Côte d’Ivoire, une guerre pour rien

© Photo AIPLe Président de la République ivoirien Alassane Ouattara, lors de la cérémonie de présentation de vœux du Nouvel An 2020.
Le Président de la République ivoirien Alassane Ouattara, lors de la cérémonie de présentation de vœux du Nouvel An 2020. - Sputnik Afrique
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Il y a dix ans, au nom de la démocratie, la «communauté internationale» a choisi l’option militaire pour installer Alassane Ouattara au pouvoir en Côte d’Ivoire. Dix ans plus tard, «le démocrate» ne veut plus partir! Ladite communauté fera-t-elle son examen de conscience? Analyse pour Sputnik de Leslie Varenne, directrice de l’IVERIS*.

Au lieu de s’asseoir, de discuter, de recompter les voix pour régler un contentieux électoral entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, la France de Nicolas Sarkozy, les États-Unis de Barack Obama, l’Union européenne et les Nations unies ont préféré imposer des sanctions, un embargo total, créer de toutes pièces une armée de va-nu-pieds et bombarder Abidjan.

Cette guerre a causé 16.000 morts, selon le rapport du président de la Commission Vérité et réconciliation, Charles Konan Banny, un document jamais rendu public, dont le chiffrage va bien au-delà des 3.000 morts officiellement annoncés. Les 29 et 30 mars 2011, la ville de Duékoué avait connu l’un des pires massacres de ce XXIe siècle, 816 morts en moins de 48 heures. Cette guerre ne devait-elle pas, pourtant, restaurer la paix et la démocratie en Côte d’Ivoire? Selon les mots de Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l’Onu de l’époque, Alassane Ouattara allait «œuvrer à une paix durable, à la stabilité et la réconciliation».

Dix années plus tard…

De 2010 à 2020, Alassane Ouattara a gouverné la Côte d’Ivoire, avec la bénédiction de tous ses partenaires internationaux, sans jamais faire un geste favorisant la réconciliation nationale. Les auteurs du crime de Duékoué n’ont pas été appréhendés, donc jugés, et la communauté internationale s’est tue.

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Les blessures de 2011 n’ont pas été refermées. En 2015, s’est tenue une élection présidentielle factice dans un pays encore traumatisé par la guerre, un scrutin sans enjeu au terme duquel Alassane Ouattara a été reconduit avec un score de 83,86%.

À quelques semaines de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, Alassane Ouattara s’est porté candidat à un troisième mandat «en violation de la Constitution». Dans sa décision du 5 septembre, le Conseil constitutionnel a néanmoins validé sa candidature et en a rejeté 40 autres, notamment celles de son plus fervent allié de 2010, devenu opposant, Guillaume Soro, et de l’ex-Président Laurent Gbagbo.

Restaient donc en lice l’ancien Président Henri Konan Bédié (PDCI), principal challenger d’Alassane Ouattara, Affi N’Guessan, branche dissidente du FPI, parti de Laurent Gbagbo et Kouadio Konan Bertin, dissident du PDCI. Avec cette décision, le Conseil constitutionnel s’est livré à un dangereux dosage ethnique, un seul nordiste, Alassane Ouattara, contre trois Akans censés se partager les voix.

Dans le même temps, des opposants ont été contraints de se cacher ou de fuir, comme Innocent Anaky Kobena, président d’un parti, le MFA, qui a été obligé de quitter le pays en catimini pour éviter la prison. D’autres députés ou activistes croupissent à la maison d’arrêt d’Abidjan. La répression des manifestations qui ont commencé le 6 août, après l’annonce de la candidature d’Alassane Ouattara, a fait au moins 26 morts et des centaines de blessés.

La ruse du sphinx de Daoukro

Entre répression, petits et grands arrangements avec le Conseil constitutionnel, la Commission électorale indépendante (CEI), les textes de l’organisation ouest-africaine, la CEDEAO, la charte de l’Union africaine et avec les engagements pris auprès de ses partenaires internationaux, Alassane Ouattara pensait réussir le fameux «coup K.O», tant prisé par ses homologues d’Afrique francophone.

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C’était sans compter sur l’habileté d’Henri Konan Bédié, qui vient de signer un coup de maître. Le dimanche 20 septembre, il a réuni tous les partis d’opposition et les organisations syndicales. Dans un discours qui fera date, l’ancien Président a déclaré, stoïque mais sûr de ses effets: «face à la forfaiture, un seul mot d’ordre, irrépressible, irréversible: la désobéissance civile.» En clair, il n’ira pas à cette élection pour ne pas la cautionner. Affi N’Guessan l’a déjà rejoint et une rencontre, qui prouve que les égos ont été mis de côté au profit de l’avenir du pays, est prévue entre les deux hommes dans les jours qui viennent. Ne reste plus qu’Alassane Ouattara et Kouadio Konan Bertin dans la course, mais ce dernier ne pèse rien, n’est soutenu par aucun parti et devrait tôt ou tard se retirer lui aussi.

Henri Konan Bédié a fait fi des moqueries liées à son âge (86 ans), a patiemment attendu que le Conseil constitutionnel élague les participants et a frappé au bon moment: Alassane Ouattara n’a plus de challenger pour justifier une élection… démocratique!

En appelant à la désobéissance civile, l’ancien Président prend le risque d’être arrêté (Anaky Kobena avait été convoqué à la police pour moins que cela). Cette décision est néanmoins très délicate à prendre pour le pouvoir d’Abidjan. Mais surtout, en agissant ainsi, Henri Konan Bédié vient peut-être d’ouvrir la voie à une sortie de crise et d’éviter à la Côte d’Ivoire une nouvelle dépression meurtrière. Alassane Ouattara n’a plus que deux options: accepter de réunir des états généraux pour engager une transition à la fin de son mandat ou s’entêter. S’il choisit la deuxième voie, il n’aura aucune légitimité et entraînera le pays dans le chaos.

Ingérence à géométrie variable

Quelle que soit l’option choisie, tous ceux qui ont prôné et/ou adoubé l’intervention militaire en 2011 ont déjà perdu. La Côte d’Ivoire vient de prouver que la démocratie ne s’installait pas avec les armes. Si la pertinence de la guerre en Libye est régulièrement remise en cause dans toutes les instances et colloques internationaux, le cas ivoirien est toujours passé sous silence. Pourtant, les deux conflits étaient concomitants et se sont déroulés selon le même modus operandi (mise en œuvre de la responsabilité de protéger, violation des résolutions du Conseil de Sécurité, CPI, etc.). À la lumière des derniers événements, il serait judicieux de ne plus oublier le largage des bombes sur Abidjan et de rappeler leurs responsabilités à tous les dirigeants de l’époque.

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Le principe d’ingérence de 2011 a laissé la place au principe de non-ingérence en 2020. La France se tait, les Nations unies ne crient plus à tue-tête et œuvrent en coulisses, le Secrétaire général de l’Onu vient de dépêcher Mohamed Ibn Chambas, son représentant spécial pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. La CPI, qui s’était époumonée en 2011 reste muette… Faut-il se féliciter de ce soudain respect pour la souveraineté des dirigeants et de leur nation?

*Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques

 

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