Comment la France tente de s’affirmer dans la zone indopacifique

La région Indopacifique, des côtes africaines aux côtes mexicaines, est redevenue une zone d’intérêt majeur pour la France. Notamment dans son collimateur, l’influence grandissante de la Chine. Parallèlement, les positions stratégiques françaises sont affaiblies par des revendications territoriales d’autres États ou des désirs d’indépendance.
Sputnik

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Florence Parly était mardi 11 juin à Singapour, à l’occasion du de la 18e édition du Shangri-La Dialogue, où elle a présenté à ses homologues la dernière version du document «référence» en matière de politique de défense française dans la zone Indopacifique.

Dans la préface de ce dernier, la ministre des Armées réaffirme l’engagement de la France aux côtés de ses partenaires en faveur de la stabilité de la région et de la lutte contre l’expansion du terrorisme dans cette région, des divers trafics (drogue, pêche illicite, etc.) ou encore de la piraterie. La ministre des Armées pointe aussi du doigt la Corée du Nord, qui «défie la communauté internationale» via ses essais nucléaires et balistiques, ainsi que «certains États» qui remettent en cause la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Une subtilité de langage qui ne trompe pas les observateurs.

«C’est extrêmement clair que c’est la Chine qui est visée. La France est en train de prendre des positions plus dures vis-à-vis de la Chine. Après s’être longtemps persuadée qu’elle avait un partenaire privilégié, elle découvre avec 30 ans de retard qu’il n’est l’est pas du tout», réagit à notre micro le général de brigade aérienne (2 s) Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’IRIS,

Pour ce spécialiste des questions de défense et stratégiques en Asie, la France «a tendance, à l’heure actuelle, à suivre des positions américaines sur la Chine.» En effet, concernant cette dernière, si «la ligne française est de ne pas la désigner comme une menace», comme le soulignaient nos confrères du Monde qui ont interviewé le vice-amiral Lebas, la réalité est plus nuancée. Le commandant du groupe aéronaval (GAN) du Charles-de-Gaule, de retour d’une mission de trois mois dans la zone, se défend de participer à la formation d’«une coalition antichinoise» et évoque plutôt la recherche d’une «montée en gamme» de la part des partenaires de la France au travers d’exercices bilatéraux. Les journalistes ajoutent que si la Chine est pour l’heure absente de l’Océan Indien, les «riverains et leurs alliés» y anticiperaient de «nombreuses tensions» avec l’Empire du Milieu.

Notons ainsi qu’une semaine avant l’arrivée de la ministre des Armées à Singapour, le navire amiral de la marine française repartait de la cité-État sud-asiatique après trois mois de manœuvres conjointes avec les marines indienne, australienne, américaine et japonaise, de la mer Rouge jusqu’aux abords de la mer de Chine méridionale.

«Sur le plan stratégique, le renouveau a été marqué par monsieur Le Drian, alors ministre de la Défense. On a l’impression que tout d’un coup, il a découvert l’intérêt de la zone et en particulier avec un discours sur la nécessité de préserver la liberté de navigation en mer de Chine du Sud et un appel à ce que des bâtiments militaires français et des bâtiments militaires européens fassent acte de présence dans cette zone», relate Jean-Vincent Brisset.

Il évoque ainsi une soudaine «prise de conscience», du potentiel géostratégique de la zone Indopacifique par les responsables politiques français. Dans cette ligne, notre intervenant évoque notamment l’important contrat signé avec l’Australie pour la construction de sous-marins. Une «découverte» pour cette région qui remonte donc à l’ère Hollande, après que l’hexagone s’en soit désintéressé à l’issue de la guerre d’Indochine.

«Des tas de Français ont été persuadés, au Quai d’Orsay en particulier, que la Chine était un pays qui était plus ami avec la France qu’avec les autres. Quand on réfléchit un tout petit peu, la Chine n’a jamais donné aucun avantage particulier à la France. Bien au contraire, elle en a fait le maillon faible contre l’Europe après l’embargo de 1989. Donc on n’a rien à gagner à avoir une relation soi-disant privilégiée avec la Chine et on n’a rien à gagner à faire des cadeaux en particulier à la Chine. On a tout intérêt, je pense, à maintenir une position ferme,» ajoute Jean-Vincent Brisset, qui occupa le poste d’Attaché de l’air à Pékin.

