Au Mali, la restauration de la mosquée classée de Djenné mobilise tous les habitants

En France, l’incendie de Notre-Dame de Paris a suscité une mobilisation massive. Pour la mosquée en terre de Djenné, c’est une tradition: chaque année, tous les habitants de cette ville du Mali recrépissent l’édifice, classé patrimoine mondial par l’Unesco. Œuvre utile pour la mémoire, mais aussi pour la paix, selon des experts joints par Sputnik.
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Abdoulaye Gaba habite à Djenné, dans la région de Mopti, au centre du Mali. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, ce chef maçon a toujours connu la fièvre du crépissage annuel de la mosquée de sa ville, réputée dans le monde pour son patrimoine culturel. «Je suis né en 1963 et cela se faisait bien avant ma naissance», témoigne ce quinquagénaire, joint par téléphone par Sputnik. Depuis qu’il est actif, il participe avec plusieurs centaines de maçons à préparer ce qu’il faut en amont pour le crépissage, généralement avant l’hivernage (saison des pluies): eau, terre crue, son de riz, paille de riz, beurre de karité, poudre de baobab, entre autres ingrédients pour le banco, matériau en terre dont est faite la mosquée, et de quoi faire les échafaudages. L’édition 2019 du ravalement de la mosquée a eu lieu le 28 avril.

Le jour du recrépissage, «tout le monde se met ensemble, parce que tout le monde est concerné, vieux, jeunes, enfants, femmes, hommes. Tout le monde y participe et tout le monde apprécie. Wallahi [au nom de Dieu, ndlr], c’est très important pour nous tous!», s’enthousiasme Abdoulaye Gaba.

Au Mali, la restauration de la mosquée classée de Djenné mobilise tous les habitants

Selon l’Unesco, l’Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, «la mosquée de Djenné est, de nos jours, le plus grand monument en terre au monde». Sa première édification date de 1280, l’actuel bâtiment a été construit sur les ruines du premier entre 1906 et 1907. Quant à Djenné elle-même, indique encore l’agence onusienne, elle est «l’une des villes les plus anciennes d’Afrique subsaharienne», un site qui fut «habité depuis 250 avant Jésus-Christ». Inscrite en 1988 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, Djenné a toutefois été reclassée en 2016 sur la Liste du patrimoine mondial en péril, «du fait de l’insécurité dans la région qui ne permet pas la mise en œuvre des mesures de protection» du site, précise-t-elle.

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Le Mali est plongé dans une instabilité et une crise complexe depuis un coup d’État militaire, en mars 2012, suivi de la prise de contrôle de la moitié nord du pays par des groupes rebelles et islamistes. Ces dernières années, les affrontements se sont multipliés entre communautés dans le centre du pays, écumé, comme le nord, par des groupes djihadistes, des milices d’autodéfense et des bandes de criminels, en dépit de la présence de forces maliennes et de la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA, déployée depuis 2013).

À cause de ce contexte sécuritaire dégradé, Djenné, comme le reste du Mali, attire moins de touristes. «Les affaires ne marchent plus» comme avant, se plaint le maçon Gaba. À cela s’ajoutent des difficultés dues aux sécheresses ou aux inondations qui affectent l’agriculture, l’élevage et la pêche, secteurs importants dans la région et dans le pays. Rien cependant, ne décourage les habitants dans leur mobilisation pour sauvegarder leur mosquée, constate Moussa Moriba Diakité, chef de la Mission culturelle de Djenné, un organisme lié au ministère malien de la Culture.

«La préservation de la mosquée est vraiment l’affaire de la communauté, de toute la société. Les décisions sont collégiales et tout le monde exécute ce qui a été décidé», explique à Sputnik Diakité, archéologue de formation, en poste à Djenné depuis 2016.

Selon lui, le financement du crépissage est aussi l’affaire de toute la communauté, même si elle reçoit des aides en argent ou nature de l’État, bailleurs ou mécènes, incluant des natifs de Djenné établis à l’étranger.

«Chaque quartier se cotise, des gens de bonne volonté amènent de la nourriture le jour du crépissage, d’autres des friandises... Mais l’État, chaque année, fait une contribution d’un million de francs CFA (1.500 euros)», se réjouit Moussa Moriba Diakité, évaluant le coût de l’opération pour 2019 à «plus de 25 millions de francs CFA (plus de 38.000 euros)».

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Pour le crépissage de 2019, les habitants de Djenné ont eu une raison supplémentaire de se réjouir: ils ont vu leur mosquée vedette être dotée d’un système d’énergie solaire, qui va permettre de réduire les dépenses en électricité jusqu’alors fournie par la société Énergie du Mali (EDM).

