Comme il est bien souvent difficile de séparer le bon grain de l'ivraie, il est souvent très malaisé de faire le distinguo entre des informations formellement pertinentes mais falsifiées et des comptes-rendus respectueux de la réalité.
Le témoignage d'une personne qui a été à 500 mètres de la ligne de front et qui s'endormait, plusieurs nuits de suite, au son d'une canonnade quasi-permanente vaut même plus qu'une analyse géopolitique certes minutieuse et cependant théorique à laquelle échappe, forcément, la dimension humaine et ce que j'appellerais, par extension, le sens du terrain.
Laurent Brayard vient de se rendre dans le Donbass. Il est historien et écrivain ayant vécu en Russie, journaliste à la Voix de la Russie, puis pour la Novorossia (agence Novorossia.Vision puis Novorossia.Today), membre de l'UPR et de la SEHRI (société de recherche sur la Révolution et le Ier Empire).
Laurent Brayard. J'ai passé dans le Donbass six jours, c'était donc très court comme séjour. Ce que j'ai vu tient évidemment à cette fameuse question que tout le monde se pose et qui concerne la supposée présence militaire russe. Je suis passé par deux postes-frontières: d'abord un petit poste à côté de la ville de Novochakhtinsk, à 80 km au nord de Rostov, et le suivant, au retour, par Matveev-Kourgan, un poste bien plus grand qui est dans la lignée de la route de Rostov. On entend souvent des journalistes et des activistes parler d'une armée russe composée de 20 à 50.000 hommes. En tant qu'historien militaire, je sais qu'il y a actuellement un combattant au front et au moins trois à l'arrière. Une telle armée nécessite du ravitaillement, un va-et-vient de camions, de l'essence, une structure de soutien! Les médias occidentaux affirment que des troupes russes sont massées aux frontières. Je n'ai rien vu de tout cela! Comment cacher de tels contingents dans un pays dont le relief est propre aux steppes des cosaques. Je suis rentré dans le Donbass, j'ai fait un parcours de 200 km environ jusqu'à Donetsk. J'ai ouvert grand les yeux et je n'ai vu que des soldats un peu dépenaillés de la Novorossia, les fameux « Opoltchentsi » ou milices populaires. J'ai trouvé leurs uniformes très hétéroclites, il s'agissait véritablement de « gueules » parce qu'il ne faut pas oublier que nous étions dans une région de mineurs et que les hommes y rappellent souvent ceux que l'on peut voir sur les vieilles photos des années 50 et 60 dans les régions minières de France, des PERSONNAGES!
J'ai donc traversé ces vastes contrées sans y apercevoir la moindre trace d'armée russe. M'étant retrouvé, un peu plus tard, à 500 mètres de l'aéroport, c'est-à-dire à l'arrière immédiat du front, je n'ai vu aucun soldat russe, seulement les volontaires en question. Certainement y-a-t-il pas mal de Russes parmi ces derniers mais ce ne sont pas des armées au sens strict!
Radio Sputnik. « Il semblerait qu'il y ait une certaine différence dans la perception du projet « Novorossia » selon que l'on se trouve en RPD ou en RPL. Avez-vous croisé des gens qui d'un côté sont hostiles à Kiev mais qui, parallèlement, sont réticents au projet d'une République élargie?
Laurent Brayard. Oui, la vie politique des deux Républiques est assez riche. Une sorte de Doumé suite au référendum puis aux élections. Or, ce qui est typique des périodes révolutionnaires — la Révolution française ne fit pas exception — il y a pas mal de contradictions politiques. Il y avait à Lougansk des représentants au congrès antifasciste auquel j'ai participé, il y avait aussi des représentants de Donetsk — en effet, les avis sont mitigés. Certains aspireraient à une République entièrement indépendante de la Russie qui équivaudrait à un projet d'envergure nationale. Le mot d'ordre serait alors: reconstruire le pays sous les drapeaux des Républiques. S'il faut un exemple représentatif de cette tendance, je pense à Pavel Goubarev. D'autres espèrent beaucoup plus une intégration complète de la Novorossia à la Russie, comme ce fut le cas de la Crimée. Enfin, j'ai même croisé quelques habitants qui eux étaient totalement opposés à ce projet et voulaient retourner dans l'Ukraine. Ces gens sont minoritaires et j'étais surpris d'en croiser parce que dans un conflit de ce genre où la haine aveugle paralyse souvent les esprits les voir ici pouvoir exprimer leur opinion m'a prouvé que les gens qui me conduisaient ne m'avaient pas amené vers des interlocuteurs choisis.
