Le droit version saoudienne
L'Arabie saoudite est une monarchie théocratique absolue où tout le système juridique repose sur des fondements religieux. La religion dominante est l'islam, la confession dominante le sunnisme, le courant religieux dominant le wahhabisme. C'est pourquoi en Arabie saoudite, comme dans l'État islamique contre lequel le royaume est officiellement en guerre, les lois de la charia sont de rigueur.
Conformément à la loi de la charia, un juge peut infliger trois types de peines: un hudud ou hadd pour des crimes portant atteinte à la morale et à l'ordre public tels que l'alcoolisme, les jeux de hasard, la diffamation ou la perversion; une qisas, qui calque la loi du Talion pour des homicides et des blessures graves; et un tazir pour trouble de l'ordre public comme l'homosexualité, l'adultère, le vol à l'étalage, la désobéissance aux autorités ou encore le non-respect du ramadan.
En général, le hadd implique des coups de fouet publics, la qisas permet de rembourser le préjudice avec de l'argent, alors que le tazir peut varier très largement — d'un avertissement verbal jusqu'à la décapitation suivie d'une crucifixion.
Un fouet guérisseur
Le châtiment par le fouet tombe le plus souvent dans le champ de vision des médias. Bien qu'il soit répandu pratiquement dans tout le monde musulman, l'Arabie saoudite se distingue par la fréquence et la violence de ce type de punition. Il n'existe aucune norme stricte: le juge de charia décide lui-même combien de coups de fouet mérite le coupable.
Le triste record est ainsi détenu par l'Égyptien Mohamed Ali al-Saiyd, qui avait été condamné en 1990 à 4 000 coups de fouet. Riyad avait expliqué à la communauté internationale indignée qu'en réalité le condamné avait été "gracié": il était accusé de vol et aurait dû perdre un bras mais n'avait reçu "que" les coups de fouet.
La décapitation est une autre forme de châtiment public usitée en Arabie saoudite, organisée sous les yeux de la foule. En général, après l'exécution, le corps du criminel est présenté au public à titre exemplaire — le plus souvent crucifié.
La lutte contre l'alcoolisme
Le crime le plus répandu pour lequel la justice saoudienne punit les étrangers est la violation de l'interdiction de l'alcool par la charia. L'an dernier, les policiers du royaume ont notamment arrêté dans la ville de Jiddah le Britannique Karl Andree, 73 ans, avec une bouteille de vin artisanal. Souffrant d'asthme et d'un cancer, il a passé plus d'un an en prison en attendant sa peine — 350 coups de fouets. C'est seulement quand le gouvernement britannique, sous la pression des proches d'Andree et du leader du parti travailliste Jeremy Corbyn, a rompu le contrat avec Riyad pour la formation du personnel des prisons et a menacé d'une dégradation des relations que les Saoudiens ont fait marche-arrière et ont relâché le condamné.Il a eu bien plus de chance que son compatriote John Kelly: en 1985, ce dernier avait été condamné à deux ans et demi d'emprisonnement et à 250 coups de fouet — 50 coups à des intervalles de deux mois pour la réhabilitation, ainsi qu'à une amende de 17 000 livres. L'indignation du gouvernement britannique fut si forte que dans les années qui ont suivi, Riyad avait préféré fermer les yeux sur la fabrication artisanale d'alcool par de nombreux expatriés britanniques. En cas d'incidents, les contrevenants étaient simplement expulsés comme Peter et Ann Goldsmith, inculpés pour fabrication de vin artisanal et importation de whiskey dans le pays.
Une seule religion
Les crimes religieux, eux, sont bien plus gravement pris en compte. Le pire étant l'apostasie, qui regroupe aussi bien la reconversion au profit d'une autre religion que l'athéisme. Le poète palestinien Ashraf Fayad est actuellement en prison en attendant son exécution: selon les juges de la charia, il faisait la promotion de l'athéisme dans un de ses livres.
Plus de 7% de la population d'Arabie saoudite n'est pas musulmane. Dans cette catégorie, on retrouve majoritairement des travailleurs étrangers catholiques des Philippines, mais également des représentants d'autres confessions comme des protestants d'Europe ou encore des orthodoxes d'Égypte, d'Éthiopie et d'Érythrée. La profession publique de la chrétienté est interdite dans le royaume et on ne peut pas non plus conserver des objets religieux non musulmans tels que la Bible, un crucifix et des icônes. Les chrétiens et les fidèles d'autres religions peuvent prier seulement à la maison. Une police religieuse spéciale — la garde de la charia — veille au respect de la loi.
Le sexe et la prison
La prévention de la perversion et de l'adultère est un autre champ d'activité important des tribunaux de la charia. Sachant que ces notions sont interprétées très largement.
En octobre 2009, Mazen Abdul-Javad, employé de la compagnie aérienne Saudia, a commis l'imprudence de parler à la télévision libanaise de sa vie sexuelle et de ses connaissances avec des jeunes femmes. Résultat: cinq ans de prison et mille coups de fouet l'attendaient à son retour.
Un "paradis pour les gays"
L'homosexualité est également sévèrement sanctionnée en Arabie saoudite. Cependant, les juges prononcent souvent des peines relativement indulgentes en comparaison avec les condamnations pour d'autres chefs d'accusation. Ainsi, un habitant du royaume dont le nom n'est pas dévoilé a été condamné à trois ans de prison et à 450 coups de fouet, accusé de fixer des rendez-vous à d'autres hommes en se servant d'un microblog sur Twitter et condamné pour "incitation au vice et à l'homosexualité".
Cette attitude est probablement liée au fait que l'homosexualité est largement répandue en Arabie saoudite. Au final, pour un pays si conservateur, on accorde bien plus d'attention à la lutte contre le sexe extraconjugal et aux relations homme-femme qu'à la punition des relations homosexuelles. Il existe d'ailleurs un pacte tacite entre les homosexuels et les autorités saoudiennes: la communauté LGBT témoigne d'une attitude respectueuse envers les normes du wahhabisme, en échange les autorités ferment les yeux sur la "vie privée" de ces sujets.
La guerre contre les sorciers
Si les autorités saoudiennes ferment les yeux sur l'homosexualité, elles combattent résolument et sans appel la sorcellerie. En général, la sentence est toujours la même: une décapitation suivie d'une crucifixion pour l'exemple.
La lutte contre la sorcellerie ne s'arrête pas aux frontières du royaume. Le prédicateur libanais Ali Hussein Sibat a été décapité en 2010: dans une émission de télévision il prédisait l'avenir et donnait des conseils aux téléspectateurs. Les services saoudiens l'ont surveillé pendant des années et l'ont arrêté quand il a commis l'imprudence d'effectuer un hajj (pèlerinage) en Arabie saoudite.
Cette spécificité saoudienne soulève des protestations légitimes en Occident. Les citoyens d'Europe et d'autres pays civilisés se demandent souvent pourquoi, en faisant référence aux notions morales, Washington et Londres qualifient Téhéran d'"axe du mal" pour les pratiques massives de peine de mort, tout en fermant les yeux sur les verdicts bien plus sévères des tribunaux de la charia du royaume wahhabite?