Au premier abord, ces deux faits n'ont rien à voir. Mais en y regardant de plus près, ils ont en fait beaucoup en commun, signale le membre du Club Zinoviev de Rossiya Segodnya Oleg Nazarov.
L'une des tables rondes de la conférence était consacrée à "La mort de l'utopie: le communisme et la démocratie universelle contrôlée", modérée par Alexeï Pilko. Un rapport intéressant et profond a été présenté par Vladimir Lepekhine. Dmitri Mikheev, qui a pris la parole pendant la discussion, a attiré l'attention sur le fait que l'essence profonde de l'idéologie anglo-saxonne était différente du joli emballage dans lequel elle était servie au monde. L'emballage vante des valeurs très attrayantes — la démocratie, la primauté de la loi, la poursuite du bonheur, etc. Tandis que la partie intérieure, non-affichée, de l'idéologie, est presque darwinienne. Ayant réservé leur place au sommet de la hiérarchie humaine, les Anglo-Saxons rangent le reste de l'humanité en fonction de leurs propres intérêts, fantaisies et préférences. Les conséquences de ce classement: des hiérarchies raciales, religieuses et autres. Les Russes et les orthodoxes ne figurent pas parmi les "lauréats" de ces "compétitions".
Le caractère russe et la culture russe à travers les yeux d'un russophobe
En ce qui concerne le dénigrement de la Russie et des Russes, de Custine avait des prédécesseurs. Le marquis était familier des Notes sur les affaires moscovites de Sigmund von Herberstein, publiées en 1549. Cependant, La Russie en 1839 a défini l'orientation stratégique de la propagande occidentale pour deux siècles — la russophobie.
La raison d'une telle popularité des notes de voyages de Custine a été révélée par le vieil "ami" de la Russie et des Russes, Zbigniew Brzezinski: "Aucun soviétologue n'a pour l'instant rien ajouté aux révélations de Custine en ce qui concerne le caractère russe et la nature byzantine du système politique du pays."
L'aristocrate français, dont l'opinion a été partagée de bonne grâce par le politologue américain d'origine polonaise, déclarait que "la forme du gouvernement russe combinait tous les défauts de la démocratie et du despotisme sans avoir aucun des avantages de ces régimes." Et dans le caractère des Russes, il a découvert "plus de finesse que de délicatesse, plus de bonhomie que de bonté, plus d'indulgence que de tendresse, plus de prévoyance que d'ingéniosité, plus d'esprit que d'imagination, plus de sens de l'observation que d'intelligence, mais au-dessus de tout, ils
(les Russes — O.N.) sont mercantiles. Ils ne travaillent pas pour obtenir des résultats utiles mais seulement pour une récompense. La flamme créatrice leur est inconnue, ils ne connaissent pas l'enthousiasme qui crée tout le grand.. Les hauteurs du génie leur sont inaccessibles".
"La russophobie, la peur de la Russie qui imprègne le livre du Français, ne se définit pas seulement par les qualités négatives du pays qu'il décrit, mais également, voire plus, par les qualités qu'il admire", constate Vadim Kozhinov, journaliste et critique littéraire.
Alexandre Zinoviev parlait lui aussi de la peur devant ceux qui n'avaient pas accès aux "hauteurs du génie":
Je peux en juger d'après mon propre exemple. Si je n'étais pas Russe, les portes de toutes les universités me seraient ouvertes. Toutes les maisons d'éditions m'inviteraient. Au début, j'ai pu "me glisser" et suis devenu célèbre par erreur. Premièrement, on m'avait pris pour un non-Russe, deuxièmement, pour un dissident. Et moi, je me suis avéré à la fois Russe et non dissident! Et tout d'un coup — la peur! Heureusement, à ce moment-là, j'avais déjà un certain poids dans le monde de la science occidentale et dans la littérature. Mais depuis, on n'arrête pas de me réprimer. Que tout le monde qui veut partir en Occident, sache: ici, il n'y a aucune chance de réussir en restant Russe et indépendant."
Comment les "barbares" ont sauvé "la crème de la crème" de l'humanité
En jugeant les Russes barbares, Custine ajoute avec une certaine condescendance: "Je ne blâme pas les Russes pour ce qu'ils sont, mais je condamne leur prétention à vouloir sembler les mêmes que nous. Ils sont encore totalement incultes. Cela ne leur ôterait pas l'espoir de devenir plus cultivés, s'ils n'étaient pas absorbés par le désir d'imiter les autres nations, comme des singes, en se moquant en même temps de ceux qu'ils imitent. On ne peut pas s'empêcher de penser que ces gens sont perdus pour un état primitif et inaptes à la civilisation."
