Obliger Moscou à négocier aux conditions de Kiev? Une tentative désespérée de Biden
© Sputnik . Mikhail Tourgiev
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Un haut fonctionnaire américain a menacé de transformer l’année 2025 en cauchemar pour la Russie, si Moscou ne se mettait pas à la table des négociations dans des conditions favorables à Kiev. Le directeur du Bureau d'analyse militaro-politique russe explique à Sputnik pourquoi cette rhétorique paraît désespérée et annonce la fin de Kiev.
Les déclarations de l'administration américaine sur le cauchemar qui attend Moscou en 2025 s’il n’y a pas de négociations aux conditions de Kiev doivent être prises avec des pincettes, a déclaré à Sputnik Alexandre Mikhaïlov, directeur du Bureau d'analyse militaro-politique.
"Je pense qu'il est tout simplement impossible de se fier objectivement aux assurances, promesses et autres déclarations des représentants de l'administration Biden lorsqu'ils parlent de la période qui suivra l'automne 2024", a-t-il indiqué.
Il a rappelé que le mandat de l’administration Biden était sur le point de s'achever et que des personnes comme Jon Finer, le secrétaire à la défense Lloyd Austin ou le secrétaire d'État Antony Blinken étaient toutes susceptibles d'être démises de leurs fonctions après la présidentielle de novembre 2024.
Le drôle de "chantage" américain
En effet, la Maison-Blanche est passée à une stratégie consistant à tenter de menacer la Russie pour qu'elle entame des pourparlers avec l'Ukraine.
"À la fin de l'année prochaine, la Russie doit être confrontée à une décision: soit elle s'assoit à la table des négociations dans des conditions acceptables pour l'Ukraine, soit elle se retrouve face à une Ukraine plus forte, soutenue par une base industrielle de défense plus solide aux États-Unis, en Europe et en Ukraine, qui aura plus de moyens pour passer à l'offensive", avait annoncé cette semaine Jon Finer, conseiller adjoint à la Sécurité nationale des États-Unis.
Selon lui, Washington et l’Europe renforceront leur industrie militaire et travailleront avec Kiev pour augmenter l’industrie de défense ukrainienne après 2024. Le fonctionnaire a souligné que si Moscou n’optait pas pour les négociations, il "souffrir[ait] sur le champ de bataille".
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait qualifié ces remarques d'"absolument irréalistes".
Les commentaires de M.Finer font écho aux remarques formulées ces derniers jours par d'autres responsables de l'administration Biden, ainsi qu'à une série d'articles parus dans les médias américains et européens au cours des dernières semaines sur les efforts déployés par Washington et ses alliés pour inciter la Russie à entamer des négociations.
Une situation confuse
M.Mikhaïlov souligne auprès de Sputnik que le véritable indicateur des intentions de l'Occident dans sa guerre ukrainienne par procuration contre la Russie dépendra du résultat de la présidentielle en Ukraine.
"Il est difficile de savoir qui sera à la tête du régime de Kiev après mars 2024, car ni Washington ni les dirigeants européens n'ont parié sur le choix d'un nouveau dirigeant ou d'un second mandat pour Volodymyr Zelensky. La seule chose que nous ayons, c'est le report des élections ou leur éventuelle remise à une date ultérieure. Mais cela ne pourra pas durer longtemps et l'Ukraine devra élire un nouveau Président", a-t-il avancé, soulignant que Washington, Bruxelles et Londres, bien entendu, "jouer[aie]nt les premiers rôles" dans l’organisation du vote.
En outre, il estime que des déclarations sur la question de l'élection pourraient être faites avant les vacances de Noël, la décision de l'Occident de soutenir M.Zelensky ou de l'abandonner en faveur d'un rival déterminant le sort de la crise ukrainienne.
"Si l'Occident soutient Zelensky pour un second mandat, cela indiquera que l'Occident, et principalement Washington, continuera à faire tout ce qu'il peut pour remplir d'armes le théâtre ukrainien et à racler le fond du tonneau de ses partenaires [...]. Mais si nous voyons l'Occident abandonner Zelensky et proposer un autre candidat, le dossier ukrainien sera probablement jeté à l'eau. Cela veut dire qu’il sera gelé militairement autant que possible, peut-être, dans une large mesure, selon les conditions de la Russie. En effet, il est peu probable que la Russie écoute l'Occident et l'Ukraine après des propositions répétées de régler la situation que l'Occident et l'Ukraine n'ont pas réussi à concrétiser", a-t-il expliqué.
