Mais quel résultat donnera ce mélange timide entre diplomatie, opinion publique et contrats de vente d'armements?
Berlin est réservé dans ses déclarations, c'est donc la « soumission au réexamen critique » des contrats entre l'Allemagne et le Royaume. L'année dernière Riyad a enrichi Berlin de 178 millions d'euros contre un assortiment de blindés, de navires de patrouille, de systèmes de ravitaillement en vol, de drones… D'après Jean-Vincent Brisset, spécialiste des questions de défense et de relations internationales, la remise en examen des contrats avec les saoudiens ne veut pas dire l'arrêt de vente:
« Non, pas vraiment. Dans la mesure où l'Arabie saoudite a déjà acheté du matériel allemand et qu'il y a un certain nombre de matériels qui nécessite un suivi. Donc l'Allemagne ne va pas arrêter tout même si elle en arrête un certain nombre et elle est plus visible. De la même manière la Suisse a arrêté d'une façon encore plus nette ses ventes à l'Arabie saoudite ».
Si la Suisse est ferme dans ces décisions, l'Angleterre bascule de plus en plus vers une critique ouverte de la vente d'armes à l'Arabie Saoudite. Comme le leader du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) Nigel Farage qui appelle les britanniques à « être plus courageux ». En 5 ans Londres a vendu des armes à Riyad pour presque 8 milliards d'euros. De quoi avoir peur que cette somme diminue soudainement.
« En tant que capitale européenne sur ce genre de problèmes c'est très difficile. Tant qu'il n'y a pas d'embargo tout le monde fait ce qu'il veut: on l'a vu à de nombreuses reprises. Et quand il y a un embargo en général un certain nombre de pays européens se débrouillent pour le contourner: on l'a vu avec la Chine. Donc là aussi il y aura des déclarations, il y aura ce qu'il y a à faire dans la pratique et il y aura des contournements »
Comment la France se comportera-t-elle de son côté? L'Arabie Saoudite est son premier partenaire commercial dans la région avec des échanges d'environ 10 milliards d'euros…
« Il est certain que d'un côté arrêter de vendre [des armes] à l'Arabie saoudite vis-à-vis de l'opinion publique est presque indispensable dans la mesure où l'Arabie saoudite est de plus en plus désignée comme fauteur de troubles. Et d'un autre côté il est difficile d'arrêter de vendre en particulier pour la France qui est engagée non seulement directement vis-à-vis de l'Arabie saoudite mais surtout par l'intermédiaire des clients qui ont acheté avec des fonds fournis par l'Arabie saoudite. Je pense à l'Egypte mais je pense aussi au Liban »
Le Canada au visage aussi angélique que celui de son premier ministre Justin Trudeau, n'envisage pas l'annulation du plus grand contrat de livraison d'armes dans l'histoire du pays et attend avec impatience le versement de 15 milliards de dollars de la part de Riyad. Jean-Vincent Brisset estime que cette décision ne passera pas inaperçue pour le peuple canadien:
« L'opinion publique canadienne est très divisée sur les ventes et les achats d'armes et pas seulement à l'Arabie saoudite. Donc là aussi il va y avoir un débat public et il est certain que l'importance des contrats canadiens est telle que ça pose de plus en plus de problème de les annuler. Maintenant il faut voir aussi une chose, c'est qu'avec la baisse du prix du pétrole la question se pose, à savoir est-ce que l'Arabie saoudite va rester solvable et va pourvoir payer des achats faramineux qu'elle avait fait partout dans le monde »
La nouvelle tendance anti-saoudienne semble assez contagieuse, mais est-ce que l'Occident voudra perdre ses milliards? Cela reste à voir, à l'instar de la capacité des saoudiens de payer ces milliards quand le baril du pétrole est déjà passé sous la barre des 34 dollars.
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