Des politologues français préoccupés par la pauvreté du débat stratégique sur la Russie ont publié, dans le journal Le Monde, une lettre collective appelant à changer d'approche dans l'étude de ce pays.
"La Russie et l’Europe partagent un même continent, et ne peuvent avoir des trajectoires historiques cloisonnées", lit-on dans cette lettre.
Selon ces spécialistes de la Russie, la crise ukrainienne – de la Crimée au Donbass – a révélé à quel point le paysage stratégique français était polarisé sur la question.
"On ne peut qu’être inquiet de la pauvreté relative du débat stratégique. Comme souvent concernant l’espace postsoviétique, seules les positions radicales aux deux extrêmes du spectre – la simple reproduction du discours du Kremlin, ou le renouveau d’une russophobie viscérale – se sont exprimées. Diabolisation et dénonciations ont laissé l’opinion publique, les médias et les cercles de décision politiques et économiques dans l’impasse intellectuelle et stratégique", sonnent l'alarme les auteurs de la lettre.
Il est temps, selon eux, de refonder une école française de pensée stratégique sur la Russie. Temps de faire tomber les clichés sur une Russie qui ne serait qu’un monstre froid avide d’expansion territoriale, ou à l’autre extrême, d’une Russie seule en mesure de sauver l’Europe de ses démons libéraux et transatlantiques.
Les auteurs de la lettre collective appellent tous ceux qui contribuent à la prise de décision à s’appuyer sur des analyses objectives – qui intègrent aussi bien le long passé des relations franco-russes que les tensions et rivalités contemporaines – et à se libérer des différents lobbies qui se sont multipliés ces dernières années, et qui cherchent à influencer les perceptions des Français.
La conclusion des experts français se résume comme suit: mieux comprendre la Russie doit permettre à la France d’anticiper les trajectoires stratégiques pour affirmer ses propres intérêts et ceux de l’Europe dans cette aire géopolitique essentielle.
Parmi les signataires de la tribune figurent Henry Zipper de Fabiani, ancien ambassadeur de France, Jean-Robert Raviot, professeur d'études russes et post-soviétiques à l'Université Paris Ouest Nanterre, Jean Radvanyi, professeur des universités à l’INALCO, ainsi que plusieurs chercheurs et conseillers.