Liban: «le Hezbollah est le seul parti à agir pour résoudre cette crise»
17:50 07.09.2021 (Mis à jour: 22:23 08.04.2023)
© AP Photo / Hussein MallaHassan Nasrallah
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Le Hezbollah chiite va octroyer une aide financière à des familles sunnites et chrétiennes. Le parti libanais multiplierait les initiatives aconfessionnelles pour tenter de sortir le Liban de la crise économique. Cela servirait également le mouvement pro-iranien à redorer son image récemment malmenée, analyse Scarlett Haddad, journaliste libanaise.
Et si le Hezbollah venait au secours de tous les Libanais?
Le puissant parti chiite a annoncé le 7 septembre l’envoi d’une aide financière dans la région de Akkar, principalement peuplée de chrétiens et de sunnites. Dans la nuit du 14 au 15 août, l’explosion d’un camion-citerne avait entraîné la mort d’une trentaine de personnes, civils et militaires compris. En plus d’être englué dans une crise multidimensionnelle sans précédent, le Liban était en deuil. Pour tenter de panser les cicatrices du drame, le Hezbollah va fournir 30 millions de livres libanaise par famille de victimes (soit environ 1.700 dollars) et 15 millions de livres (850 dollars) pour chaque famille de blessé. Selon le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, plusieurs autres aides sont à prévoir.
Téhéran au chevet du Liban, Damas « prêt à aider »
Moins impacté par l’effondrement économique du pays en raison de l’aide iranienne, le parti chiite libanais userait ainsi de ses ressources pour pallier les manques de l’État libanais. Cette action aconfessionnelle prouverait que le mouvement pro-iranien serait également dans une démarche patriotique. «Les détracteurs du mouvement diront que c’est la preuve que le Hezbollah compte contrôler le Liban», fait remarquer Scarlett Haddad, journaliste et analyste politique libanaise pour le quotidien L’Orient Le Jour.
«Qu’importe les actions du Hezbollah, il n’y aura jamais de réel consensus à l’échelle du Liban. Aujourd’hui, le parti qui est majoritairement présent au Sud et dans la plaine de la Bekaa va aider une région du nord où il n’y a pas de chiites, c’est donc la preuve qu’ils sont dans une démarche nationaliste et non communautaire», avance-t-elle au micro de Sputnik.
Le parti chiite libanais n’en est pas à son coup d’essai. Le 22 août pour la seconde fois en l’espace de quelques jours, Hassan Nasrallah, avait annoncé qu’un pétrolier iranien chargé de carburant allait partir en direction du Liban. Dans son allocution télévisée, le chef du mouvement avait également mis en garde les Américains et les Israéliens contre toute tentative de sabotage du navire. De surcroît, pour enrayer la crise des carburants au Liban, où plus de 80% des stations d’essence sont à sec, le leader du Hezbollah avait même émis l’hypothèse de faire appel à des entreprises iraniennes pour exploiter les gisements libanais: «si aucune société n’est prête à effectuer des forages au large du pays pour exploiter les hydrocarbures, il y a des sociétés iraniennes qui sont prêtes à le faire».
Pour balayer les critiques communautaires, il avait martelé qu’une fois en mer, le pétrolier iranien serait considéré comme «un territoire libanais». Le mouvement chiite voudrait se servir de l’achat de cette cargaison par des hommes d’affaires chiites pour «dynamiter la pression occidentale», affirme la journaliste libanaise.
Le Liban va recevoir de Syrie du gaz égyptien «grâce» à… Washington
Et comme par enchantement le 23 août, au lendemain de l’annonce de l’arrivée d’un tanker iranien sur les côtes syriennes pour approvisionner le Liban, Washington était entré dans la danse. En effet, avec le feu vert exceptionnel de l’Administration américaine, Beyrouth va tenter d’acheminer via la Syrie et ses infrastructures du gaz égyptien, mais aussi de l’électricité venue de Jordanie, et ce malgré la loi américaine César qui empêche tout pays de commercer avec Damas.
