«Au terme de l'enquête, la MINUSMA est en mesure de conclure que le samedi 23 mars 2019, aux alentours de 5 h 00 du matin (GMT), un groupe composé d'au moins une centaine d'hommes armés, identifiés comme des chasseurs traditionnels (dozos) et accompagnés par une dizaine d'hommes en tenue militaire et d'autres en tenue civile, a mené une attaque planifiée, organisée et coordonnée sur la partie peule du village d'Ogossagou.»
Menée «du 25 au 29 mars», cette enquête précise que «les assaillants ont tué 157 membres de la communauté peule», précisant que ce bilan est fondé sur des «chiffres officiels donnés par les autorités judiciaires régionales (maliennes) le 28 mars».
S'exprimant le 29 mars devant le Conseil de sécurité à New York, le secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres, avait évoqué «au moins 160 civils» tués à Ogossagou, un chiffre donc revu légèrement à la baisse par la MINUSMA dans son communiqué daté du 2 mai. De plus, selon la mission onusienne, 65 personnes ont été blessées dans l'attaque, «par balle, arme blanche ou d'autres moyens physiques».
L'assaut contre ce village «s'inscrivait dans un contexte de nombreuses autres attaques similaires par des groupes de chasseurs traditionnels à l'encontre des populations peules. Ainsi, les atteintes aux droits de l'Homme documentées à Ogossagou, prises dans leur contexte, pourraient être qualifiées de crimes contre l'humanité, s'il est démontré que cette attaque s'inscrivait dans le contexte d'une attaque systématique ou généralisée contre la population civile», a indiqué la MINUSMA dans son communiqué.
S'il était «démontré» que le massacre d'Ogossagou «s'inscrivait dans le contexte d'une attaque systématique ou généralisée contre la population civile», ses auteurs pourraient être «jugés par un tribunal compétent, en vertu du droit international pénal, particulièrement l'article 7 du Statut de Rome», a relevé la MINUSMA. Le Statut de Rome est le traité qui a institué la Cour pénale internationale (CPI). Son article 7 traite des crimes contre l'humanité.
Adam Thiam, auteur de plusieurs études sur les questions de conflit et de développement dans le nord et le centre du Mali, juge dans un entretien à Sputnik ces conclusions «accablantes». Il avait notamment mis en garde contre «les dangers d'une crise négligée» dans le centre du Mali dans une étude publiée en 2017 par le Centre pour le dialogue humanitaire, une organisation de diplomatie privée.
Même s'il s'agit d'un rapport d'enquête préliminaire, «les conclusions sont accablantes. La MINUSMA estime que le massacre de Ogossagou, le 23 mars dernier, a été planifié. Le gouvernement du Mali avait aussi mis sur pied une commission d'enquête dont on attend les résultats, mais, en vérité, les mesures prises par l'État au lendemain du massacre, dont la dissolution de Dan Nan Ambassagou, [groupe armé, nldr] vers lequel tous les regards convergeaient déjà à l'époque, en disent long», a affirmé M. Thiam.
Le 24 mars, le gouvernement malien a décrété, en conseil des ministres, la dissolution de l'association Dan Na Ambassagou, lui reprochant de s'être «écartée de ses objectifs initiaux, en dépit des mises en garde répétées des autorités administratives locales», mais sans fournir de détail. Il a aussi remplacé huit responsables de l'armée malienne, dont le chef d'État-major et son adjoint.
Adam Thiam a dit espérer que les conclusions des enquêtes, tant de la MINUSMA que de celle commanditée par Bamako, «reposeront sur des données très solides, qui permettront de régler durablement la question des milices qui sèment la terreur dans le centre du Mali, et également la question djihadiste, qui doit être traitée militairement là où le dialogue n'est pas possible».
«L'émotion suscitée par cette horrible tragédie n'aura de sens que si la chaîne judiciaire se déclenche de façon prompte et efficace pour mettre fin à l'impunité. Le rétablissement de la paix et de la cohésion sociale au Mali est à ce prix», a-t-il estimé.