Les Africains ont des souvenirs très amers des atrocités survécus à l’époque coloniale, "dont ils ont été victimes à travers leurs ancêtres, par des civilisateurs qui étaient en réalité des êtres très violents", a dénoncé auprès de Sputnik Afrique Bayala Lianhoué Imhotep, analyste politique burkinabè, en commentant les propos de Vladimir Poutine faits lors du Forum économique oriental (FEO) le 12 septembre.
"Ça ronge les Africains de savoir qu'ils ont subi autant de torts, autant de crimes et autant d'humiliations, parce que même jusqu'en Belgique, on mettait des enfants dans des cages qu'on vendait ou présentait comme dans des zoos. Et les Africains, quand ils tombent sur ces images, ça crée un choc, ça crée un trouble psychosomatique. C'est d'une violence extrême, une violence psychologique, une violence morale", a-t-il lancé, revenant sur la phrase du Président russe qui a dit que personne en Afrique ne pourrait oublier les horreurs commises par les colonisateurs.
Les choses n’ont pas changé depuis, selon lui, citant l’exemple du comportement de la France à l’égard d’États souverains d’Afrique tout à fait dans l’esprit du néocolonialisme contemporain:
"Cette attitude de la France montre que Poutine a parfaitement raison parce que c'est une attitude néocoloniale. Quand on stationne des troupes estimées à plus de 5.000 soldats sur un territoire souverain, c'est du néocolonialisme. Quand on interfère dans les questions politiques de gouvernance et on dit que, par exemple, le Président Bazoum du Niger est le Président légitime. […] On est toujours dans la pensée coloniale".
Enfin, il a rappelé les propos du Président français au sujet de l’origine du dirigeant nigérien renversé:
"Macron dit que le Président Bazoum est issu d'une ethnie minoritaire. Évoquer ces notions-là, on est dans une posture qui consiste à faire du chantage aux Africains en évoquant les questions des diversités".
Pour lui, il ne suffit pas aux Occidentaux de simplement s'excuser de ces atrocités, s’ils continuent à les commettre aujourd'hui. À ce propos, il a cité les récents évènements au Niger, au Mali ou au Burkina Faso. Selon l’analyste, les États occidentaux concernés doivent, dans un premier temps, payer les préjudices causés à l’Afrique. Puis, ils devraient être traduits en justice au niveau international, demander publiquement pardon et être sanctionnés:
"Cette réparation, c'est payer le préjudice, qu'il soit financier, qu'il soit matériel, qu'il soit moral. […] Que ces pays-là soient traduits en justice, ce pardon doit être public et prononcé par une instance judiciaire et assortie de sanctions".
Les mêmes outils depuis l’esclavage
L’artificialité de l’indépendance africaine se manifeste également par le fait que les anciens colonisateurs continuent d’utiliser les mêmes pratiques de l’époque coloniale, a estimé de son côté Jean René Ndouma, économiste camerounais, en commentant lui aussi auprès de Sputnik Afrique le même discours du chef d’État russe.
"Je suis d'accord avec le Président Vladimir Poutine lorsqu'il rappelle que les politiques qui sont menées par les chefs d'État occidentaux impérialistes relèvent très souvent, j'allais même dire relèvent toujours, du néocolonialisme. C’est parce qu'il s'agit de tout un système qui a été entretenu depuis l'esclavage et qu'on maintient en essayant de changer un peu les instruments et les outils qui sont utilisés", a-t-il expliqué.
C’est pour cette raison que les États africains en général, et ceux d'Afrique subsaharienne en particulier, n'arrivent pas à s’extirper de la pauvreté et la misère, a expliqué l’analyste. Qui ajoute: "plus les années passent, moins ces pays s'en sortent".
Selon lui, il faut maintenant remplacer les politiques des États occidentaux par d’autres "véritablement humanistes", dédiées à impulser le développement des pays d’Afrique.
