Le Liban a enfin un gouvernement mais croule sous les défis
19:11 10.09.2021 (Mis à jour: 22:23 08.04.2023)
© AFP 2024 -Nabih Berri, Michel Aoun et Najib Mikati
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Au bout de 13 mois de tentatives, le Liban s’est enfin trouvé un nouveau gouvernement. Mais entre la relance économique et la mise en place de réformes structurelles pour obtenir l’aide internationale, les défis de la nouvelle équipe ministérielle sont immenses.
La nouvelle était attendue depuis plus d’un an. Le Président libanais Michel Aoun et le Premier ministre Nagib Mikati se sont mis d’accord sur une feuille de route ministérielle. Le chef du gouvernement, conscient de la crise de confiance avec les citoyens, a martelé dès ce matin qu’il était important «que le peuple fasse confiance et que tous les Libanais s’unissent pour restituer l’entité de l’État».
Pour Samy Gemayel, la formation du cabinet "consacre la mainmise du #Hezbollah" sur les décisions #Liban https://t.co/nGNADrr1ES
— L'Orient-Le Jour (@LOrientLeJour) September 10, 2021
Résultat des courses: le Président a eu gain de cause avec la nomination des chrétiens Abdallah Bou Habib aux Affaires étrangères, Henri Khoury à la Justice et Maurice Slim à la défense. De leur côté, les sunnites ont hérité de l’Intérieur avec Bassam Al Mawla et de l’Économie avec Amin Salam. Les chiites ont également eu ce qu’ils voulaient, à savoir le ministère des Finances avec Youssef Khalil.
Plus de 75% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté
Mais «après l’euphorie, place au travail maintenant», tonne l’économiste Najib Fayad.
«La formation du gouvernement est une bonne chose mais les politiques ont d’immenses défis à relever avec une priorité pour l’économie. Le pays est au bord du chaos. Donc oui, l’annonce est appréciable mais on veut du concret, et vite», explique-t-il au micro de Sputnik.
La nouvelle équipe gouvernementale a en effet du pain sur la planche. Le pays du Cèdre accumule les crises et les pénuries. Les hôpitaux, les restaurants, les magasins et les habitants n’ont plus d’électricité, les pharmacies n’ont plus de médicaments, le salaire moyen a perdu 90% de sa valeur initiale, plus de 75% des citoyens vivent sous le seuil de pauvreté, 80% des stations-service n’ont plus d’essence. Bref, le Liban est quasiment à l’arrêt.
La paupérisation accrue de la population a entraîné une montée des violences urbaines et communautaires. Et c’est l’armée qui en fait les frais. Elle-même gravement touchée par l’effondrement économique du pays, les militaires libanais peinent à maintenir l’ordre. Pour enrayer cette descente aux enfers, il n’y a qu’une seule solution pour le nouveau gouvernement, prévient l’ancien directeur du think tank Groupe Gamma :
«Il faut mettre en place des réformes structurelles et économiques, il faut redonner confiance à nos partenaires traditionnels. La France, les États-Unis, l’Union européenne et même l’Onu l’ont dit: il n’y aura pas d’aide sans mise en place de réforme pour relancer l’économie du pays.»
«Les pays étrangers ne vont pas ouvrir les valves des aides parce qu’il y a eu la formation d’un gouvernement», ajoute-t-il. Pourtant, triste podium pour le Liban, il est le troisième pays derrière la Syrie et le Yémen à recevoir le plus d’aide humanitaire. Pour l’année 2020, Beyrouth a reçu 1,6 milliard de dollars, un chiffre en augmentation de 45,5% par rapport à l’année précédente. Le Programme alimentaire mondial, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés et le Fonds des Nations unies pour l’enfance ont majoritairement financé le programme humanitaire d’urgence du pays. Le dernier a en partie permis de couvrir la lutte contre l’épidémie de coronavirus et les dépenses liées au drame de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020.
Pour espérer une aide internationale, encore faudrait-il que le nouveau gouvernement s'accorde
Nouveaux ministres pas si neufs
Notre interlocuteur craint que la formation du gouvernement ne soit en réalité qu’une fausse bonne nouvelle compte tenu de l’appartenance des différents ministres aux partis traditionnels.
«On prend les mêmes et on recommence: depuis plusieurs jours, il y avait des pressions en interne pour la nomination des ministres des partis traditionnels. Malheureusement, il n’y a rien d’indépendant dans ce nouveau gouvernement», estime le consultant.
Dans un pays morcelé par le communautarisme, les différents partis suivent une logique d’alliance bien précise. Malgré la révolution d’octobre 2019 et sa volonté de changement, les mouvements traditionnels restent bien ancrés dans le paysage politique. Deux principaux axes s’opposent: d’un côté, les partis du 8 mars regroupant le Courant patriotique libre, le Hezbollah, Amal, et d’un autre côté ceux du 14 mars avec les Forces libanaises, le Courant du Futur et le Parti socialiste progressiste druze.
Au gré de la conjoncture, cette grille de lecture politique resterait immuable.
«Il va y avoir les élections législatives en mai 2022, puis la Présidentielle en octobre. Qui nous dit qu’il n’y aura pas de blocage? Chaque parti traditionnel veut avoir le tiers blocage pour empêcher l’adoption de cette loi ou de cette réforme. Les ministres agiront en fonction des intérêts du chef du parti, les Geagea, les Aoun, les Jumblatt, les Hariri...», prévient Najib Fayad.
La formation du gouvernement libanais n’était pas en effet une mince affaire. Chaque parti défendait ses propres intérêts. Le Président et le Premier ministre ne s’accordaient pas sur le nombre ou sur la nomination de tel ou tel ministre. Michel Aoun faisait du ministère de la Justice sa chasse gardée, notamment pour enquêter sur le puissant gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé. Alors que Nagib Mikati s’y opposait.
«Pour le bien du Liban, il faudrait un audit de la banque centrale. Cela permettrait de mettre la main sur les gens qui ont enfoncé le pays dans la crise monétaire et qui se sont enrichis grâce à la pyramide de Ponzi», appelle l’économiste.
Une chose est sûre, la nouvelle équipe gouvernementale se réunira la première fois lundi prochain pour tenter d’insuffler un espoir au pays du Cèdre. «Cette annonce est la bienvenue, cela va calmer l’ardeur d’un peuple à bout de souffle. Mais il y a tout à faire ou à refaire. Si on veut faire preuve de réalisme politique, au vu des nominations des différents ministres, il faut rester plus que prudent», conclut Najib Fayad.
Pour le nouveau gouvernement, il n’y a plus qu’à faire ses preuves!