L’Unesco et la Coopération espagnole au Mali ont profité de la fête pour inaugurer les nouvelles installations, réalisées à la demande des gestionnaires de la mosquée, dans les normes requises pour les sites classés Patrimoine mondial, précise à Sputnik Gonogo Fidèle Guirou, coordinateur du Programme de réhabilitation du patrimoine culturel et de sauvegarde des manuscrits anciens du Mali, à l’Unesco à Bamako.

«Il y a 110 ventilateurs ou brasseurs d’air dans la mosquée et autant d’ampoules pour la lumière. Souvent, les factures d’électricité dépassaient les 100.000 francs CFA (152 euros) selon les périodes, surtout quand il fait chaud», affirme Guirou.

Selon lui, le projet d’énergie solaire, d’un financement global de 60.000 euros, a permis de faire les études techniques préalables et a impliqué les habitants dans tout le processus, jusqu’à la formation de techniciens locaux pour la gestion des nouvelles installations.

Au Mali, la restauration de la mosquée classée de Djenné mobilise tous les habitants

Au-delà des économies pour le budget du comité de la gestion de la mosquée, cette initiative a contribué à «créer de nouveaux emplois pour la communauté» et à mettre le site à l’abri d’éventuels accidents dus à des bricolages peu fiables, souligne Gonogo Fidèle Guirou.

Et cela n’est pas le moindre des bénéfices pour le site. Car si Djenné est mobilisée en permanence pour sa mosquée, nul ne sait ce que lui coûterait un incendie comme celui ayant affecté la cathédrale Notre-Dame de Paris.

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Ce sinistre, survenu le 15 avril 2019, a suscité une forte mobilisation. Un mois plus tard, le 15 mai, les promesses de dons atteignaient 850 millions d’euros, selon Franck Riester, le ministre français de la Culture. Plusieurs entreprises ont annoncé des contributions importantes.

El-Boukhari Ben Essayouti, muséologue malien basé dans la ville historique de Tombouctou (nord du Mali), rêve d’un élan similaire de générosité pour le patrimoine malien en général. Expert culturel et chef de la Mission culturelle de Tombouctou, il a piloté le projet de réhabilitation des mausolées de saints musulmans de sa ville, qui ont été en grande partie détruits par les jihadistes en 2012. Ces sites ont été reconstruits en 2016 grâce à l’Unesco.

«Dans nos pays, il y a de grandes entreprises qui engrangent de superbes bénéfices. Pendant tout le processus de reconstruction» des mausolées de Tombouctou, elles «n’ont rien fait, rien donné. Tout est venu de la communauté internationale, principalement de l’Union européenne et de la Coopération suisse», déclare Ben Essayouti.

Pour lui, «la grande mobilisation qu’il y a eu autour de la cathédrale Notre-Dame doit servir d’exemple. Il y a encore beaucoup de choses à faire» pour le Mali. Il regrette le fait que, une fois les projecteurs éteints, les sites du patrimoine retombent à l’abandon, exposés aux conséquences de comportements peu civiques, comme actuellement à Tombouctou.

Dans cette ville, «le patrimoine a été réhabilité, mais franchement, il est en souffrance à cause de l’indiscipline» de certains habitants. «Malheureusement, il y a des constructions anarchiques, des dépôts d’ordures, des décharges publiques spontanées, des constructions en béton qui sont totalement illégales», dénonce-t-il, assurant avoir alerté sur cette situation, sans succès pour l’instant.

Pour Moussa Moriba Diakité et Gonogo Fidèle Guirou, le crépissage de la mosquée de Djenné est non seulement une tradition festive, mais aussi le ciment de la stabilité dans la ville, paraissant un îlot d’apaisement dans le centre du Mali en proie à un cycle de violences entre communautés. Et elle pourrait servir d’exemple pour mettre le pays sur la voie de la paix.

Pour le crépissage, explique Diakité, «nous recevons toute la communauté et les villages environnants, quelques touristes aussi. Ça montre qu’il y a la stabilité. Au plan financier, les commerçants peuvent faire de bonnes affaires. C’est un facteur de paix et de cohésion sociale, car c’est pratiquement le seul évènement auquel participent toutes les communautés sans exception, dans un même objectif. Pour l’État, c’est une fierté nationale».

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Guirou souligne également ce facteur fédérateur: «Pour le crépissage, malgré cette situation tendue que vous connaissez au Mali, toute la communauté sans exception se retrouve pendant une journée, dans l’allégresse totale pour travailler pour un bien commun, sans médiation, sans sensibilisation. C’est un moment où on arrive à effacer toutes les difficultés».

Il considère qu’avec de l’éducation au patrimoine, le Mali peut s’appuyer sur cet atout pour sortir du chaos.

«Pour moi, le patrimoine est l’élément par lequel, qu’on le veuille ou pas, on va arriver à effacer nos différences et mettre tous les Maliens ensemble pour pouvoir discuter. Pour moi, c’est vraiment la clé de la course vers la paix», estime-t-il.

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