Le Brexit remet donc en cause ce qui constitue aujourd'hui la colonne vertébrale de la politique qualifiée d'européiste, que ce soit celle de François Hollande ou celle d'Angela Merkel. Le choc va donc bien plus loin que celui de la sortie de l'UE de la Grande-Bretagne. Cette crise de la stratégie européiste est un point de rupture.
Les bases du fédéralisme furtif
Il convient en premier lieu de comprendre la démarche dite de « fédéralisme furtif » qui a été adoptée à partir du traité de Maastricht et qui s'incarne dans l'Euro. Cette stratégie se fonde sur un rejet des Nations, que ce rejet soit lié à une méfiance ou qu'il soit lié à une véritable haine des dites Nations. C'est pourquoi ont communié dans cette démarche à la fois des libéraux conservateurs, qui restent fidèles à cette méfiance profonde envers le peuple de la pensée conservatrice, des anciens « gauchistes » (et Cohn-Bendit en est l'un des exemples) qui haïssent en la Nation cette accumulation de médiations ancrées dans l'Histoire qu'ils perçoivent comme un obstacle à leur vision millénariste et apocalyptique d'une « fin » de l'Histoire (2), ou que ce soit des sociaux-démocrates qui cherchent à transposer vers un niveau étatique supérieur ce que la mollesse de leurs politiques les empêchent de réussir dans le cadre national. Ces différents rejets de la nation s'articulent eux-mêmes de manières spécifiques compte tenu de la culture politique de chaque pays.
Le rôle politique de l'Euro
Ce projet s'est incarné essentiellement dans l'Euro. La précipitation pour accepter l'idée de monnaie unique, alors que les conditions nécessaires à sa réussite n'étaient nullement réunies, ne peut s'expliquer que par des motifs politiques et psychologiques impérieux. Ici encore, ils furent différents suivant les pays, mais ils ont tous convergé dans cette idée qu'une fois la monnaie unique réalisée, les pays de la zone Euro n'auraient d'autres choix que le fédéralisme. Ce qui avait été négligé cependant dans ce processus c'était le fait que le fédéralisme n'est pas un objectif unifiant. Il peut y avoir diverses formes de fédéralisme. Or, faute d'un débat public, débat contradictoire avec une stratégie imposant la furtivité et la dissimulation, il ne pouvait y avoir d'instance à même de trancher entre ces différentes formes de fédéralisme. Ainsi l'Allemagne conçoit le fédéralisme comme un système qui lui donne un droit de regard sur la politique des autres pays mais sans devoir en payer le prix budgétaire. C'est le fédéralisme mesquin. La France, elle, voit dans les structures fédérales la poursuite de l'histoire de sa propre construction étatique et entend imposer un fédéralisme donnant naissance à un nouvel Etat-Nation. Mais, c'est faire fi justement des spécificités de l'Histoire, et du fait que la Nation et le Peuple se sont construits en parallèle (et avec de multiples interactions) sur près de 8 siècles. De ce point de vue, seule l'Histoire de la Grande-Bretagne est pleinement comparable. L'idée implicite était de réaliser par la ruse ce que l'Empire napoléonien n'avait pu par la force. Cette idée se fondait sur les illusions de l'universalisme français qui confond des valeurs avec des principes. C'est cette énorme erreur, qui a engagé les dirigeants français, de gauche comme de droite, dans une voie sans issue.
La responsabilité des européistes
D'ores et déjà, les dégâts provoqués par l'Euro sont importants. Conçu pour rapprocher et unir l'Europe, l'Euro a fait effectivement le contraire: après une décennie sans croissance, l'unité a été remplacée par la dissidence et l'agrandissement par le risque de sorties. La stagnation de l'économie européenne et les sombres perspectives actuelles sont donc le résultat direct des défauts fondamentaux inhérents au projet de l'Euro — l'intégration économique prenant le pas sur l'intégration politique avec une structure qui favorise activement la divergence plutôt que convergence.
Il est donc clair aujourd'hui qu'il faut liquider l'européisme et ses instruments si nous ne voulons pas nous retrouver d'ici quelques années, voire quelques mois, dans une situation où les conflits entre Nations, parce qu'ils auront été trop longtemps niés, ne trouveront plus d'espace où un compromis sera possible entre des intérêts divergents.
(1) Sapir J., Brexit (et champagne), https://russeurope.hypotheses.org/5052
(2) Voir https://russeurope.hypotheses.org/5059
(3) Sapir J., Faut-il sortir de l'euro?, Le Seuil, Paris, 2012.
(4) Sapir J., Macron et le fantôme du fédéralisme en zone Euro http://russeurope.hypotheses.org/4291 et Fédéralisme? https://russeurope.hypotheses.org/4347
(5) Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.
(6) Stiglitz J., The Euro — How a common currncy threatens the future of Europe, Pinguin, Londres, mai 2016
(7) http://www.bloomberg.com/news/features/2016-06-30/after-brexit-here-s-what-s-next-for-europe
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