"L’Afrique sera un pôle du monde multipolaire en train de se former"

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Planète, image d'illustration  - Sputnik Afrique, 1920, 30.09.2022
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"La Russie est en Afrique depuis 50 ans et a été parmi les premiers à soutenir la décolonisation du continent". Interview pour Sputnik d'Anna Evstigneïeva, ambassadrice russe adjointe à l'Onu. Elle y évoque les relations russo-africaines ancrées dans l’histoire et la pression occidentale sur les pays souverains du continent.
Sputnik. La Russie accorde actuellement beaucoup d'attention au continent africain. Les responsables de haut rang russes se rendent souvent en Afrique. La situation en Ukraine y est-elle pour quelque chose?
"Ce qui se passe actuellement dans les relations bilatérales, les voyages du ministre, etc., tout cela n’arrive pas à cause de l'Ukraine. Nous ne sommes pas un nouvel ami pour l'Afrique. Nous y sommes depuis plus de 50 ans. Nous avons été parmi les premiers à soutenir la décolonisation du continent et avons combattu avec de nombreux pays africains pour leur indépendance.
Nos relations économiques et politiques ne dépendent pas de la conjoncture politique ou des événements extérieurs. Ceci dit, c'est l'offensive de charme lancée par l'Occident qui pose des questions. Nous y voyons de l'hypocrisie et du "deux poids, deux mesures". Mes contacts avec les Africains montrent qu'ils sont parfaitement conscients de cela. Dans les récentes initiatives de Washington et de l'UE concernant l'Afrique, ils ne voient que des appels à une prétendue démocratisation. Il s'agit d'un nouveau tour pour imposer les valeurs européennes, dans lequel [les pays africains] voient une tentative d’entraver leurs relations avec la Russie. Mais, comme de nombreux dirigeants africains l’ont noté ces derniers temps, ils n'ont aucune raison de se quereller avec la Russie. Celle-ci a toujours été une amie de l'Afrique".
Sputnik. Vous croyez donc que les Etats d'Afrique sont aujourd’hui prêts à accepter la menace de sanctions secondaires de l'Occident et préféreront garder leur opinion et leur politique indépendantes?
"Bien sûr, les pays africains subissent une pression politique et économique très importante. Et le système des relations entre les pays occidentaux et les pays africains en développement s'appuie sur des leviers d'influence et de pression. Ces leviers seront évidemment utilisés de nouveau. Actuellement, j'aperçois des tentatives de nombreux pays d'Afrique de profiter de l'occasion pour se libérer, dans la mesure du possible, de cette pression. Et pour former de nouveaux mécanismes permettant de promouvoir leurs visions indépendantes et leur politique souveraine. Cela concerne entre autres le développement de l'Union africaine et la coopération au sein d'organisations régionales, ainsi que la coopération avec les pays africains sous le coup de sanctions. Ces tendances se refléteront notamment au sein de l'Onu".
Sputnik. Aux Nations unies, vous êtes sans cesse en contact avec vos interlocuteurs africains. Est-il souvent nécessaire de leurexpliquer la politique internationale de la Russie?
"Lors des contacts bilatéraux, les pays d'Afrique font preuve d’une compréhension absolue de ce qui se passe. Beaucoup d’Africains n'ont pas besoin qu’on leur explique les moyens utilisés par les États-Unis et l'Europe pour promouvoir leurs approches dans les pays en développement. Les Africains ont beaucoup souffert de la politique de l’Occident et se rappellent toujours l’intervention militaire en Libye, les assassinats des leaders nationaux, le soutien au régime de l’apartheid en Afrique du Sud.
Ils comprennent la situation géopolitique actuelle et les raisons de ce qu’il se passe. Ils comprennent qu'il est temps de former leur pôle à eux dans cette nouvelle multipolarité pour servir avant tout leurs intérêts nationaux et ceux de leur continent. Tout le monde comprend qu'un monde multipolaire est en train de se former, que l'Afrique en sera l'un des pôles et que le processus est difficile".