Radio Sputnik. Vous avez pris part au III congrès antifasciste de Donetsk. Quelles sont vos impressions?
Radio Sputnik. Vous avez écrit un livre qui s'intitule « Ukraine. Le royaume de la désinformation ». C'est en tant qu'historien, faits purs et durs à l'appui, que vous analysez la nature du conflit en question. Peut-on, partant de cette élucidation, prévoir quel sera l'éventuel dénouement d'une guerre que Minsk-2 n'a pour l'heure que gelé?
Laurent Brayard. C'est une question que j'avais beaucoup posé lors de mon déplacement. Les hommes et les femmes que j'ai pu interroger ont véritablement la sensation qu'ils vont vaincre. Vaincre, cela veut dire acquérir leur indépendance ou du moins ne pas vivre avec les Ukrainiens de la façon que l'on tend à leur imposer. C'est une espèce d'autonomie qui est revendiquée. Il est certain que le conflit ne peut se régler que de deux façons. Soit militairement: les combattants, notamment Guillaume Lenormand, m'ont dit que les Ukrainiens s'entraînaient et qu'une nouvelle offensive était attendue à n'importe quel moment. Les provocations sont récurrentes et la trêve en réalité quasi-inexistante. Soit diplomatiquement: des négociations sont en effet envisageables mais elles ne pourront se faire cette fois-ci qu'avec les habitants du Donbass. Il y a eu jusqu'ici des négociations avec la Russie qui est naturellement partie prenante et très inquiète de ce qui se passe. S'il est vrai qu'elle ne soutient pas à fond la Novorossia, elle la soutient quand même à un niveau humanitaire puisqu'elle ne saurait se désintéresser du sort d'une population majoritairement russophone. Mais il faudrait maintenant que ces négociations impliquent beaucoup plus de parties, européennes et américaines y compris, cela dit je vois mal comment cela pourrait se faire. Le sang a coulé! Or, l'âme des Slaves est ainsi faite qu'elle tient à la mémoire historique. La II GM, c'était hier. Cette guerre est une fracture que les Européens méconnaissent: ces gens-là ne pourront plus vivre ensemble pendant longtemps! »
Entre-temps, nous apprenons que l'Ukraine poursuit son lent naufrage. Kiev compte se déclarer en faillite pour éviter de payer ses dettes. D'accord! Mais faire faillite ne signifie pas déroger à la loi. Il faudra payer mais autrement. C'est ainsi que la famille Rothschild a racheté une grosse partie de la dette ukrainienne en échange, l'information se confirme, de la mise en vente de la moitié des grandes entreprises du pays. Leur privatisation à la vitesse grand v est déjà en cours, elle concerne 300 sites pour cette année. C'est sans compter la vente des actions des compagnies énergétiques des grandes régions et celui des paquets de contrôle de plusieurs sociétés énergétiques. On le voit, le Maïdan n'a fait que ramener le pays aux sinistres années 90, CQFD.
L'instabilité politique parachève cette triste esquisse. Porochenko ne jouit plus des faveurs que lui accordait le clan le plus belliciste de l'Establishment, le peuple se retourne progressivement contre lui avec, à l'arrière-plan, les menaces récurrentes et ambiantes des ultra-nationalistes, Iaroch en tête. D'une république bananière nous passons à une république mafieuse accomplie. En pleine Europe.
L'expérience novorossienne est à ce titre doublement intéressante puisqu'elle rappelle, de par le caractère massif de l'engagement européen dans les rangs des volontaires, la guerre d'Espagne. Les jeunes Français s'engageaient alors dans un combat idéologique qu'ils n'avaient pas la possibilité de mener chez eux. Idem en l'occurence: les jeunes volontaires européens s'engagent pour lutter contre l'impérialisme hyper-agressif de l'OTAN, donc, pour l'Europe des nations souveraines. C'est le symbolisme flagrant de ce mouvement des Peuples qui est rejeté par la classe dirigeante occidentale mais qui, contre vents et marées, continue à se développer.
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