Poutine en Italie: Rome donne des leçons d’indépendance à Paris

© AFP 2024 OLIVIER MORIN Russian President Vladimir Putin (L) shakes hands with Italian Prime Minister Matteo Renzi at the end of their press conference following a meeting and a visit at the Expo Milano 2015, the universal exhibition, on June 10, 2015 in Milan
Russian President Vladimir Putin (L) shakes hands with Italian Prime Minister Matteo Renzi at the end of their press conference following a meeting and a visit at the Expo Milano 2015, the universal exhibition, on June 10, 2015 in Milan - Sputnik Afrique
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Alors que la France affiche son intransigeance sur le dossier ukrainien, d’autres Européens ménagent la Russie et leurs parts de marché. L’Italie vient à ce titre d’afficher une belle indépendance en signant un contrat massif avec Moscou. L'Analyse de Philippe Migault.

Vladimir Poutine a officialisé ce marché, attribué en décembre dernier, aux côtés du Premier ministre italien Matteo Renzi, qui l'a cordialement reçu à Milan mercredi. Et il ne s'agit pas de n'importe quel contrat, mais de la production sur dix ans de 160 hélicoptères moyens AW189 par une coentreprise italo-russe, Helivert, basée à Tomilino, dans la banlieue de Moscou.

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Ces engins sont destinés au groupe pétrolier Rosneft, donc au marché civil. Mais l'hélicoptère est par essence dual. L'Italien Agusta-Westland, en engageant une collaboration au long cours avec Hélicoptères de Russie, son partenaire industriel, et Rostekhnologiï, la holding d'Etat chapeautant toutes les entreprises stratégiques russes, prend en conséquence l'avantage sur ses concurrents européens, tant du point de vue des marchés civil que militaire. Même si la Russie recherche pour l'heure l'autonomie stratégique, c'est sans doute vers ceux qui auront été là pendant la crise que les Russes se retourneront pour conclure de nouveaux contrats, y compris sur le segment de la défense, lorsque les sanctions seront levées. Agusta-Westland sera alors idéalement placé par rapport à Airbus Helicopters mais aussi par rapport aux équipementiers français Thales, Sagem DS, Turbomeca, dont l'activité sur le marché russe est déjà durement impactée par la politique de sanctions européennes.

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Bien entendu la signature de ce contrat et d'autres marchés associés, d'un montant total de 3 milliards d'euros, ne signifie pas que l'Italie entend se dissocier de ses partenaires de l'UE. Vladimir Poutine, qui a souligné que les sanctions avaient déjà provoqué une perte d'un milliard d'euros pour l'économie italienne, en est bien conscient. Il n'en demeure pas moins que Matteo Renzi a su faire preuve d'une belle indépendance en défendant les intérêts de l'industrie italienne et en méprisant le qu'en-dira-t-on des autres Etats de l'Union Européenne.

Il est dommage que la France, qui est légalement parfaitement en droit de livrer les deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral commandés par la Russie, ne s'affranchisse pas elle aussi des pressions «occidentales» pour régler ce dossier en laissant le Vladivostok et le Sébastopol prendre la route de la Russie. Le patriotisme économique, tellement vanté par les autorités françaises en ces temps de crise, ne consiste pas seulement à arborer une marinière bretonne. Il implique aussi de soutenir les exportations pour sauver l'emploi. Et cela ne concerne pas seulement les chantiers navals français DCNS et STX, constructeurs des BPC. D'autres groupes de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) française étaient à l'affût sur le marché russe, ou en phases de négociations, pour des marchés dépassant quelquefois le montant du contrat Mistral, lorsque la France a décidé de geler toute collaboration militaro-industrielle avec la Russie. Thales, Safran, les entreprises de défense les plus efficacement engagées en Russie depuis une quinzaine d'années, partenaires de longue date d'Hélicoptères de Russie, rapatrient aujourd'hui peu à peu leurs personnels expatriés. Les investissements conséquents consentis sur le marché russe par ces entreprises risquent de l'avoir été en pure perte. Car les Italiens ne sont pas les seuls à profiter des opportunités délaissées par les Français.

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KRET, le spécialiste russe de l'électronique de défense, a conclu cette semaine un accord avec son homologue israélien Elbit Systems pour développer conjointement une partie de l'avionique du futur moyen-courrier russe MS-21, les deux sociétés envisageant déjà de pousser plus loin leur collaboration sur ce programme. Les entreprises chinoises, qui ont réalisé ces dernières années de très sensibles progrès en matière d'optronique, sont prêtes, elles aussi, à prendre le relai des Français en termes de fourniture de sous-systèmes et d'équipements sur des programmes en collaboration avec la Russie. Il suffit que cette dernière le veuille.

Les BITD émergentes, de plus en plus concurrentielles, risquent de truster les opportunités en Russie. Alors que les sociétés françaises n'ont pas accès aux deux principaux marchés militaires mondiaux, la Chine et les Etats-Unis, et qu'elles sont par ailleurs confrontées à une compétition sans cesse plus féroce au Moyen-Orient ou en Asie, nous nous privons volontairement du relai de croissance russe, l'un des plus prometteurs. Nous risquons de le regretter rapidement.

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Car si les temps sont à l'optimisme en ce qui concerne l'industrie de défense française, forte d'un beau succès à l'export en 2014 avec 8,2 milliards d'euros de contrats, les industriels, eux, savent qu'il n'y aura pas chaque année un gros contrat saoudien ou plusieurs ventes de Rafale pour soutenir l'activité. Et que s'il est admirable de demeurer inflexible sur les principes, il ne faut pas que cette posture finisse par s'apparenter à celle du capitaine sombrant, pavillon haut, avec son navire. 

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