Sputnik. Quelle est la dynamique des relations commerciales entre la Russie et les pays africains? Avec qui Moscou coopère-t-il le plus activement et quels sont les pays prioritaires du point de vue de l'accroissement des échanges bilatéraux?
"Le continent africain présente un potentiel croissant. Ses pays se développent et développent la coopération mutuelle [avec la Russie] sur la base des relations politiques et économiques formées dès l'époque de l'URSS. Les perspectives sont prometteuses, en premier lieu quant à la coopération dans l'exploitation des ressources naturelles, la construction d'infrastructures, dans l'agriculture. La question de la sécurité alimentaire est actuellement à l'ordre du jour. Outre les livraisons de céréales et d'autres produits agricoles comme aide humanitaire et économique, les pays africains nous demandent aussi des engrais.
L'initiative avancée par le Président Poutine sur le réacheminement des engrais [russes] bloqués dans les ports européens a suscité un intérêt soutenu des pays africains, car ces pays peuvent fabriquer leurs propres produits agricoles. Mais il faut leur en donner les possibilités, et les engrais en font partie. En outre, nous avons une bonne expérience en matière de coopération militaire technique, de commerce d'armements. Elle continuera de se développer, je pense".
Sputnik. L’ordre du jour de la 77e session de l'Assemblée générale de l'Onu et de nombreux contacts en marge ont dans une grande mesure porté sur le continent africain. Comment la Russie a-t-elle dialogué avec les pays africains pendant la semaine de haut niveau de l'Assemblée générale? Quels en sont les résultats?
"Je pense qu'un tiers des rencontres tenues par le ministre des Affaires étrangères Lavrov l'ont été avec des pays d'Afrique. Parmi nos partenaires traditionnels avec lesquels nous avons eu des rencontres se trouvaient l'Éthiopie, l'Afrique du Sud, l'Égypte, l'Érythrée, le Mali, la Centrafrique, le Soudan du Sud et le Soudan. Ces pays, avec lesquels nous entretenons des liens d'amitié et économiques profonds, comprennent bien la situation politique actuelle. Les problèmes de ces pays sont examinés au sein du Conseil de sécurité et ils s'appuient sur nous dans leur traitement. Lors de nos rencontres, nous nous sommes penchés sur les questions bilatérales et sur notre coopération au sein du Conseil de sécurité".
Sputnik. Vous avez déjà mentionné le problème des engrais, mais il va de pair avec celui de l'approvisionnement de l'Afrique en céréales. La Russie réussit-elle à contribuer à la résolution de ce problème? Qu'est-ce que Moscou fait pour le régler?
"Nous allons nous appuyer en premier lieu sur les contrats bilatéraux conclus avec les pays africains. De nombreux États d'Afrique achètent normalement de grands volumes de produits agricoles russes. Mais les sanctions et autres restrictions économiques imposées à la Russie ont remis en cause l'exécution de ces contrats. L'Occident a sapé, par sa pression, les schémas financiers et logistiques. La hausse des prix de l'assurance empêche la mise en œuvre de ces contrats. Nous sommes actuellement en train de chercher des moyens de conclure de nouveaux accords en vue de contourner ou de couper cette influence occidentale.
D'autre part, nous regrettons que les accords céréaliers conclus à Istanbul soient tombés à l’eau. Or, toute une campagne a été soulevée au sein de l'Onu pour déclarer que le blé ukrainien pourrait sauver les pays d'Afrique. Mais seulement une partie dérisoire des céréales exportées d'Ukraine ont atteint le continent africain. Il importe de réparer cette situation. Nous avons plus d'une fois soulevé cette question au sein de l'Onu et nous continuerons de le faire. Les pays africains doivent le faire également, car ils sont les premiers à être intéressés à ce que rien n'empêche leur approvisionnement en produits agricoles".
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