Evidemment tout cela n'est pas très agréable pour ceux qui sont victimes de cette mise au pilori. Mais tout ce qui est exagéré est insignifiant, soulignait Talleyrand. L'hystérie des zélotes atlantistes n'aura qu'un temps. Celui nécessaire pour qu'ils puissent rétropédaler en sauvant la face et leurs prébendes lorsque la France se verra contrainte par les circonstances de cesser ses attaques contre la Russie. Par ailleurs ces insultes, cette indignation perpétuelle de ceux qui, néoconservateurs patentés, estiment incarner le camp du bien contre les ignares et les réactionnaires du camp du mal, ne sont que le reflet de la plupart des débats qui animent aujourd'hui l'opinion publique française, lesquels tournent hélas quasi-systématiquement au pugilat.
« Oui, on est bien-pensants », titrait récemment la Libération, spécialiste des mises à l'index et des dénonciations calomnieuses vis-à-vis de ceux, dont l'auteur de ces lignes, qui, prônant un rapprochement avec la Russie, sont présentés comme achetés par Moscou. Passons sur le fait que les subsides qui font vivre « Libé » sont, eux, connus de tous: huit millions d'euros de la part des autorités françaises en 2014 et beaucoup plus de la part d'Altice, le groupe international de Patrick Drahi développant ses activités entre Israël et les douillets paradis fiscaux luxembourgeois et néerlandais, ce qui en dit long sur l'attachement aux principes et à l'indépendance éditoriale du journal. Relevons plutôt ce titre, cette « bien-pensance » assumée.
Mais s'il se présente toujours comme un rempart contre tout « ordre moral », le sien, libéral-libertaire, est érigé en dogme inattaquable. Comme le résume Jean-François Kahn, « la gauche soixante-huitarde a bradé ses aspirations sociales et s'est ralliée à la doxa néo-libérale. L'antifascisme et la croisade exaltée contre un bloc réactionnaire fantasmé est le seul moyen pour eux de se convaincre qu'ils sont toujours à gauche. » La proximité avec les Russes et la Russie valant aux yeux de cette petite bourgeoisie bien-pensante certificat d'appartenance à cette France « rance » qui les obsède, la condamnation est bien entendue automatique. Toute instruction préalable au procès est inutile: « Aujourd'hui, c'est le principe même du débat qui est interdit. Nous assistons au retour d'une rhétorique stalinienne », poursuit Jean-François Kahn.
Au triangle des bien-pensants Saint-Germain des Prés-Montparnasse-Luxembourg, s'adjoint un triangle boulevard Saint-Germain-Esplanade des Invalides-Ecole Militaire dans lequel le débat n'est guère plus envisageable. Russophobie primaire pour les uns, simple « antisoviétisme tardif » pour les autres, Custine et la guerre froide règnent encore dans bien des esprits pour lesquels « les Russes, c'est l'ennemi. » A tel point que certains chercheurs, parmi les meilleurs connaisseurs de la Russie, sont mis à l'écart par leurs confrères, redoutant de collaborer avec ceux qui ne suivent pas la ligne officielle: intransigeance vis-à-vis de Moscou, dénonciation de la diplomatie russe. Cette lâcheté, car c'est bien de cela qu'il s'agit lorsqu'on refuse de coopérer avec un hétérodoxe de peur de lui être assimilé, donne naissance à une autocensure d'autant plus grave qu'elle réduit un peu plus le débat et s'ajoute à la censure active orchestrée par certains membres influents des milieux diplomatique et militaire envers tout ce qui n'est pas anti-russe.
Or cette influence doit, elle aussi, être questionnée en retour. Qui sert-elle? Les intérêts de la France?
La dénonciation systématique de tous ceux qui ne « bouffent pas du russe » soir et matin est l'apanage dans ce pays de journalistes, chercheurs ou fonctionnaires qui, loin de refléter la majorité de l'opinion publique française, défendent des intérêts qui, s'ils sont les leurs, ne sont pas nécessairement ceux de la France. Dans ce cadre tout débat est impossible et le restera tant qu'un minimum de sens de l'Etat, de souci de l'indépendance nationale et d'honnêteté intellectuelle ne sera pas restauré. Certains remaniements ministériels sont évoqués d'ici la fin 2015. Souhaitons qu'ils soient l'occasion de mettre en place des hommes qui possèdent ces valeurs et les imposent à leurs subordonnés.
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