Encore un nouveau scandale à accrocher au tableau de la Sonatrach. Mercredi 24 février, à l’occasion du 50e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, le Premier ministre algérien Abdelaziz Djerad a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire dans l’affaire de l’acquisition de la raffinerie d’Augusta, dans le sud de l’Italie.
«Le pôle pénal économique et financier [d’Alger] a ouvert une enquête sur l’affaire de la raffinerie d’Augusta dans laquelle un mandat d’arrêt international a été émis contre le principal accusé. Nous continuerons à poursuivre en justice tous les responsables impliqués dans les dossiers de corruption et les tentatives d’atteinte à l’économie nationale», a affirmé le Premier ministre lors d’un discours prononcé à cette occasion.
Une annonce «malvenue»
Abdelaziz Djerad a profité du contexte de la célébration de l’anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, une date importante en Algérie, pour faire cette déclaration. Contactée par Sputnik, Zoubida Assoul, avocate et présidente du parti de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), estime que cette annonce est «malvenue».
«Le Premier ministre peut annoncer des mesures pour lutter contre la corruption, mais il n’est pas habilité à évoquer la question de l’émission d’un mandat d’arrêt international avant la justice. Cela pourrait être interprété comme une façon de s’arroger les prérogatives du pouvoir judiciaire par l’exécutif», affirme Me Zoubida Assoul.
L’avocate souligne par ailleurs que l’ancien patron de la Sonatrach est déjà sous le coup d’un mandat d’arrêt international dans le cadre d’une affaire de «divulgation d’informations et de documents classés à des agents étrangers».
Une acquisition qui «avait du sens» dans son principe
Au fait de l’affaire Augusta, un expert en hydrocarbures, qui a choisi de s’exprimer sous couvert de l’anonymat, affirme que ce dossier est «entaché d’irrégularités», même si l’achat de cette raffinerie «relevait d’une stratégie qui avait du sens» puisque les capacités de raffinage du pays étaient au plus bas ces dernières années. Il estime cependant que la Sonatrach «n’avait aucune expérience pour acheter des acquis à l’étranger».
«Abdelmoumène Ould Kaddour avait une stratégie qui consistait à acquérir une raffinerie à l’étranger pour produire du carburant à partir du pétrole algérien. Par le passé, l’Algérie faisait raffiner sa production auprès de Vitol et de Glencore, deux sociétés de trading pétrolier. L’objectif était de sécuriser les approvisionnements du pays, notamment en gasoil, et de vendre l’excédent de production sur le marché international.»
C’était d’ailleurs l’argument principal avancé par l’ancien PDG de la Sonatrach.
«Par la suite, il s’est avéré que la raffinerie d’Augusta ne pouvait transformer que du pétrole saoudien et azerbaidjanais», assure notre source.
Lukoil passe à la trappe
Dès lors que le principe de l’acquisition d’une raffinerie en Italie avait été validé par les autorités algériennes, la Sonatrach avait deux options:
«Acheter celle d’ExxonMobil ou celle d’ISAB, propriété du géant russe Lukoil qui se situe également dans la province de Syracuse. Cette seconde raffinerie était plus chère mais semblait plus intéressante car plus récente. Elle offrait aussi l’avantage de pouvoir alimenter le réseau de stations-service que le groupe russe possédait dans certains pays européens.»
Mais, poursuit l’expert, «il semble que le choix ait été imposé par deux banques françaises qui avaient été chargées d’effectuer l’expertise financière pour le compte de la Sonatrach. Il paraît évident que ces deux établissements financiers allaient privilégier une transaction avec un groupe américain plutôt qu’avec un opérateur russe».
«Le PDG de la Sonatrach voulait faire un geste envers ExxonMobil pour encourager la major américaine à investir en Algérie.»
Selon l’expert, le coût de cette «opération marketing inversée» a dépassé le milliard de dollars puisque, en plus des 725 millions de dollars pour l’acquisition des infrastructures, la Sonatrach a dû débourser des sommes importantes pour les frais de maintenances et la mise à niveau aux normes environnementales.
L’effet Hirak
Ce n’est pas tout, dans le contrat d’acquisition, la compagnie algérienne a octroyé à ExxonMobil la commercialisation de tous les lubrifiants produits à Augusta pour une durée de dix ans. En clair, la compagnie américaine gardait l’exclusivité de la vente de ces huiles qu’elle distribue dans son réseau.
«Une concession contractuelle inexplicable qui prive la Sonatrach de revenus substantiels», relève notre source.
Les plans d’Ould Kaddour ont fini par tomber à l’eau quelques semaines après la prise de contrôle de la raffinerie par le groupe algérien. Le 7 mars 2019, un accord préliminaire pour la création d’une joint-venture chargée des investissements en Algérie devait être validé à Houston, à l’occasion de la tenue du 12e Forum algéro-américain sur l’énergie. L’étape la plus importante de la stratégie du PDG. Mais la signature a finalement été gelée à la demande des dirigeants d’ExxonMobil.
Le Hirak ayant éclaté le 22 février, soit quelques jours avant la cérémonie de signature, les Américains ont fait le choix de temporiser avant de s’engager dans un pays «instable politiquement».
«Je ne pense pas que ce soit une affaire de corruption, car cela signifierait que la première compagnie américaine est impliquée dans un gros scandale de pots-de-vin. Le scandale porte plutôt sur la phase de sélection de l’acquisition et le fait de ne pas avoir préservé les intérêts de l’entreprise nationale algérienne lors de l’élaboration du contrat avec ExxonMobil», ajoute l’expert pétrolier.