Miracle économique chinois, la défaite du modèle libéral occidental

Le succès chinois est souvent présenté comme le fruit de l’adoption du système néo-libéral occidental, une vision contredite par de nombreux analystes pour qui le développement de l’économie chinoise repose toujours sur le rôle stratégique de l’État. La comparaison avec les cas occidentaux, russes ou indiens met en lumière cette réalité.
Sputnik

«La Chine, disent-ils, a attiré les investisseurs étrangers avec sa main-d'œuvre bon marché, elle a privatisé son secteur public, elle a abandonné le collectivisme au bénéfice de la propriété privée. La Chine s'est ouverte au monde, surtout depuis 2001 quand elle est devenue membre de l'OMC.»

«En gros, nous disent-ils, après le désastre de la période maoïste, ce serait en assimilant les recettes néo-libérales occidentales, codifiées par le consensus de Washington ou par les critères définis par les traités européens […] que la Chine se serait redressée. Or, rien n'est plus faux!»

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Karel Vereycken, ne mâche pas ses mots à l'encontre des raisons du «miracle économique chinois» régulièrement avancées en Occident. Durant sa présentation, donnée à l'occasion de la sortie de la version française du rapport de l'Institut Schiller sur les nouvelles routes de la soie, le directeur de publication Nouvelle Solidarité (bimensuel publié par le parti politique Solidarité et Progrès) nuance le tableau dressé par ceux pour qui la Chine devrait son succès économique à son assimilation des règles du système néo-libéral occidental.

À la main du marché, qui aurait sorti de la pauvreté plus de 700 millions de Chinois, Karel Vereycken préfère le Système de Responsabilité des Ménages (SRM) mis en œuvre par Deng Xiaoping en 1978 ou encore les «quatre modernisations»- agriculture, industrie, défense nationale et science & technologies- promues par Zhou Enlai dès 1963 et qui «posent déjà, par leurs objectifs et leurs méthodes, les bases du "Rêve chinois" que nous propose aujourd'hui le Président Xi Jinping.»

«Premier pas vers une forme embryonnaire de propriété privée», la SRM permit aux fermiers de cultiver leur propre lopin de terre et de vendre leur surplus sur un marché libre.

«Certes, aujourd'hui la Chine dispose d'une économie où le marché joue un rôle majeur, mais ce marché reste encadré par des objectifs et des orientations définies par ce qu'on avait l'habitude d'appeler un gouvernement.»

Ce système, couplé à la garantie offerte par l'État de racheter au fermier son quota (abaissé pour l'occasion) de production, rencontrera un «succès instantané» souligne l'intervenant: les revenus des paysans doubla et ces derniers diversifièrent leur production vers des produits plus rentables, offrant par la même occasion plus de choix aux consommateurs chinois. Quant à la Chine, son rendement agricole bondit de «plus d'un tiers», ouvrant ainsi la voie à l'industrialisation du pays.

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Dès 1981, cette réussite, alliant une sécurité prodiguée par l'État à une dose de libéralisme sur un marché précis («double voie») servira de modèle à «toutes les réformes», souligne Karel Vereycken.

Ce dernier évoque notamment les cas des Zones économiques spéciales et des entreprises tant d'État que communales et villageoises. Le conférencier insiste sur la «transition par tâtonnement» entreprise par Pékin et que l'«expérimentation» de la SRM reflète, soulignant ainsi une évolution «à son rythme» de l'Empire du Milieu.

«Cette approche graduelle et pragmatique est à l'opposé totale de la "thérapie de choc" imposée à la Russie, où, en privatisant tout et n'importe quoi et à grande vitesse, l'Occident a provoqué un recul démographique et la ruine de ce grand pays à partir de 1991» souligne Karel Vereycken.

Une «thérapie de choc» qui, non contente de provoquer un déclin prononcé de la population russe, l'a vacciné contre le libéralisme économique. En plus d'une chute de moitié du taux de natalité, l'instauration brutale d'un système libéral en Russie aurait occasionné au cours des années 90 un «excès» de 3,9 millions de morts et une diminution de près de 6 millions du nombre de naissances.

