L'importance des BRICS est même reconnue par un occident jaloux et déphasé qui ne sait comment se féliciter d'avoir fait de la Russie un « pays isolé et condamné par tous » sur la scène internationale. Mais même au niveau européen, on ne peut pas dire que la rencontre de Vladimir Poutine avec le pape François, Renzi et Berlusconi — qui a demandé la fin des sanctions — puisse être perçue comme une démonstration que la Russie est un pays humilié et offensé. On assiste ici surtout à un maelström médiatique qui concerne exclusivement les journaux et les agences occidentales qui le promeuvent; toutes et tous entre les mains d'une camarilla russophobe et surtout psychotique.
Dans son excellent livre sur Charlie, qui fait le point sur l'américanisation de l'Europe occidentale et les déprédations morales qui en découlent, l'anthropologue et penseur Emmanuel Todd remarque que les élites sont devenues russophobes en Europe, et ce d'une manière presque fonctionnelle. Les élites sont passionnément russophobes parce qu'elles se reconnaissent dans le modèle dit des élites hostiles, le modèle oligarchique américain qui maltraite son peuple et lui impose un cruel Etat policier, modèle oligarchique qui concentre la richesse entre les mains d'une poignée de banquiers et de spéculateurs, modèle oligarchique enfin qui se maintient au pouvoir en créant des dangers imaginaires; le péril musulman, le péril russe, hier encore le péril jaune, aujourd'hui toujours le péril jaune; car la rhétorique antichinoise prend un tour inquiétant.
Les médias sous contrôle reproduisent fidèlement cette vision oligarchique et psychotique. Le mythe de la Russie isolée repose sur une vision médiatique biaisée: on confond les USA, la Royaume-Uni et quelque affidés (l'Allemagne et le Japon qui restent de simples protectorats américains: dixit Brzezinski en 1997 dans son Grand échiquier) avec la communauté internationale, et on confond de façon inepte cette communauté internationale avec le monde.
Sagesse de Dieu, folie du monde, dit Saint Paul; sagesse du monde, folie de l'Occident pourrions-nous dire ici en rappelant aussi que la Russie se rapproche aussi de la Turquie ou de l'Egypte, sous les imprécations et les sarcasmes de la petite presse occidentale, plus tellement lue, mais tellement subventionnée. Les plans sociaux des journaux se multiplient en France, Newsweek a disparu des kiosques, le Washington Post aboie pour Amazon et le NYT pour le mexicain le plus riche du monde. Tout cela explique cette désagrégation morale de la presse qui soutient les arguties les plus belliqueuses. Cela n'empêche pas la Russie de vendre aujourd'hui autant d'armes que la médusée hyper-puissance américaine.
Emmanuel Todd explique que la Russie a un destin éminemment gaulliste qui permettrait à l'Europe d'échapper à l'étouffante emprise américaine (on croirait le serpent de Laocoon dans l'Eneide de Virgile, qui d'ailleurs vient aussi de la mer); et que c'est un pays fondamentalement égalitaire, ce qui nuit à l'emprise agressive, corporative et oligarchique de la société américaine.
Les menaces et imprécations américaines n'ont pas empêché les faits suivants:
L'Iran a été épargné, l'Amérique du Sud a retrouvé son indépendance et tonne avec Dilma Rousseff contre le modèle du Big Stick américain; la Chine investit en Afrique et crée avec la Russie la sphère de coprospérité asiatique dont le vrai continent (par opposition au vieux continent) avait tant besoin. L'Occident américain lui se limite à la gesticulation militaire et à la théâtralité offusquée: et ce ne sont pas ses centaines d'experts ou de troufions qui changeront la donne en Asie centrale. Quant à ses prestations en Syrie…
Il y a cinquante ans Enoch Powell prônait un rapprochement de l'Europe et de la Russie, ainsi qu'une surveillance de nos frontières au sud. Voyez où nous en sommes: l'OTAN veut la guerre contre la Russie et a créé l'invasion au sud via la Lybie.
Comme dit Hegel, la sagesse vient au soir du monde, comme la chouette.
Nous verrons bien.