La voix du continent africain est de plus en plus entendue sur la scène internationale. Elle devrait prendre les devants d’ici 15-20 ans, a déclaré à Sputnik Afrique Irina Abramova, directrice de l’Institut de l’Afrique de l’Académie des sciences de Russie, en marge du Club de discussion Valdaï à Sotchi qui porte sur la multipolarité et le développement pour tous.
"L’Afrique est le continent du XXIe siècle et se trouve actuellement dans la position d’un tigre sur le point de bondir", a-t-elle estimé, commentant l’adhésion de deux pays africains, l’Égypte et l’Éthiopie, aux BRICS. Selon ses dires, le même processus était observé en Chine, au début des années 2000. On observe la même situation en Inde.
Cependant, ces transformations se passent dans les conditions d’un "colonialisme qui n’est parti nulle part", poursuit Mme Abramova, qui est aussi membre de la présidence de l’Académie des sciences de Russie, en revenant sur les propos du Président russe sur ce sujet:
"Seuls les outils du colonialisme ont changé. Si auparavant il s'agissait de vol direct et d'asservissement, il s'agit désormais de formes plus sophistiquées. Ce sont notamment l'utilisation d’instruments tels que la domination du dollar, la destruction de l'identité nationale, le rétrécissement de l'espace d'utilisation de sa propre langue, la corruption des élites, toutes sortes de sanctions".
Bannir les instruments de l’Occident
En effet, le système financier actuel tourne autour des intérêts du "golden billion", a ajouté la chercheuse, reprenant de nouveau les paroles de Vladimir Poutine.
Par conséquent, pour donner libre cours à la croissance des autres pays, il est nécessaire de modifier les moyens d’enrichissement, imposés par l’Occident, suggère-t-elle:
"L'instrument principal, bien entendu, est la domination du dollar, car, quoi qu'on en dise, la plupart des transactions mondiales continuent de s'effectuer dans cette monnaie. En effet, les États-Unis ont une fonction d'émission, et sont essentiellement propriétaire de la monnaie de réserve depuis l'introduction du système de Bretton Woods en 1947. En fait, ils transfèrent leurs problèmes sur le monde entier, y compris leurs dettes", explique la directrice de l’Institut de l’Afrique.
De ce fait, il faut "abandonner le dollar". La réalisation de transactions en devises locales semble constituer un moyen de transition, a avancé Irina Abramova. Néanmoins, il faut respecter l’équilibre commercial entre les participants, selon elle. Mais cela n’est pas susceptible de devenir un instrument clé:
"Je pense que l’avenir réside en réalité dans les monnaies numériques. Et d'ailleurs, l'Afrique à cet égard, on ne peut pas dire qu'elle est en avance sur les autres, mais c'est une région assez développée en termes de cryptomonnaies".
D’autant plus que l’Afrique présente un niveau d’intégration assez élevé de ce type de paiements:
"Plusieurs pays africains figurent parmi les dix leaders mondiaux des paiements en ligne. L’Afrique est également en tête, du moins en termes de taux de croissance. Je donne toujours l'exemple que le premier paiement en ligne au monde n'a pas eu lieu aux États-Unis, ni en Europe, mais dans un pays africain, le Kenya", a indiqué la chercheuse.
Fin des sanctions
L’effondrement de l’hégémonie de l’Occident devrait faciliter la destruction de son système de sanctions, "lesquelles sont appliquées dans une large mesure parce que ces instruments se retrouvent entre les mains de l’Occident, dont, en premier lieu, les flux financiers".
Selon elle, le pronostic est plutôt optimiste à cet égard, car "l’opération militaire spéciale en Ukraine a fortement accéléré tous les processus de changement et de perturbation de l’ancien ordre mondial".
"C’est pourquoi je pense qu’en principe l’avenir réside dans la justice, dans la multipolarité, mais nous devons tous y travailler dur", a estimé Mme Abramova.
Attentes pour le partenariat russo-africain
Les mêmes perspectives prometteuses se dessinent dans la sphère des échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique. En effet, le volume de leur commerce a bondi de 43,5% pour les huit premiers mois de 2023, s’élevant à 15,5 milliards de dollars.
L’exportation de produits russes vers le continent étant en hausse, les mêmes espoirs sont centrés sur l’augmentation des importations depuis les pays africains sans passer par l’Europe, poursuit-elle.
"Un exemple frappant est le cacao. Nous l'achetions toujours via la Suisse et l'Estonie. Désormais, nos opérateurs économiques souhaitent qu’ils viennent directement chez nous".
Quant aux moyens de paiement, les parties ont également mis en place un mécanisme à part entière, raconte la directrice de l’Institut de l’Afrique:
"Un représentant du Ghana ou de la Côte d'Ivoire - la Côte d'Ivoire se classe au premier rang en Afrique pour les exportations de cacao, le Ghana est le deuxième - ouvre un bureau de représentation en Russie. Il apporte du cacao ici, nous payons en roubles, et ici il achète les marchandises nécessaires pour nos roubles afin de les envoyer chez lui au Ghana".
Multipolarité et développement pour tous
Réunissant plus d’une centaine de participants étrangers, la 20e édition du Club de discussion Valdaï se déroule dans la ville russe de Sotchi, baignée par la mer Noire, entre le 2 et 5 octobre 2023. Cette réunion est intitulée "Multipolarité équitable: comment assurer la sécurité et le développement pour tous". Elle accueille 140 experts, hommes politiques et diplomates de 42 pays d'Eurasie, d'Afrique, d'Amérique du Nord et du Sud. Traditionnellement, lors de la réunion annuelle de Valdaï, la majorité des invités sont des participants étrangers.
Ces dernières années, les rapports du Club de Valdaï ont analysé en détail la dynamique des changements dans l'ordre mondial - d'abord la crise, puis le démantèlement du vieux monde. L’effondrement du système précédent de relations internationales s’est déjà produit. Le concept de multipolarité a pris vie. Cette année, les participants tenteront de produire une image du nouveau monde: par exemple, à quoi ressemblera-t-il au début de la prochaine décennie ?