Deux piliers fondamentaux pour l’Afrique
Pour s’en sortir, l'Afrique a besoin d'une politique monétaire différente de celle pratiquée jusqu'à aujourd'hui qui émane du système de Bretton Woods, a continué l’expert financier camerounais, approuvant avec Vladimir Poutine qui a suggéré lors de son intervention la création d’un système alternatif au dollar. Selon le Président russe, la politique monétaire menée par les institutions financières mondiales à l’égard des pays africains débouche souvent sur une dépendance et un surendettement dont ils n’arrivent pas à se dégager.
La mise en place de la propre politique monétaire africaine n’est pas possible sans la sécurité sur le plan géopolitique, avance Jean René Ndouma. La première chose qu’il faut faire, "c'est de pouvoir garantir la sécurité des frontières des pays africains et l'intégrité territoriale", avec l’appui de partenaires d'envergure "tels que la Russie".
"Parce que quand il y a la sécurité, à ce moment-là, on peut envisager de travailler sereinement pour le développement", a-t-il ajouté.
Une fois la sécurité politique atteinte, une politique monétaire indépendante s’impose comme le deuxième pas fondamental pour l’Afrique, a continué l’économiste.
"Une politique monétaire génératrice de richesses pour l'Afrique, pour le développement de l'Afrique, un partenariat avec d'autres pays qui sont sincères, qui reconnaissent que dans les affaires, c'est du win-win ["gagnant-gagnant", en anglais, ndlr] et qui peuvent donc véritablement accompagner l'Afrique dans ce sens-là", a-t-il suggéré.
Système de Bretton Woods vs banque des BRICS
Le système financier international qui a donné naissance à toutes les institutions financières mondiales repose sur l’accord de Bretton Woods établi par les États-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a continué le spécialiste interviewé par Sputnik. Dans ce cadre, les institutions financières occidentales imposent "de manière officieuse" à un pays prétendant à un crédit des conditions qui "n'ont rien à voir avec la finance". De plus, le demandeur ne peut pas choisir lui-même le projet où investir l’argent prêté, a dénoncé Jean René Ndouma:
"Lorsque, par exemple, un crédit est accordé à un pays africain par la Banque mondiale ou le FMI, non seulement ces crédits-là, en termes de fonds, n'arrivent pas à destination du pays pour qu'il puisse servir à développer un projet, mais le donateur -c'est-à-dire ces institutions de Bretton Woods- impose des conditions, premièrement, qui n'ont rien à voir avec la finance. Un peu des conditions comme accepter l'homosexualité, accepter les LGBT, […] comme réduire la natalité et ainsi de suite. Comme accepter des vaccins qui ne sont pas des vaccins mais qui sont véritablement des poisons pour des populations... Ces critères sont souvent imposés de manière officieuse et en plus, le pays qui reçoit le crédit, n'a pas la liberté de choisir le projet dans lequel il va investir".
Au lieu de pouvoir investir, il est souvent demandé au pays bénéficiaire d’un prêt de couvrir simplement certaines dépenses, ce qui l’accable davantage car, "évidemment, vous ne serez pas capable de rembourser le moment venu", indique l’analyste camerounais. Il s’agit alors d’une spirale "où on est toujours obligé de tendre la main" et où "les conditions ne permettent pas de faire fructifier ce qu'on a reçu".
C’est de cette façon qu’un pays se retrouve "à un moment donné surendetté et asphyxié", selon l’expert. Au point qu’il ne peut plus investir dans les secteurs d'activité qui seraient "capables de créer de la valeur ajoutée, de favoriser la transformation pour pouvoir employer des gens, pour pouvoir être compétitifs, pour pouvoir avoir un transfert de technologie, pour pouvoir éventuellement également être compétitif aussi sur le marché international".
En revanche, la Nouvelle banque de développement au sein des BRICS+ s’avère aujourd’hui une vraie alternative à ce système accablant, disposant d’un fonds de réserve d'urgence, d’un système de messagerie financière internationale et offrant la liberté d’investir dans des projets nationaux, a expliqué Jean René Ndouma.
