Au lieu de s’asseoir, de discuter, de recompter les voix pour régler un contentieux électoral entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, la France de Nicolas Sarkozy, les États-Unis de Barack Obama, l’Union européenne et les Nations unies ont préféré imposer des sanctions, un embargo total, créer de toutes pièces une armée de va-nu-pieds et bombarder Abidjan.
Cette guerre a causé 16.000 morts, selon le rapport du président de la Commission Vérité et réconciliation, Charles Konan Banny, un document jamais rendu public, dont le chiffrage va bien au-delà des 3.000 morts officiellement annoncés. Les 29 et 30 mars 2011, la ville de Duékoué avait connu l’un des pires massacres de ce XXIe siècle, 816 morts en moins de 48 heures. Cette guerre ne devait-elle pas, pourtant, restaurer la paix et la démocratie en Côte d’Ivoire? Selon les mots de Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l’Onu de l’époque, Alassane Ouattara allait «œuvrer à une paix durable, à la stabilité et la réconciliation».
Dix années plus tard…
De 2010 à 2020, Alassane Ouattara a gouverné la Côte d’Ivoire, avec la bénédiction de tous ses partenaires internationaux, sans jamais faire un geste favorisant la réconciliation nationale. Les auteurs du crime de Duékoué n’ont pas été appréhendés, donc jugés, et la communauté internationale s’est tue.
À quelques semaines de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, Alassane Ouattara s’est porté candidat à un troisième mandat «en violation de la Constitution». Dans sa décision du 5 septembre, le Conseil constitutionnel a néanmoins validé sa candidature et en a rejeté 40 autres, notamment celles de son plus fervent allié de 2010, devenu opposant, Guillaume Soro, et de l’ex-Président Laurent Gbagbo.
Restaient donc en lice l’ancien Président Henri Konan Bédié (PDCI), principal challenger d’Alassane Ouattara, Affi N’Guessan, branche dissidente du FPI, parti de Laurent Gbagbo et Kouadio Konan Bertin, dissident du PDCI. Avec cette décision, le Conseil constitutionnel s’est livré à un dangereux dosage ethnique, un seul nordiste, Alassane Ouattara, contre trois Akans censés se partager les voix.
Dans le même temps, des opposants ont été contraints de se cacher ou de fuir, comme Innocent Anaky Kobena, président d’un parti, le MFA, qui a été obligé de quitter le pays en catimini pour éviter la prison. D’autres députés ou activistes croupissent à la maison d’arrêt d’Abidjan. La répression des manifestations qui ont commencé le 6 août, après l’annonce de la candidature d’Alassane Ouattara, a fait au moins 26 morts et des centaines de blessés.
La ruse du sphinx de Daoukro
Entre répression, petits et grands arrangements avec le Conseil constitutionnel, la Commission électorale indépendante (CEI), les textes de l’organisation ouest-africaine, la CEDEAO, la charte de l’Union africaine et avec les engagements pris auprès de ses partenaires internationaux, Alassane Ouattara pensait réussir le fameux «coup K.O», tant prisé par ses homologues d’Afrique francophone.
Henri Konan Bédié a fait fi des moqueries liées à son âge (86 ans), a patiemment attendu que le Conseil constitutionnel élague les participants et a frappé au bon moment: Alassane Ouattara n’a plus de challenger pour justifier une élection… démocratique!
En appelant à la désobéissance civile, l’ancien Président prend le risque d’être arrêté (Anaky Kobena avait été convoqué à la police pour moins que cela). Cette décision est néanmoins très délicate à prendre pour le pouvoir d’Abidjan. Mais surtout, en agissant ainsi, Henri Konan Bédié vient peut-être d’ouvrir la voie à une sortie de crise et d’éviter à la Côte d’Ivoire une nouvelle dépression meurtrière. Alassane Ouattara n’a plus que deux options: accepter de réunir des états généraux pour engager une transition à la fin de son mandat ou s’entêter. S’il choisit la deuxième voie, il n’aura aucune légitimité et entraînera le pays dans le chaos.
Ingérence à géométrie variable
Quelle que soit l’option choisie, tous ceux qui ont prôné et/ou adoubé l’intervention militaire en 2011 ont déjà perdu. La Côte d’Ivoire vient de prouver que la démocratie ne s’installait pas avec les armes. Si la pertinence de la guerre en Libye est régulièrement remise en cause dans toutes les instances et colloques internationaux, le cas ivoirien est toujours passé sous silence. Pourtant, les deux conflits étaient concomitants et se sont déroulés selon le même modus operandi (mise en œuvre de la responsabilité de protéger, violation des résolutions du Conseil de Sécurité, CPI, etc.). À la lumière des derniers événements, il serait judicieux de ne plus oublier le largage des bombes sur Abidjan et de rappeler leurs responsabilités à tous les dirigeants de l’époque.
*Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques