déterminer si oui ou non le FN est « républicain » est un faux débat, d'autant plus mal venu que celui-ci est posé par des partis politiques qui gèrent mal la situation sociale et économique du pays : pour reprendre ses mots, « les Français n'ont pas que des problèmes de fins de mois, ils ont aussi des problèmes d'identité » :
« Tout parti politique a légitimité à le faire ! Enfin, que je sache le FN n'est pas un parti monarchique, opposé au régime républicain ou à la démocratie : il ne s'agit pas d'un revirement soudain. C'est comme si Action Française appelait demain à soutenir les valeurs républicaines ! »
En tout cas, on constate une évolution du Front National. L'image anti-républicaine du parti a longtemps été confortée par les abondantes reprises dans les médias des outrances verbales du père, notamment jusqu'à la reprise en main du parti par Marine Le Pen en 2011. Une présidente qui a remanié de fond en comble son appareil politique, quitte à marquer une rupture brutale avec d'anciens cadres et des constituantes historiques de ce qui fut à l'origine un rassemblement de groupuscules nationalistes, identitaires ou de nostalgiques de l'Algérie française.
Une période de grands chambardements baptisée « dédiabolisation » par les observateurs, qui ne manquent jamais de monter en épingle une phrase, qui, sortie de son contexte, peut faire mouche : Par exemple lorsque Marion Maréchal Le Pen déclarait être d'« une génération un peu saoulée par les valeurs de la République », elle parlait de son agacement face à la manière récurrente dont les « valeurs de la République » sont brandies par ses détracteurs et dont elle doute qu'ils sachent eux-mêmes ce qu'elles peuvent bien recouvrir.
Si le Front National a vu son discours évoluer, c'est peut-être aussi grâce à l'évolution des autres partis qui lui laissent le champ libre. Guillaume Bernard souligne ce phénomène :
« On a un double glissement. On a un glissement de l'opinion publique qui se "droitise" et qui favorise la progression du Front National […] Et de l'autre côté on a un personnel politique qui glisse dans le sens inverse, c'est-à-dire que hormis certaines exceptions, on a des hommes politiques de droite qui se convertissent petit à petit — cela depuis notamment la création de l'UMP au début des années 2000 — qui glissent vers le Centre et rejoint les positions centristes, libérales. C'est la concomitance de ces deux glissements qui explique la progression — encore bridée — du Front National. »
Certains, comme Jean Pierre Chevènement, accusent le Front National d'avoir opéré un « hold-up » sur des thématiques telles que l'État protecteur, autrefois chères à la Gauche. Mais pour l'ancien ministre, ce n'est pas tant le Front National qui s'est accaparé ce champ que la Gauche qui a délaissé ce terrain. Une analyse partagée par Daoud Boughezala :
Évolution sociologique, évolution dans le discours du FN, il devient difficile de refuser au FN son brevet de républicanisme, selon Guillaume Bernard :
« Mais vu sa progression politique, vu le fait qu'il y ait au moins un tiers de l'opinion publique qui se reconnait dans cette organisation — qui jusqu'à présent n'a pas porté atteinte au bon fonctionnement des institutions — ce parti politique peut légitimement revendiquer au moins une certaine notion de la République, après on peut discuter de ce qu'il propose comme vision de l'ordre public, mais ça c'est un autre débat ! »
De fait, dédiabolisation réussie ou évolution sociale, l'image du parti populiste a changé dans l'opinion, comme le détaille Erwan Lestrohan, Directeur d'études à l'institut de sondage BVA :
« Si on exhume les sondages passés, on remarque dans un sondage BVA de 1995, que 55 % des français considéraient que Jean-Marie Le Pen jouait un rôle nuisible dans la vie politique française. Aujourd'hui, on n'est plus du tout sur les mêmes représentations, on a notamment 57 % des Français qui considéraient en décembre 2015 que le FN devait être à présent considéré comme un parti comme les autres. »
Pourtant, si le Front National a le vent en poupe, le Front Républicains et ses idées conservent une longueur d'avance : En effet si le Front National semble remporter la bataille des idées, il demeure encore loin de remporter celle les urnes. En témoigne l'écart entre les résultats des premiers et seconds tours de différents scrutins, ou plutôt son incapacité à surmonter l'obstacle de ce « Front Républicain », de ce « cordon sanitaire » qui reste présent dans la tête des électeurs, comme nous l'explique Guillaume Bernard :
« On a toujours une dichotomie assez étonnante —, mais très intéressante — qui est qu'un certain nombre de mesures préconisées par le Front National, lorsqu'elles sont présentées en aveugle, remportent l'adhésion d'une très grande majorité de Français […] Et lorsqu'elles sont étiquetées, quand ces idées, ces points de programme, quand ces mesures sont rattachées au Front National et bien immédiatement il y a une position de repli de la part de l'opinion publique.
Qu'il arrive à convaincre ou non, c'est son problème, mais comme le souligne Erwan Lestrohan, la question de l'appartenance du FN à la république ne semble plus de mise :
« Ce que l'on peut estimer, c'est que dans l'opinion des Français, le FN est probablement rentré dans le jeu républicain en étant peut être plus en phase avec les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité que cela n'était le cas dans le FN de Jean-Marie Le Pen. »
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