"Donc aujourd'hui, l'Afrique a besoin d'un système monétaire alternatif et cette alternative est en train d'être offerte par les BRICS. Aujourd'hui, les BRICS+, avec un système qui a évidemment la Nouvelle banque de développement en son sein, qui a un fonds de réserve d'urgence, qui a un système de messagerie financière internationale parallèle qui fonctionne très bien et qui dit aux pays partenaires -et même aux pays non-partenaires- des BRICS, qu'ils peuvent avoir des fonds pour investir dans des projets nationaux choisis par les dirigeants des différents pays et pilotés évidemment par ces dirigeants-là, en partenariat avec des pays-frères sérieux".
Après la dimension sécuritaire, ce système monétaire différent de celui d’aujourd'hui, est ce qu'il faut maintenant pour pouvoir commencer à travailler sereinement à la question du développement, conclut l’expert financier camerounais.
Opportunités de crédits en monnaies des BRICS
Le système de crédit en monnaies nationales proposé par la Nouvelle banque de développement des BRICS est un système idéal pour chaque pays. Il pourrait constituer à l'avenir une alternative plus avantageuse aux institutions financières occidentales, a poursuivi l’analyste camerounais:
"Une monnaie nationale reflète l'identité nationale et patriotique d'un État. Ça va même au-delà du patriotisme, c'est une identité même culturelle, c'est une identité même philosophique, c'est une identité religieuse. La monnaie, c'est comme le drapeau d'un pays auquel une monnaie nationale. Alors, à partir de ce moment-là, c'est d'ailleurs pour ça qu'on dit qu'une monnaie est un évènement social".
La possibilité d’emprunter en monnaie nationale offre beaucoup d'avantages, selon l’expert. Actuellement, quand un pays veut emprunter, "on est supposé vous emprunter, vous prêter en dollars". Mais en réalité, l’emprunteur ne reçoit pas les dollars. Sur l’ensemble des transactions qui se passent entre le dollar et la monnaie nationale, il y a plusieurs transactions commerciales entre les monnaies qui bénéficient d'abord au dollar, au premier chef, et en ce qui concerne l'Afrique; à l'euro ensuite, a déploré M.Ndouma.
A contrario, la possibilité d’obtenir un crédit en monnaies nationales de la Nouvelle banque de développement des BRICS supprimera beaucoup d’obstacles sur le chemin d’un développement libre des pays d’Afrique.
"Lorsque la Nouvelle banque de développement des BRICS, propose d'accorder les crédits en monnaies nationales, il y a beaucoup de barrières qui vont tomber et ça va faire en sorte que les avantages se dégagent de ces opérations-là au profit du pays qui va recevoir les crédits", a rassuré l’économiste camerounais.
Les pays seront ainsi libres de choisir dans quel projet ils veulent investir, affirme-t-il. Ils seront libres de se faire accompagner par des partenaires préférables sur le plan technologique, sur le plan de la science et pourront décider "de faire du produit de leurs investissements ce qu'ils veulent en termes de recherche de marchés et de débouchés".
"Tout ceci n'existe pas aujourd'hui avec l'ancien système qui est le système de Bretton Woods et qui est le système de dollarisation du monde à outrance, qui est ce système de l'hégémonie monétaire du dollar, et pas tant, de l'hégémonie puissante des États-Unis", a martelé l’expert en marchés financiers.
Ceci étant, les BRICS viennent avec "véritablement une alternative avec la multipolarisation" et des monnaies nationales ainsi qu’avec leur banque de développement, qui va véritablement accorder des crédits pour le développement des différents pays.
"Cela va être un système concurrentiel au système SWIFT afin que tout ce qui s'est fait ne soit plus nécessairement contrôlé par les seuls Américains et leurs alliés impérialistes", s’est enthousiasmé M.Ndouma.