Une «thérapie de choc» qui s'est accompagnée de l'explosion des meurtres, de l'alcoolisme, de la consommation de drogues, des maladies (tuberculose, syphilis, VIH) allant de pair avec la division par deux, des salaires, des pensions et de la production industrielle et alimentaire. Sans parler de l'inflation exponentielle due à la dérégulation (2.240% dès 1992).

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Au beau milieu de cette tourmente, comme le rappelle le New York Times, l'administration Clinton contribua à la réélection de Boris Eltsine en 1996 face aux craintes que les communistes n'accèdent au pouvoir par les urnes. Au sortir de l'ère Elstine, qui à défaut de s'afficher comme libéral, était conseillé par les «Chicago Boys», des libéraux américains, les libéraux russes, tous courants confondus se sont retrouvés dans un ghetto électoral ne dépassant pas 10% des votes. Leur plus gros succès a été remporté à la présidentielle de 2012, avec les 7,98% des suffrages raflés par Mikhaïl Prokhorov.

Dans une autre mesure, la Chine ne garde pas non plus le meilleur souvenir du libéralisme. Le système lui fut imposé par la force à partir de 1840 lors des guerres de l'Opium qui se soldèrent par d'humiliantes défaites, le sac du Palais d'été, la perte de Hong-kong et entérinant une période d'instabilité politique et de déclin économique. Les analystes de la société américaine de renseignement Stratfor décèlent notamment dans la volonté de Pékin de renforcer sa flotte et ses implantations militaires en mer de Chine méridionale comme l'expression d'un souvenir du «penchant de l'Ouest pour la diplomatie de la canonnière.»

«À l'opposé, en Chine, il s'agit toujours et encore d'une politique pragmatique de transition, utilisant le cadre d'une planification centrale, de moins en moins impérative et de plus en plus indicative»,

constate Karel Vereycken, qui revient sur le cas de la double voie: «un exemple que beaucoup d'Occidentaux ne comprennent pas», estime-t-il, «on pense qu'on est en train de convertir la Chine à notre modèle alors que c'est leur modèle qui a fonctionné.» Si en Chine, «60% de l'économie est aux mains d'un secteur privé qui apporte 70% des recettes fiscales et 80% des emplois», le privé évolue dans un «cadre d'objectifs obéissant à une vision à long terme» fixés par la Commission nationale pour le développement et la Réforme (NDRC). Une planification de l'État qui lui en rappelle d'autres, tout aussi fructueuses en leur temps.

«La planification chinoise nous rappelle ce que nous avons fait de meilleur chez nous, c'est-à-dire le New-Deal aux États-Unis et le Commissariat général au Plan sous De Gaulle et Jean Monnet dans l'après-guerre.»

En guise d'illustration, Karel Vereycken évoque le plan Made in China 2025, premier d'une série de trois plans gouvernementaux devant faire du pays, d'ici 2049, un leader de la production manufacturière grâce au développement des hautes technologies. Robotique, aérospatial, biotechnologies et médecine, véhicules à énergies nouvelles, transports ferroviaire et maritime font notamment partie des dix secteurs clefs définis par Pékin dans ce plan de développement.

Des secteurs clefs pour lesquels les autorités chinoises soulignent la nécessité d'encourager les investissements étrangers et de promouvoir les percées technologiques. Pékin incite également à favoriser les entreprises et marques chinoises, ainsi qu'à renforcer les contrôles qualité des produits avec, en ligne de fond, des considérations tant de performances énergétiques qu'environnementales.

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Si le conseiller de l'Institut Schiller pour les questions économiques y voit clairement des «similitudes» avec ce qui se fit en France avec le premier plan de modernisation et d'équipement adopté en 1946, cet avis n'est pas partagé par des analystes anglo-saxons.

