Alassane Ouattara n’a pas encore déclaré sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2020. En attendant, pour préparer les esprits à cette annonce, c’est le branle-bas de combat dans son camp.
Les militants de son parti, le RHDP, marchent dans les rues d’Abidjan et de certaines villes de l’intérieur en criant «Alassane 2020». Ses lieutenants, d’Adama Bictogo, directeur exécutif du RHDP, à Hamed Bakayoko, ministre de la Défense, en passant par Kandia Camara, ministre de l’Éducation, tous le prient d’avoir l’extrême obligeance de bien vouloir accepter de se présenter une nouvelle fois. La ficelle est un peu grosse, mais ça passe…
Un «coup d’État constitutionnel» au nom de la paix et de la cohésion sociale…
Reste un petit problème: en 2016, Alassane Ouattara a fait modifier la Constitution, mais la partie de l’article 55 qui stipule «Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois» est restée inchangée. En principe, il ne devrait donc pas pouvoir se représenter. Cependant, il ne sert à rien de relancer le sempiternel débat sur le thème «une nouvelle Constitution remet-elle les compteurs à zéro?» Malgré tous les arguments des constitutionnalistes sur l’esprit et la lettre des lois fondamentales, les Présidents du continent agissent comme bon leur semble. Les précédents sont légion: Togo en 2020, Congo Brazzaville en 2015, Guinée Conakry en 2020, etc. Bien entendu, comme ailleurs, cela passera aussi en Côte d’Ivoire… à ce jeu-là, la démocratie perd toujours.
Il y a bien aussi un autre embarras d’importance en Afrique, celui concernant le respect de la parole donnée. Le 5 mars 2020, Alassane Ouattara a écrit sur Twitter: «Je voudrais annoncer solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération». Le 5 mars 2020, il a réitéré son engagement solennel devant le Congrès [VV1] réuni pour la première fois. Avec son sens inné de la mesure, Emmanuel Macron avait alors salué cette «décision historique», alors qu’elle n’était qu’un simple respect de la Constitution. Pour justifier le retournement de veste d’Alassane Ouattara, ses proches rappellent la «situation exceptionnelle née d’un contexte nouveau» après le décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, qui devait porter les couleurs du RHDP lors de ce scrutin. Ils évoquent également la nécessité de «maintenir le climat de paix, de sécurité et de cohésion sociale.»
Ça ne passera pas…
Lors de cette élection, son principal challenger sera l’ancien Président Henri Konan Bédié. Si les deux hommes ont déjà croisé le fer en 1994 en se disputant la succession d’Houphouët-Boigny, c’est la première fois que le choc sera frontal. En 2010, le premier tour avait vu s’affronter les trois mastodontes de la politique ivoirienne: Gbagbo, Ouattara, Bédié. Ce dernier avait été éliminé de la course dans des conditions qui restent encore obscures et suspectes à ce jour. Au deuxième tour, il avait fait alliance avec Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo. Dans l’un de ces grands retournements comme seule la Côte d’Ivoire sait en produire, en 2020, l’ex-prisonnier de La Haye s’apprête, même s’il n’a pas encore fait connaître officiellement sa position, à s’allier dès le premier tour avec son ancien rival pour bouter hors du palais présidentiel le Président sortant.
À cette heure et sauf changement radical de direction, toutes les conditions sont donc réunies pour que cette élection soit une nouvelle catastrophe.
Alternance pacifique, pas de miracle en vue…
Bien qu’il soit toujours délicat d’anticiper les événements en Côte d’Ivoire, l’inattendu étant souvent la règle dans ce pays, il est d’ores et déjà possible d’éliminer le scénario d’une alternance pacifique: cela ne s’est jamais produit depuis l’indépendance, cela ne se produira pas en 2020, les conditions d’un miracle n’étant pas réunies. Même si dans un élan de sagesse et d’altruisme, Alassane Ouattara était prêt à passer le flambeau à Henri Konan Bédié, ce qui est difficilement imaginable compte tenu de leurs contentieux historiques et personnels, le clan de l’actuel Président ferait barrage.
À elle seule, cette phrase résume toutes les craintes de l’élite au pouvoir: la peur de perdre ses privilèges, mais aussi de se voir infliger les mêmes pratiques que celles qu’ils ont fait subir à leurs opposants, le rattrapage ethnique, la prison, l’exil, le blocage des comptes en banque, l’impossibilité d’accès aux postes prestigieux et/ou lucratifs, etc. Ces propos sont aussi la preuve que la réconciliation nationale n’a pas eu lieu et c’est bien là toute la difficulté d’aller à une élection majeure dans ces circonstances.
Présidentielle ivoirienne: une onde de choc dans toute la région
Que se passera-t-il en cas de contentieux électoral? Si certains observateurs envisagent un remake de 2010 avec un conflit à la clé, il apparaît peu probable que l’histoire se répète, les Ivoiriens n’ayant pas oublié la guerre de 2011, avec son cortège de victimes et d’horreurs. Néanmoins, tous les scrutins apportent leur lot de violences: pour mémoire, lors des élections municipales et régionales –qui étaient loin de représenter un enjeu aussi majeur que la Présidentielle–, il y a quand même eu cinq morts. Dans le meilleur des cas, s’installera une crise postélectorale larvée, avec des accès de violences sporadiques dans certains endroits du pays; dans tous les cas, la démocratie aura été bafouée et ses conséquences sont bien connues: ressentiments exacerbés, perte de confiance dans la parole politique, insécurité grandissante, immigration, conflits entre certaines communautés.