Dans son interview accordée à Vladimir Bolchakov en 1994, Zinoviev déplore le fait que "nos compatriotes eux-mêmes permettent de telles moqueries à leur égard, n'y réagissent pas d'une manière digne, s'humilient à plat ventre devant l'Occident. On juge le pays et le peuple sur ceux qui les représentent. Et notre pays et notre peuple sont représentés par de tels dégénérés qu'il serait absurde de s'attendre à une autre attitude de l'Occident même pas envers le communisme, mais surtout envers la Russie et les Russes."
Mais si Zinoviev parlait de quelques "dégénérés", de Custine assurait ses lecteurs que la
quasi-totalité des Russes étaient "inaptes à la civilisation".
Il est également caractéristique que 75 ans plus tard, des vues similaires aient été développées par le compatriote du touriste français, l'ambassadeur français en Russie Maurice Paléologue. Il a vécu en Russie pendant plusieurs années, fréquentait les représentants de l'élite russe et en connaissait beaucoup plus sur le pays que de Custine. C'était lui qui demandait de l'aide à Nicolas II pendant les premières semaines, tragiques pour la France, de la Première guerre mondiale. Aujourd'hui, quand la Russie et la France célèbrent le centenaire du déclenchement de la guerre, il convient de rappeler que l'aide de la Russie est venue juste à temps. "Si la France n'a pas été anéantie en 1914, elle le doit avant tout à la Russie", témoignait le maréchal français Ferdinand Foch.
Paléologue n'a pas trouvé de mots de gratitude pour nos ancêtres. En outre, peu de temps après qu'ils ont sauvé la France de la défaite, l'ambassadeur a déclaré: "D'après leur développement culturel, les Français et les Russes ne sont pas au même niveau. La Russie est l'un des pays les plus arriérés du monde. Comparez cette masse ignorante et inconsciente avec notre armée: tous nos soldats sont éduqués. En première ligne se battent les jeunes forces qui se sont illustrées dans les arts, les sciences. Les gens talentueux et raffinés, la crème de la crème…".
La "barbarie" russe et le "Code noir" français
"Ce qui m'indigne le plus c'est qu'en Russie, l'élégance la plus raffinée côtoie la barbarie la plus dégoûtante. S'il y avait moins de luxe et de béatitude dans la vie de la société mondaine, la condition des gens ordinaires me ferait moins pitié. Les riches ne sont pas ici concitoyens des pauvres", écrivait Custine.
Ksenia Mialo, dans son article "Le chemin chez les barbares, ou le voyage éternel du marquis de Custine" rappelle que "la France avait l'honneur exclusive de la paternité du document, appelé le Code noir, qui avait consacré la pratique pan-européenne de deux siècles. Le Code noir est un édit de 60 articles, édité par Louis XIV en mars 1685 qui n'a été définitivement aboli qu'en 1848 (il a été suspendu en 1794, mais est rentré en vigueur en 1802). En d'autres termes, c'était une exclusion juridiquement formalisée de toute une race de personnes — des noirs — au-delà de la notion même de droit, à l'époque où la philosophie des droits et des libertés de l'homme commençait à prendre forme…
En d'autres termes, au moment où, selon les avis de Custine et de Brzezinski, la Russie macérait dans la barbarie, la conscience européenne (plus largement — occidentale) se caractérisait par l'idée immanente de l'humanité désunie, inégale. L'inégalité juridique devait tout simplement légaliser l'inégalité antropologique, voire métaphysique."
Il est significatif que ce "bouquet" d'inégalités ait été délibérément "ignoré" par tous les civilisateurs européens, qui ont noirci des tonnes de papier pour la défense de tous les droits et libertés imaginables. De la même façon, au début du XXIe siècle, beaucoup d'intellectuels occidentaux ne trouvent pas de preuves du génocide de la population russe dans le Donbass et dans la région de Lougansk. Ils examinent si ce n'étaient pas les habitants d'Odessa eux-mêmes qui se sont mis le feu le 2 mai dans la Maison des syndicats, et si ce n'étaient pas des dizaines de jeunes filles et de femmes elles-mêmes qui se sont violées, fusillées et enterrées dans le Donbass.
La "cécité nocturne" des intellectuels occidentaux s'explique non seulement par la pression de Washington, mais aussi par de longues traditions de russophobie européenne.
Les révélations de Custine, sur fond de faits historiques, confirment la conclusion des participants des Lectures de Zinoviev sur l'idéologie occidentale comme une idéologie à double fond. Sur l'emballage de ce "bonbon" il y a une chose, et à l'intérieur une autre. Et les changements ne sont pas à attendre.
Oleg Nazarov, docteur en histoire, membre du Club Zinoviev de Rossiya Segodnya