Le Burkina a 64 ans: "l’Afrique de papa" n’est plus l’Afrique des Français
© Photo Pixabay / AluminumAzalea / Monument des Martyrs, Burkina Faso, OuagadougouMonument des Martyrs, Burkina Faso, Ouagadougou
© Photo Pixabay / AluminumAzalea / Monument des Martyrs, Burkina Faso, Ouagadougou
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Bassirou Sanogo, diplomate, enseignant et consultant en communication, retrace pour Sputnik l’évolution voltaïco-burkinabé depuis la proclamation de la République. Un parcours similaire à celui de nombreux autres pays africains ayant accédé à l’indépendance.
Ce dimanche 11 décembre, le Burkina Faso fête le jour de la République. Sa proclamation en 1958 avait été un prolongement des réformes politiques dans le système colonial français, démarrées à partir de la déclaration de De Gaulle en 1944 à Brazzaville, raconte à Sputnik Bassirou Sanogo, diplomate, enseignant et consultant en communication, mais aussi premier ambassadeur du Burkina Faso en Algérie.
Le 11 décembre 1958, il avait dix ans et allait à l’école primaire de sa ville natale de Tougas.
"Ce dont je me souviens, c'est qu'il y a eu des manifestations de joie qui étaient sous forme de défilés. C'était un jour de réjouissance qui permettait aux Voltaïques de l'époque de savoir qu’ils ont franchi un pas vers l'indépendance."
Le lien avec la métropole n’est pas coupé
Le Burkina a obtenu son indépendance en août 1960. Cependant, selon lui, "aucun pays africain n'a réussi pratiquement à prendre son destin en main".
L’Afrique anglophone a mieux réussi en la matière que les francophones.
"Les francophones, je pense que le lien vital n'a pas été coupé. Disons, les rapports avec l'ancienne métropole sont restés. On ne peut pas dire que les 60 ans d'indépendance ont pu permettre à l'Afrique noire, notamment francophone, de s'en sortir."
Besoin de diversification
Bien qu’il n’y ait pas de rupture avec la France, dont l’influence l’a formaté lui et ses compatriotes, M.Sanogo juge que le développement du pays doit se fonder sur un partenariat diversifié.
"Par exemple, le premier ambassadeur de la Haute-Volta en Union soviétique a été installé en 1967. À partir de 1971, nous avons eu des rapports avec Pékin. Il y a une dynamique et une diversification des partenaires qui est nécessaire et qui ne doit pas être imposée."
La fin de "l’Afrique de papa"
En ce qui concerne les manifestations antifrançaises de cet automne à Ouagadougou, M.Sanogo estime que les gens "voient que la position de la France est trop pesante sur leur pays". Les jeunes africains "sont contre cette présence française parce qu'ils se rendent compte qu'ils n'avancent pas avec cette présence française. Avec des choses simplement que Paris n'a pas changé de paradigme dans l'appréciation des Africains. L'Afrique de 1960 ne peut pas être l'Afrique de 2022."
Il met pourtant en garde contre les parallèles entre les années 1960 et 2022.
"Entre 1960 et 2022, beaucoup de choses se sont passées dans ce pays qu'on appelle la Haute-Volta où pour la première fois en Afrique, un Président a été mis en ballottage au cours d'une élection présidentielle. En 1978, c'était la première en Afrique noire. Ça s'est passé en Haute-Volta, au Burkina Faso", estime l’ex-ambassadeur.
Pour rappel, la Haute-Volta était une colonie de l’Afrique-Occidentale française avant de prendre son indépendance totale le 5 août 1960. La Haute-Volta prend le nom de Burkina Faso le 4 août 1984.
Revenant sur les manifestations antifrançaises, le diplomate estime qu’il est temps que les Français comprennent que "l’Afrique de papa" n’est plus leur Afrique.
"Il faut se fonder sur la réalité et son évolution d'un point de vue politique, historique, social et établir d'autres types de rapports qui tiennent compte effectivement des intérêts mutuels partagés", résume-t-il.
Tous sont sankaristes
Le combat de Thomas Sankara est "toujours d’actualité", estime le diplomate. Chef d’État voltaïque et burkinabè, celui-ci a été assassiné lors d’un coup d’État en 1987.
"On pourrait dire qu'il y avait quelques élans populistes dans sa vision des choses. Mais ce qui est sûr, c'est que la génération d'aujourd'hui estime que c'est ce qu'il faut. Durant les quatre ans d'exercice du pouvoir, beaucoup de choses ont été réalisées sans prêts, sans aller à la Banque mondiale. Ce qui fait qu'aujourd'hui tout le monde est sankariste au Burkina Faso, même ceux qui l'ont combattu."
La jeunesse burkinabé, qui vient de la période de Sankara, n’est peut-être pas armée idéologiquement, mais elle a une conscience, en se fondant sur un passé encore dynamique, que rien ne peut plus être fait comme avant.
"L'ancienne puissance coloniale devrait comprendre cela et analyser ces rapports, ces nouveaux rapports avec un pays comme la Haute-Volta. Sous l'angle de cette vision d'une autre génération, je pense que c'est cet élément qui manque et qui explique en partie pratiquement une désaffection pour la politique française exprimée par une certaine jeunesse."