Les migrants — une délivrance
Des ressortissants d'Asie et d'Afrique sont installés en Grande-Bretagne depuis longtemps: dès le XVIIe siècle, des marins-lascars arrivés sur les navires de la Compagnie britannique des Indes orientales vivaient dans le quartier des docks londoniens. Au XIXe siècle, on pouvait rencontrer des Noirs d'Afrique et des Caraïbes, des ressortissants d'Inde et de Chine dans les rues de la capitale de l'empire.
Mais la grande migration a véritablement commencé en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. L'empire victorieux tombait en lambeaux, l'économie de la métropole était au bord du gouffre. Le gouvernement travailliste de Clement Attlee avait trouvé une solution qui semblait parfaite: faire venir plus de gens des colonies pour combler les emplois vacants. En 1948, c'est ainsi qu'a été édicté l'Acte de citoyenneté qui permettait à tout ressortissant de l'empire de vivre et travailler en métropole sans visa..
C'est ainsi qu'en 1962, l'Acte sur l'immigration des pays du Commonwealth n'autorisait plus la migration en Grande-Bretagne qu'aux métiers déficitaires. Deux textes de loi ont suivi cet acte en 1968 et en 1972. Ces mesures intransigeantes ont porté leurs fruits: à la fin des années 1980 seulement 54.000 migrants entraient chaque année dans le pays. Le problème semblait résolu. Mais en 1990 le gouvernement travailliste de Blair, pour des raisons humanistes, avait alors simplifié l'entrée pour les proches des migrants déjà installés en Angleterre, ainsi que la procédure d'étude des demandes d'asile. Bien sûr, le nombre de proches étrangers voulant rejoindre des ressortissants britanniques a brusquement augmenté: presque 100.000 individus sont arrivés dans le royaume en 1999.
Powell, chantre de l'anti-immigration
La loi de Blair n'est qu'un épisode de la guerre interminable entre les travaillistes et les conservateurs sur l'immigration, qui dure sans interruption depuis la fin des années 1940. Les travaillistes poursuivent inlassablement la ligne d'Attlee. Entre 1965 et 1976, les travaillistes ont adopté au parlement une série de lois interdisant formellement toute forme de discrimination raciale.
C'en était trop même pour ses collègues du parti. Le Times, conservateur, a accusé Powell de racisme flagrant, et le leader des conservateurs Edward Heath l'a renvoyé du gouvernement fantôme.
Jusqu'à la fin de ses jours Powell s'est battu contre l'immigration. Des décennies plus tard, Margaret Thatcher a reconnu qu'il avait raison, même s'il ne se distinguait pas par la finesse de ses déclarations.
Une haine silencieuse
La popularité de Powell auprès de la population britannique s'explique facilement: en engendrant un excès de main d'œuvre non qualifiée, l'immigration a conduit à des licenciements massifs de cols bleus locaux et à la baisse des salaires. Les petits entrepreneurs arrivaient à peine à résister à la concurrence des migrants soutenus par leurs diasporas et exprimaient également leur colère.
Au final, après la guerre, la société britannique s'est opposée silencieusement mais obstinément aux migrants — ce que la presse qualifiait de "racisme rampant". Dans les sphères où le contrôle étatique ne parvenait pas à s'étendre, notamment dans les petites entreprises, les ressortissants d'Afrique et d'Asie étaient constamment confrontés à la discrimination. Ils n'étaient pas embauchés et n'arrivaient pas à louer un logement. Les sentiments anti-immigration étaient particulièrement forts en Irlande du Nord: Belfast a même été surnommée "capitale européenne de la haine raciale".
Des révoltes retentissantes
Un tel antagonisme, couplé à l'aspiration traditionnelle des migrants à vivre en communautés compactes, a conduit à la formation de véritables ghettos ethniques. Au début des années 1980, la Grande-Bretagne a été submergée par une vague de révoltes raciales: les jeunes noirs de ghettos peuplés de ressortissants des Caraïbes et souffrant de chômage, d'un niveau de criminalité élevé et de mauvaises conditions de logement, ont trouvé comment exprimer leur haine accumulée. Leur colère s'est déversée essentiellement contre la police.
La nouvelle vague d'émeutes raciales a eu lieu au début des années 2000. Cette fois, ce sont les petites villes d'Oldham et de Bradford qui se sont le plus insurgées.
Depuis, la presse britannique n'a pas rapporté de grandes confrontations entre la majorité blanche et les migrants des pays du Commonwealth. Cela ne s'explique certainement pas par l'augmentation soudaine du niveau de tolérance, il faut plutôt y voir la fin du processus de mixité ethnique: la population blanche a quitté les lieux d'habitation compacte des migrants. Au final, le racisme blanc a cédé la place au racisme entre minorités ethniques.
Opprimés contre opprimés
En 2005, une révolte raciale a bouleversé la ville de Birmingham, dans laquelle la population blanche n'était pas du tout impliquée: les ressortissants des Caraïbes se partageaient la ville avec des ressortissants d'Asie.
Cet incident a marqué une nouvelle étape de l'histoire des conflits raciaux au Royaume-Uni.
Il est évident que tôt ou tard, la haine raciale s'apaisera — quand se formeront des quartiers mono-ethniques, comme à l'issue des conflits entre la population blanche et les migrants. Mais, premièrement, cela pourrait prendre des décennies et, deuxièmement, si une nouvelle vague de migrants arrivait au Royaume-Uni, cette fois du Moyen-Orient, cet équilibre déjà fragile serait à nouveau enfreint. Sans parler du fait que la minorité noire ne voudra certainement pas rester constamment en bas de l'échelle sociale.