Ainsi, un article du think tank américain Council on Foreign Relations (CFR), évoqué par Karel Vereycken, fustige-t-il les graves entorses aux règles de libre-échange que constituent les aides directes et indirectes du gouvernement chinois à ces industries-clefs. Il mentionne notamment «des prêts à taux bas, des exonérations d'impôt et autres subventions».

Les mêmes analystes s'inquiètent de la mobilisation des entreprises tant privées que publiques pour atteindre ces objectifs, notamment encouragées à investir dans leurs homologues étrangères «afin d'obtenir l'accès à des technologies avancées». Ils y voient un «risque sécuritaire» perçu par Washington «et les autres pays développés», rappelant que ce «comportement» de la Chine a poussé Donald Trump à des mesures tarifaires, ou autrement dit à entamer une guerre commerciale avec Pékin.

«Déclarer une guerre commerciale contre la Chine reviendrait donc à déclarer la guerre contre un principe qui a fait ses preuves en Chine et chez nous pour la simple raison qu'il est en accord avec les lois de l'univers et de la raison humaine», regrette Karel Vereycken.

Dans son analyse, le CFR rappelle qu'un rapport du «House Permanent Select Committee on Intelligence» a déclaré Huawei et ZTE «menaces pour la sécurité nationale» à cause de la capacité de Pékin d'utiliser leurs réseaux à des fins «d'espionnage ou de sabotage». En réponse, le Département du commerce a limité la possibilité de ces marques de vendre leurs produits aux États-Unis.

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Illustration que les États-Unis, chantres du libéralisme, ne sont pas non plus exempts de tous reproches concernant son application «pure et parfaite» dès lors que ses règles ne vont pas dans le sens des intérêts américains. D'ailleurs, Pékin a remporté devant l'OMC plusieurs bras de fer l'opposant à Washington.

L'Union européenne semble ainsi la seule zone géographique où les règles du libéralisme prévalent, même dans le cas de rachats de certaines entreprises stratégiques (Alcatel-Lucent) de certains États membres par des concurrents extraeuropéens (Alstom).

Des règles qui mènent à la privatisation des entreprises d'État, l'abandon de leurs monopoles et l'ouverture à la concurrence étrangère de marchés et d'infrastructures autrefois publiques (aéroports, rail, énergie, etc.), des règles libérales qui vont souvent à sens unique.

«Les Chinois peuvent acheter des châteaux dans le bordelais et l'émir du Qatar peut racheter des hôtels à Paris. Maintenant, si vous voulez faire le sens inverse […], si vous vouliez acheter un hôtel au Qatar, ils vous diront non. Si vous souliez acheter un grand jardin de thé en Chine, on vous dira non parce que c'est interdit aux étrangers»,

rappelait François Asselineau au micro de notre chroniqueuse Rachel Marsden. Le président de l'UPR, mentionnait à ce titre l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, précisant que toute restriction aux mouvements de capitaux était interdite.

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Une situation qui ne prévaut pas en Chine, on l'aura compris. Au-delà d'une alliance qui porte ses fruits entre un libéralisme encadré et une planification étatique de l'économie, la présence de l'État dans la société chinoise se ressent également aujourd'hui au niveau de son indicateur de développement humain (éducation, santé, longévité), plus enviable que celui d'autres pays émergents, au premier rang desquels l'Inde.

«L'Inde a gravi l'échelle du revenu par habitant en même temps qu'elle a glissé au bas de la pente des indicateurs sociaux», écrivaient l'activiste belge Jean Drèze et l'économiste indien Amartya Sen (prix Nobel d'économie 1998). Des propos rapportés par Bruno Guigue dans un article au vitriol sur le libéralisme, «l'Inde, contrairement à la Chine, a manqué d'un investissement massif de la puissance publique dans l'éducation et la santé. L'Inde n'a pas souffert d'un surplus, mais d'un déficit d'État», explique cet ancien haut fonctionnaire.

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