«On est très loin de tout ça et la France n’a absolument rien cédé. Tout cela s’inscrit dans une lutte verbale qui dure à peu près depuis une quarantaine d’années.»
Une commission mixte sera ainsi mise en place, afin de trouver «la bonne formule»– pour reprendre les mots du Président de la République de Madagascar– concernant le statut de ces îlots et atolls que Madagascar souhaiterait voir tomber dans son giron d’ici le 26 juin 2020, date de la célébration de l’indépendance de cette ancienne colonie française.
Il faut dire que si des noms, tels que les îles Glorieuses, l’île de Tromelin, de Juan de Nova, d’Europa ou encore l’atoll Bassas da India n’évoquent pas grand-chose à la plupart des Français. Pour certains, même, l’expression d’un quelconque attachement national à ces confettis perdus de part et d’autre du canal du Mozambique prête à sourire. C’est pourtant oublier bien vite leur valeur stratégique pour la France.
«La zone exclusive des îles Éparses, c’est 640.000 km², c’est-à-dire deux fois la zone économique exclusive hexagonale, Corse comprise. Donc on voit bien que c’est un enjeu de puissance, un enjeu économique.»
À la clef, d’importantes ressources halieutiques, mais aussi énergétiques, dont regorge le sous-sol océanique. Des ressources pouvant représenter jusqu’à «20 ans de consommation pétrolière française», souligne notre intervenant, sans oublier une présence militaire dans une zone charnière du trafic maritime international, avec près de 30% du pétrole mondial qui transite dans le secteur et une contribution non négligeable au statut de puissance maritime de l’hexagone.
En effet, tout État disposant de côtes est en mesure de revendiquer des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources, jusqu’à 200 miles nautiques (370 km) de celles-ci. Cumulant près de 11 millions de km² de ZEE grâce à ses territoires d’outre-mer, la France se place ainsi au deuxième rang mondial des puissances maritimes, et ce juste derrière (300.000 km²) les États-Unis. «Ce dont il est question, c’est la manière dont on perçoit notre puissance à travers le monde», résume Emmanuel Dupuy.
«Le fait de perdre une partie de ce qui constitue notre puissance politique dans la région, à proximité du détroit du canal de Mozambique, alors même que l’on y a découvert des réserves pétrolières considérables, alors même que l’on sait que la croissance de l’Afrique se fera entre l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe, ce n’est pas du tout dans notre intérêt de perdre ces îlots.»
«Je ne pense pas du tout qu’on s’oriente vers ce scénario, c’est encore une fois une sorte de verbiage, des arguties diplomatiques, il faut bien lire entre les mots. Ce n’est pas parce que l’on parle d’un sujet qu’il est d’ores et déjà acté.»
«Je ne suis pas certain que Madagascar ait la capacité ni financière ni maritime de pouvoir administrer ces territoires», nous déclare Emmanuel Dupuy, qui estime en revanche que ces îles représentent un levier pour Madagascar en vue d’obtenir «autre chose» de la France. Le président de l’IPSE souligne que si la cession à Madagascar des îles Éparses est une demande «récurrente» des autorités malgaches depuis 1972, ces dernières ne se sont pour autant pas montrées particulièrement «insistante» jusqu’à présent, d’autant plus que la Grande île n’est pas la seule à convoiter ces îlots des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Des îles qui ne furent administrativement rattachées à Madagascar que lorsque la France le décida en 1896, au moment où Madagascar devenait elle-même une possession française.
«La question des îles Éparses ne concerne pas seulement que Madagascar, puisque ce sont des Îles qui sont autant revendiquées par les Comores, l’île Maurice, que par Madagascar», tient à rappeler Emmanuel Dupuy.
De fait, les îles Glorieuses sont revendiquées par la Fédération des Comores– qui revendique également Mayotte à la France. L’île de Tromelin est quant à elle revendiquée par Maurice.
Par ailleurs, une telle éventualité pourrait entraîner un effet domino, entraînant une perte de possessions et d’influence françaises bien plus conséquente, notamment en Antarctique, «ce qui est une très mauvaise nouvelle à mesure que l’on sait que c’est là qu’il faut être présent afin d’assurer une présence scientifique, étudier l’évolution des changements climatiques, etc.» insiste Emmanuel Dupuy. La Terre Adélie, ce quartier du continent polaire placé sous administration française par un traité onusien qui visait à limiter les revendications territoriales durant la Guerre froide, pourrait ainsi «de fil en aiguille» faire les frais de la perte de possessions françaises dans l’Océan indien.
S’il tient à rester «extrêmement vigilant» sur la résolution de cette question des îles Éparses, il reste pour l’heure confiant, soulignant que c’est le Parlement qui sur un tel sujet a le dernier mot.
«Je pense très sincèrement que sa majorité parlementaire ne sera pas au rendez-vous pour valider.»
«En acceptant la signature de ce texte, nous aurons ouvert la porte au détricotage de notre souveraineté à l’outremer. Il faut être ferme sur les principes et conserver notre pleine et entière souveraineté sur notre zone économique exclusive», déclarait dans une interview publiée en mars 2017 dans le Journal Marine Marchande le député, aujourd’hui dans la majorité.