D'un côté, ils cherchent par tous les moyens à persuader le lecteur que la Russie est un acteur faible sur la scène mondiale, que Poutine est un autocrate désespéré et qu'il ne faut pas prendre au sérieux ce pays «station-service» qui est sur le point d'être achevé par les sanctions économiques américaines.
De plus, les journalistes britanniques ont perçu dans les vols d'avions-espions américains à proximité de la zone des exercices le signe que l'Occident collectif s'inquiétait des risques représentés, pour l'Occident collectif, par la coopération russo-chinoise active. La phrase concernant le triomphe de Vladimir Poutine s'éclaire à la lumière du contexte médiatique dans lequel évoluent les journalistes britanniques: le fait est que dans leur réalité personnelle, la Russie reste un pays «à l'armée rouillée et inefficace, qui n'est plus capable de rien depuis longtemps», et ni les tirs de missiles Kalibr ni les opérations réussies de l'aviation et des forces spéciales russes en Syrie n'ont permis de briser ce stéréotype médiatique. Il est donc logique que dans ces conditions, les auteurs du Telegraph éprouvent un sérieux choc quand l'armée russe organise des manœuvres d'envergure, qui plus est avec son homologue chinoise.
Cette image visuelle de l'amitié russo-chinoise paraît particulièrement marquante sur fond de décision du président américain Donald Trump de n'assister à aucun des sommets asiatiques prévus, ce qui laisse aux experts occidentaux le sentiment désagréable que l'Asie dans l'ensemble sort de la sphère d'influence et d'intérêts des USA et que dans cette région-clé de la planète régnera désormais l'alliance russo-chinoise. Du point de vue d'un expert américain ou britannique typique, c'est clairement une perturbation du cours normal des choses.
Les projets gaziers russes comme Sila Sibiri («Force de Sibérie») et le gazoduc entre la Russie et la Corée du Sud passant par la Corée du Nord évoqué pendant le forum, sont un thème particulièrement sensible pour ceux qui, en Occident, s'opposent à Moscou. D'ailleurs, Sila Sibiri est mentionné par les journalistes russes dans le même contexte que les exercices militaires. En d'autres termes, ils y voient un instrument d'influence géopolitique de la Russie — et ce n'est pas dépourvu de logique. Le fait est que la Chine (tout comme la Corée du Sud et le Japon) est un pays qui dépend des importations d'hydrocarbures, ce qui la rend très vulnérable (et dans certains cas même dépendante) des pays exportateurs d'hydrocarbures (c'est-à-dire de pétrole et de GNL), ainsi que des pays qui peuvent bloquer toutes les voies maritimes de fourniture de pétrole et de GNL — c'est-à-dire des USA, qui appliquent le principe de l'Empire britannique selon lequel «celui qui contrôle le commerce maritime contrôle le monde».
Premièrement, le «marché premium du GNL en Asie» disparaîtrait ou se réduirait considérablement parce que la Russie comblerait la majeure partie des besoins des importateurs asiatiques grâce au gaz de pipeline bon marché. A l'heure actuelle, le GNL coûte en Asie, en fonction de la conjoncture de marché, 20 à 50% de plus qu'en UE, et c'est ce marché qui intéresse les compagnies gazières américaines dont les intérêts sont activement promus par Donald Trump. Ces compagnies n'arrivent pas à se faire à l'idée que les revenus qu'elles considèrent déjà comme leurs (on parle ici de milliards de dollars) partiront dans les caisses de Gazprom.
Deuxièmement, si la Russie garantissait aux économies asiatiques un accès aux hydrocarbures bon marché, elles recevraient un grand avantage dans les guerres économiques contre les USA qui cherchent actuellement à tirer le maximum de leurs propres ressources énergétiques.
Les opposants occidentaux ne savent pas encore comment faire face à ces risques, mais on peut dès à présent prédire leur décision principale: les sanctions. D'ailleurs, le New York Times a déjà annoncé que les USA préparaient des sanctions contre la Chine pour «violation des droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme ouïghour». Il faut donc s'attendre à l'élargissement du club des pays frappés par les sanctions américaines.
Toutefois, plus Washington prendra de décisions irréfléchies, plus nombreux seront les alliés potentiels qui tendront la main à Moscou.
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