Le samedi 2 janvier, l'Arabie saoudite par le biais de la télévision d'Etat annonçait l'exécution de l'Ayatollah Nimr Baqer al-Nimr, provoquant l'indignation et la colère de nombreux chiites dans plusieurs pays de la région; et donnant lieu à des manifestations au Liban, en Turquie, en Irak. En Iran, aux cris de « Mort à al-Saoud!» une foule s'en est prise à l'ambassade saoudienne qu'elle a incendiée dans la nuit de samedi à dimanche. Au nord-est du pays, le consulat saoudien dans la ville de Machhad a également été attaqué.
« De l'extérieur, très clairement c'est une provocation, car d'après ce que j'ai lu c'est un religieux qui, même s'il était virulent dans ses attaques contre le pouvoir saoudien, n'a jamais prôné ou commis d'action violente, et là il est exécuté au même titre que des membres de l'Etat islamique. Donc le message que fait passer l'Arabie Saoudite c'est que pour eux un opposant politique chiite est au même niveau qu'un membre de l'Etat islamique. C'est une provocation, ils s'avaient très bien que ça allait conduire à des réactions virulentes de la part de l'Iran et des chiites dans la région ».
Une provocation à laquelle Hassan Nasrallah, le leader du mouvement chiite Hezbollah, a enjoint la communauté chiite à ne pas répondre, déclarant dans un message télévisé, je cite, "c'est la famille Saoud qui a tué le cheikh al-Nimr, point", appelant les chiites à ne pas tenir pour responsables tous les sunnites et à ne pas faire de cet évènement un problème confessionnel.
Une escalade qui vient aggraver les antagonismes entre les deux puissances de la région. Il y a moins d'un mois, la rigoriste Arabie saoudite avait déjà usé de cette carte de l'antagonisme religieux avec sa rivale chiite, pour fédérer autour d'elle les pays arabes dans une « coalition islamique antiterroriste ». Une coalition à laquelle les pays arabes chiites, qui combattent pour leur part des groupes extrémistes se revendiquant du salafisme, l'idéologie fondamentaliste à l'origine du wahhabisme de la famille régnante saoudienne, n'étaient pas conviés.
"Il y'a une logique, une dynamique, effectivement depuis la chute de Saddam Hussein en 2003 en Irak, l'Arabie Saoudite a le sentiment que l'influence iranienne dans la région grandit et qu'elle les menace directement. Je pense que les Saoudiens font une erreur, ils font une erreur car ce n'est pas l'Iran qui a provoqué la chute de Saddam Hussein, et si l'Iran défend Bachar el-Assad ce n'est pas pour des raisons religieuses. Avec l'accord sur le nucléaire iranien, ils pensent que l'Iran prend plus de poids dans la région, ce qui est possible, mais ils répondent à mon avis par la plus mauvaise des manières: celle de jouer la carte du religieux, et de dire +on est maintenant les défenseurs des sunnites attaqués par les chiites+ et je pense que cette stratégie est très dangereuse car elle ne mène à rien si ce n'est qu'augmenter les tensions".
Des voix s'élèvent dans le monde arabe, et au sommet de l'ONU; Ban Ki-moon se déclare "consterné" par ces exécutions, et Zeid Ra'ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, demande au gouvernement saoudien d'imposer un moratoire sur toutes les exécutions.
"Ce n'est pas nouveau, il y'a vraiment deux poids deux mesures. Je veux dire si dans n'importe quel autre pays, on exécutait un opposant par décapitation, les condamnations se seraient enchaînées partout, sur toute de la planète. Là il y a vraiment deux poids deux mesures […] Qu'on ait des intérêts commerciaux avec l'Arabie Saoudite, très bien mais il y a peut-être une limite: la crise est très grave, les tensions entre l'Arabie Saoudite et l'Iran alimentent les crises régionales, et on voit très bien que c'est l'Arabie Saoudite qui joue la carte de la provocation. L'Europe, la France et le Royaume-Uni doivent avoir une politique beaucoup plus active et parler diplomatie au lieu de parler toujours de commerce".
Il faut dire que le nombre d'exécutions explose en Arabie saoudite. Si l'AFP dénombrait en 2014 87 exécutions, contre 73 en 2013, 2015 a vu 153 peines capitales appliquées. Avec ces 47 décapitations, dès le premier week-end de l'année, 2016 ne s'annonce pas des plus prometteuses… Le neveu du cheikh, Ali Mohammed al-Nimr, pourrait prochainement voir sa peine appliquée, ayant été également condamné à la peine capitale par décapitation, puis crucifixion en place publique pour avoir "participé à une manifestation". Au moment du verdict, il était encore mineur.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.