«La Chine viole très clairement les réglementations et les lois internationales», insiste-t-il. Mais les préoccupations tricolores ne se concentrent pas exclusivement sur le respect de la liberté de circulation en mer de Chine méridionale: «il y a le fait que la Chine se déploie le long du collier de perles et qu’on appelle maintenant les Nouvelles Routes de la Soie, qui sont les sorties vers l’Océan indien», ajoute notre intervenant. Un Océan indien où l’on redoute de voir l’influence chinoise se matérialiser par des points d’appui, éventuellement militarisés.

«Sachant aussi qu’à l’extrémité actuelle des Nouvelles Routes de la Soie, il y a Djibouti, où la France a là, vraiment, une zone d’influence. Une influence à présent partagée entre les États-Unis et la Chine», rappelle-t-il.

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Pour autant, aussi concentrée sur la Chine la France soit-elle, ne devrait-elle pas également se soucier des revendications malgaches, mauriciennes, comoriennes, canaques ou encore mexicaines, sur les différents îles et archipels qui constituent aujourd’hui les territoires ultramarins de la France?

En effet, alors que Pékin accentue ses revendications sur des atolls en mer de Chine méridionale, Paris est quant à elle confrontée aux revendications d’autres États et sur ses possessions ultramarines, voire des revendications indépendantistes. Ainsi, alors que Florence Parly met en avant une France, «nation de l’océan Indien et du Pacifique, par ses territoires et sa population» afin de justifier ce regain de présence militaire tricolore dans ces deux océans, la position stratégique de la France ne risquerait-elle pas d’être affaiblie au cas où ces revendications aboutiraient?

En novembre 2018, le «non» à l’indépendance l’emportait en Nouvelle-Calédonie. Depuis des voix parlementaires s’élèvent en France pour réclamer un nouveau référendum «le plus tôt possible», le pouvoir à Nouméa étant tombé «par un jeu d’alliances» dans les mains des indépendantistes.

Plus récemment, à l’occasion de la visite à Paris du Président malgache, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’une commission mixte visant à «régler le litige entre la France et Madagascar» d’ici juin 2020, non sans rappeler les visées mexicaines autour de l’île de Clipperton, seule possession française du Pacifique Nord, située à 1.000 kilomètres des côtes Nord-américaines.

«Il paraît évident que si ces îles Éparses devaient passer sous souveraineté malgache, très rapidement elles seraient mises à la découpe. Il y aurait des concessions qui seraient données à des pays certainement assez peu respectueux de l’environnement,»

précise notre intervenant qui tient malgré tout à se montrer rassurant quant au futur français de ces archipels et atolls de part et d’autre du détroit du Mozambique. Au-delà d’estimer que les revendications malgaches sont sur les plans historique et légal «extrêmement peu fondées», pour Jean-Vincent Brisset, «Madagascar n’a pas le poids d’aller au bout de ses revendications.»

Les îles Éparses, parties prenantes de l’«intérêt vital, stratégique» français, insistait au début du mois à notre micro Emmanuel Dupuy, Président de l’IPSE (Institut Prospective et Sécurité en Europe), dépeignant alors l’Océan Indien comme un «un axe central de notre influence» au sein de la zone Indopacifique. Pour lui, céder les îles Éparses, «n’aurait aucune rationalité par rapport au discours du Président, aucune, ce serait même une remise en cause littérale de ce qu’il prône par ailleurs.»

«Les îles Éparses, cela représente une très grosse zone économique exclusive [ZEE, ndlr.], surtout la souveraineté française représente une garantie très largement écologique. On sait que le gouvernement malgache est un pouvoir extrêmement faible et extrêmement corruptible, en particulier avec des implantations chinoises et des corruptions chinoises qui ont marqué l’histoire de Madagascar dans les dernières décennies», ajoute Jean-Vincent Brisset.

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Des possessions souvent décrites comme «perdues» à des milliers de kilomètres du territoire métropolitain, qui n’offrent pas uniquement des avantages économiques et ressources (inexploitées). L’espace maritime de ces îles octroie non seulement à la France le statut enviable de seconde puissance maritime mondiale, juste derrière les États-Unis, mais représente également des têtes de pont tricolores à des endroits du globe particulièrement stratégiques ou appelés à rapidement le devenir.

Pour autant, il apparaît difficilement concevable aux yeux de Jean-Vincent Brisset que la France puisse utiliser ces dernières de la même manière que les États-Unis, Britanniques ou encore Chinois, qui n’ont pas hésité à bétonner et à draguer des atolls afin d’y établir des installations militaires pérennes.

«Techniquement, cela serait extrêmement coûteux et extrêmement peu productif et cela serait considéré comme une vraie provocation par les pays riverains», estime Jean-Vincent Brisset, qui plaide pour le maintien du statu quo.

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