Crise Maroc-Espagne: controversée, l'extradition d'un pro-Polisario marque-t-elle un apaisement?

© AP Photo / Daniel Ochoa de Olza Des soldats du Front Polisario en parade au village de Tifariti aun Sahara occidental
 Des soldats du Front Polisario en parade au village de Tifariti aun Sahara occidental - Sputnik Afrique, 1920, 31.12.2021
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Après deux mandats d’arrêt et neuf mois d’incarcération en Espagne, un militant pro-Polisario recherché par le Maroc a été condamné après son extradition par Madrid. Contestée par les défenseurs du Polisario, cette affaire intervient tout de même dans un contexte de tensions entre les deux pays.
Deux ans de prison ferme et une amende de 1.000 dirhams (100 euros) à l’encontre d’un pro-Polisario. C’est la sentence qui a été prononcée par le tribunal de première instance d’Aïn Sbaâ à Casablanca, contre l’activiste du Polisario Faysal Bahloul, vendredi 24 décembre. Connu sous le surnom de "Boukhnouna" et se présentant comme "imam" à ses heures perdues, Faysal Bahloul, né dans la région de Guelmim dans le sud du Maroc, vivait en Espagne avant de faire l’objet de deux mandats d’arrêt émis par les autorités marocaines.
Le blogueur suivi par quelque 30.000 personnes sur les réseaux sociaux a publié plusieurs vidéos sur le Net dans lesquelles il appelle à la violence, et qui lui ont valu des poursuites pour "incitation d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État ", " incitation directe et publique à commettre des crimes contre des personnes dépositaires de l’autorité publique, menaces de mort et d’enlèvement, incitation contre l’intégrité territoriale du royaume, incitation à troubler l’ordre public, insulte et diffamation dirigées contre des institutions constitutionnelles, des corps organisés et des agents publics dans le cadre de l’accomplissement de leurs fonctions, publication et diffusion de fausses nouvelles et faits, incitation à la discrimination et à la haine…", d'après la Maghreb Arabe Presse (MAP).
Certains rapports médiatiques avaient également évoqué des poursuites basées sur son implication présumée dans des affrontements du campement de Gdim Izik, au Sahara occidental, en 2010 où 11 policiers marocains ont été tués. Des chefs d'inculpation qui n'avaient pas été confirmés officiellement.

Arrêté et extradé par l’Espagne

Contre toute attente, la condamnation de Faysal Bahloul est née d’une coopération entre les autorités marocaines et espagnoles qui lui auraient reproché d'utiliser "les réseaux sociaux pour inciter à commettre des actions terroristes contre des personnes et des institutions marocaines en Espagne et ailleurs". Il a été arrêté au mois de mars, dans la ville de Bilbao, soit, peu de temps avant l’accueil par Madrid en catimini de Brahim Ghali, chef du Polisario, suscitant alors l’ire de Rabat et débouchant sur la crise diplomatique qui dure depuis le mois d’avril.
Ces événements démontrent sans doute la complexité de la position de la péninsule ibérique dans ses relations avec le Maroc et le Polisario. Un geste "qui n’allait pas de soi", reconnaît Emmanuel Dupuy président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), compte tenu de ces éléments et du contexte politique espagnol. " Le gouvernement espagnol est composé de manière hétéroclite, de partis politiques dont la feuille de route […] ou l’agenda politique est davantage proche du Polisario qu’il l’est du gouvernement marocain".
José Manuel Albares  - Sputnik Afrique, 1920, 24.12.2021
Quand un communiqué officiel marocain crée un nouveau malaise dans les relations avec l'Espagne
Toutefois, l’extradition de l’accusé qui est intervenu en novembre 2021, alors même que les deux pays traversaient une période de turbulences, témoigne selon Emmanuel Dupuy de"récentes évolutions notamment avec le changement de ministre des Affaires étrangères [qui] sont venues confirmer que les relations entre les deux pays s’amélioraient, et d’une certaine manière cette extradition, que l’Espagne a accordée aux autorités judiciaires marocaines qui a permis la condamnation de Faycal al Bahloul, le confirme".

Une extradition "honteuse"

Mais cette extradition est loin de faire l'unanimité. Elle n’a d’ailleurs pas manqué de révolter certains hommes politiques à l’instar du sénateur Carles Mulet Garcia du parti de gauche de Valence, "Compromis", qui a qualifié cette procédure de "honteuse" ou encore de responsables de certaines associations qui se sont insurgés sur les réseaux sociaux, invoquant la violation à la Convention de Genève, notamment celle de 1949 relative aux prisonniers de guerre.
"L’Espagne a extradé l’activiste Sahraoui +Faysal Bahloul+ à l’occupant marocain après avoir été arrêté à Bilbao sans aucune charge pendant plus de six mois, avant d’être expulsé aujourd’hui à Casablanca, où il fait l’objet d’une enquête pour crimes graves."
"Pouvez-vous dormir correctement en laissant ce Sahraoui dans les mains de meurtriers? N’ont-ils pas de dignité? L’Espagne a déporté l’activiste Sahraoui Faysal Bahloul au Maroc"
Mais pour l’interlocuteur de Sputnik, cette coopération viendrait conforter "l’excellence, sur le papier en tout cas, des relations entre les services de renseignements: la Direction générale de la sûreté territoriale (DGST) ou la Direction générale des études et documentation (DGED) marocaine et le Centre national de renseignement (CNI) espagnol". Selon lui, "cette coopération témoigne qu’au-delà de la crise qui a enrayé les relations diplomatiques, elles sont au beau fixe". En témoigne également l’importante mobilisationdes forces de sécurité marocaines le long de la frontière de Ceuta, le 25 décembre pour lutter contre un flux de migrants.
Brahim Ghali - Sputnik Afrique, 1920, 04.05.2021
Affaire Brahim Ghali: jusqu'où ira l'escalade des tensions entre Rabat et Madrid?
Cet épisode ne signifierait pas pour autant la fin de crise entre les deux pays, tempère l’expert interrogé par Sputnik. D’ailleurs, le 20 décembre, un communiqué officiel marocain avait provoqué un nouveau malaise entre les deux partenaires. Le chef de la diplomatie espagnole avait qualifié d’"inacceptable" un communiqué du ministère de la Santé qui remettait en cause la gestion de l'épidémie par Madrid, avant d’assurer que l’Espagne travaille "avec toute sa bonne volonté" à entretenir "les meilleures relations avec le Maroc".
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