La crise alimentaire en Afrique n’a pas du tout été provoquée par l’opération spéciale en Ukraine, mais par plusieurs problèmes accumulés depuis des années. S’y ajoute l’impact des sanctions antirusses, a indiqué la directrice de l’Institut de l’Afrique de l’Académie des sciences de Russie, dans une interview accordée à Sputnik.
"Les médias occidentaux affirment que la Russie est responsable de la famine en Afrique, mais cela ne correspond pas à la réalité", a tranché Irina Abramova.
Après que plusieurs pays africains ont suspendu l’exportation de leurs céréales, c’est au tour du Mali de leur emboîter le pas en raison de "difficultés d’approvisionnement". Cependant, l’origine de cette situation réside dans des processus plutôt internes.
Sur ce continent, les problèmes alimentaires se sont exacerbés lors de la pandémie du Covid-19, "car la majorité des producteurs agricoles ne pouvaient pas normalement travailler". Par ailleurs, 250 millions de personnes étaient déjà touchées par la famine en Afrique, à la veille de la crise sanitaire, a précisé la professeur russe.
En plus de cela, "c’est un problème qui se détériore depuis des années. Il s’explique par la faible productivité de l’agriculture, ainsi que par des sécheresses et par d’autres raisons économiques, dont le manque de financements du secteur", a-t-elle détaillé.
Effets négatifs des restrictions antirusses
Les sanctions représentent un autre facteur déstabilisant pour la situation alimentaire africaine. La livraison d’engrais russes est aussi impactée.
"C’est faux de dire que les sanctions ne visent pas formellement les exportations des denrées alimentaires russes. J’ai récemment discuté avec un représentant de l’United Grain Company [société russe qui gère les exportations de céréales, ndlr]. Il m’a dit qu’aucune sanction appliquée contre la Russie n’avait été levée dans le cadre de l’accord sur les céréales", poursuit Mme Abramova.
Entre autres, les sanctions européennes perdurent toujours contre Rosselkhozbank, banque publique russe agricole, interdite de réaliser des transactions. Ce alors que les pays africains s’approvisionnent en masse avec des céréales russes, a ajouté la docteur en sciences économiques.
D’après elle, le continent a importé 12 millions de tonnes de blé russe l’an dernier. Certains États s’en trouvent fortement dépendants. Par exemple, la totalité de ces importations au Bénin provient de Russie. Y figurent aussi le Soudan (plus de 70%), alors que l’Égypte, la Tanzanie, Madagascar et le Congo sont dépendants à plus de 60%.
Quant au Burkina Faso, au Sénégal, au Burundi et à l’Ouganda, plus de la moitié de leurs importations sont de Russie.
"Au total, la Russie fournit ses céréales à environ 30-35 pays africains. Ainsi, les sanctions ont eu un impact significatif sur plus de la moitié des États africains", conclut la présidente de l’Institut.
Comment surmonter ce défi?
Il est cependant possible d’améliorer cette situation et de créer des mécanismes qui pourraient fonctionner indépendamment du comportement de l’Occident. Il convient d’échanger directement avec les gouvernements des pays concernés, a avancé Mme Abramova.
"À mon avis, nous devrions abandonner le principe de livraisons de céréales à l’aide de mécanismes internationaux. Il faut opter pour la coopération bilatérale avec chaque pays africain. De plus, il est nécessaire de résoudre les problèmes logistiques et trouver des solutions aux questions d’assurance et de transaction. Il s’agit de refuser le dollar, de passer à la bonne vieille compensation, vers le troc", a-t-elle suggéré.
Alors que l’Algérie envisage de rejoindre les BRICS, cette organisation ne pourrait toutefois pas influencer la résolution de la crise alimentaire. Son statut non formel est en cause. Cependant, "l’Afrique est intéressée par l’élargissement des BRICS, qui pourraient représenter une alternative à des organisations occidentales", a estimé Irina Abramova.