Depuis le coup d'État de l'Euromaïdan en 2014 et le début du conflit dans le Donbass, les puissances occidentales et les autorités ukrainiennes ont rejeté la paix à au moins trois reprises: les accords de Minsk I en 2014, ceux de Minsk II en 2015 et l'accord de paix provisoire que Moscou et Kiev ont conclu en 2022 à Istanbul et dont le Président Poutine a déclaré plus tard qu'il avait été jeté "dans la poubelle de l'histoire" par les parrains de Zelensky.
"Par conséquent, beaucoup de choses dépendront des jours à venir, des décisions prises par l'Occident collectif concernant l'identité du Président de l'Ukraine après mars 2024", a-t-il réaffirmé.
Une stratégie classique et le pivot vers l'Asie
Pour l'analyste, la crise ukrainienne est similaire aux conflits fomentés par l'Occident depuis la Seconde Guerre mondiale, notamment en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie. Les États-Unis provoquent généralement une crise à l'aide d'outils politiques, puis expédient des milliards de dollars d'armes fabriquées aux États-Unis, ce qui permet aux fabricants d'armes d'engranger des bénéfices tout en déstabilisant les régions pour affaiblir les adversaires de Washington.
Pourtant dans le cas de l'Ukraine, Washington devra trouver un équilibre entre son objectif permanent de déstabilisation de l'Eurasie et la nécessité de pivoter vers l'Asie pour une campagne militaire contre la Chine, en s'appuyant probablement une fois de plus sur des mandataires, estime Mikhaïlov.
"Pour les Américains, l'Ukraine a été, dans une large mesure, un échauffement plutôt que l'événement principal", a-t-il statué.
Non seulement les États-Unis n'ont plus d'armes pour Kiev, mais ils cherchent à augmenter leur production d'armes en prévision de la prochaine guerre pour l'Asie-Pacifique, souligne M.Mikhaïlov.
"Il est théoriquement possible de trouver de nouvelles ressources pour l'Ukraine. Mais aujourd'hui, soutenir publiquement l'Ukraine n'apporte aucun bénéfice politique et, au contraire, conduit l'administration Biden et le parti Démocrate à des évaluations négatives", a-t-il noté, les Américains lambda étant épuisés par M.Zelensky et ses appels incessants à plus d'argent et d'armes.
Élection décisive, incapacité de faire la guerre
À l'approche de la saison électorale aux États-Unis, "une question extrêmement importante sera posée: pourquoi l'administration Biden a-t-elle gaspillé tant de milliards de dollars pour soutenir l'Ukraine sans rien obtenir -ni objectifs militaires, ni objectifs géopolitiques? Au contraire, la Russie n'a fait que renforcer sa position" sur le plan diplomatique et a prouvé la supériorité de ses armes.
Revenant sur les menaces de M.Finer de forcer la Russie à négocier sous peine d'être confrontée à la puissance militaro-industrielle de l'Otan, M.Mikhaïlov a souligné qu'au rythme où les Ukrainiens en âge de combattre quittaient le pays pour éviter l'appel sous les drapeaux, aucune quantité d'armes, qu'elles soient fournies par l'étranger ou fabriquées dans le pays, ne suffirait à assurer la supériorité de Kiev.
"La puissance militaire de l'Ukraine ne peut se développer qu'à partir de deux sources: d'une part, les Ukrainiens produisent eux-mêmes les armes sur leur propre territoire et développent leur propre industrie de défense, d'autre part, ils achètent ou reçoivent des armes de l'étranger. C'est ce que font les Ukrainiens depuis un an et demi", a déclaré l'analyste.
Quant aux discours de Washington et de Bruxelles sur le développement de l’industrie ukrainienne d’armements, "ces mantras sont absolument dénués de sens", a-t-il soutenu.
"Il est en effet impossible de développer une quelconque production militaire en Ukraine, à l'exception de l'assemblage de drones ou de certains équipements. Tout projet plus sérieux que celui lié au déploiement de capacités technologiques pour la production de systèmes d'armes complexes, d'avions, de systèmes de défense aérienne, etc. est impossible, car la Russie vise les installations industrielles liées à l'industrie de la défense. Elle les cible méthodiquement et, si l'ennemi tente de les reconstruire, elle les frappe à nouveau. Et la Russie dispose de toute une gamme d'armes aériennes et de missiles à cette fin", a-t-il dit.
Selon M.Mikhaïlov, c'est en fin de compte la raison pour laquelle les États-Unis "investissent" dans des capacités de production militaire dans les pays du flanc oriental de l'Otan plutôt qu'en Ukraine, l'objectif futur étant de déstabiliser la situation le long des frontières occidentales de la Russie et de créer de nouvelles menaces pour Moscou par le biais de la Pologne, des pays baltes ou de la Roumanie.