Crise au #Liban : les boulangeries du Nord fermées à partir de mercredi, faute de mazout et de farine https://t.co/Up2d0Wxkv7
— L'Orient-Le Jour (@LOrientLeJour) September 7, 2021
«L’initiative du Hezbollah a décanté la situation au moment où il y avait un immobilisme généralisé», affirme l’analyste politique. Ainsi, une délégation libanaise s’est-elle rendue en Syrie le 4 septembre, une première depuis 10 ans –au moins officiellement–. Emmenée par Zeina Akar, ministre des Affaires étrangères par intérim, l’équipe ministérielle a rencontré le chef de la diplomatie syrienne, Fayçal al-Meqdad, et le ministre du Pétrole, Bassam Tohme, pour débloquer la crise des carburants. Damas s’est ainsi dit «prêt à aider le Liban».
Par l’entremise de cette action, l’influence du Hezbollah sur le Liban serait à son comble.
«Plusieurs fois, Nasrallah avait évoqué l’idée de demander l’aide de l’Iran, mais cela faisait office de simple slogan. Mais quand il a annoncé qu’un navire était en route et que d’autres suivraient, les Libanais ont compris que c’était concret. Selon un sondage local, 67% des Libanais sont en faveur de cette initiative, car elle va toucher les hôpitaux et tous les secteurs publics. Le Hezbollah est le seul parti à agir pour résoudre cette crise», affirme Scarlett Haddad.
Dans le même temps, les Nations unies ont alloué une aide de 10 millions de dollars pour fournir du carburant à plusieurs centres hospitaliers du Liban. «Les Occidentaux donnent principalement aux ONG qui sont des aides plus localisées», commente la journaliste. D’ailleurs, triste podium pour le Liban, le pays du Cèdre est le troisième pays à recevoir le plus d’aide humanitaire, derrière la Syrie et le Yémen. Pour l’année 2020 seulement, Beyrouth a reçu 1,6 milliard de dollars, une enveloppe en augmentation de 45,5% par rapport à 2019.
«De manière indirecte, les dirigeants occidentaux cherchent à contrebalancer l’influence du Hezbollah par le biais d’un maillage humanitaire», analyse Scarlett Haddad.
Le parti chiite ne s’en laisse pourtant pas compter et par l’intermédiaire de ses initiatives aconfessionnelles, il tente de redorer donc quelque peu son image, écornée dans le pays du Cèdre.
Le Hezbollah responsable de tous les maux du Liban?
Et pour cause, «le Hezbollah était au cœur des critiques. Pour de nombreux Libanais, le parti chiite était le seul responsable de la crise», souligne la spécialiste du Liban. En effet, plusieurs événements ont récemment renforcé la marginalisation du parti chiite face aux autres communautés. Un accrochage a eu lieu à Khaldé le 1er août au sud de Beyrouth entre des tribus arabes sunnites et des membres du Hezbollah. Pour éviter une escalade guerrière, le parti a appelé l’armée à rétablir l’ordre. Le 4 août, lors de la commémoration de l’explosion du port de Beyrouth, plusieurs partis libanais ont accusé le Hezbollah d’être responsable du drame en raison du stockage de considérables quantités de nitrate d’ammonium.
Encore quelques jours plus tard, un nouvel incident a provoqué des tensions dans l’ensemble des régions mixtes chiites-druzes. Alors que le mouvement pro-iranien ripostait face à des bombardements israéliens au sud du Liban par des tirs de roquettes sur les positions de Tsahal, l’un de ses véhicules chargés de munitions a été arrêté par les villageois druzes de Shouwayya. Les partisans du Hezbollah ont été malmenés par les habitants qui leur ont confisqué leur matériel.
Et enfin, le 8 août, l’influent patriarche maronite Bechara Raï, dans son sermon hebdomadaire, a rappelé que le Liban devait être neutre et que seul l’État libanais, et non le parti chiite, pouvait décider d’entrer en guerre. Bref, tout laissait croire que le Hezbollah était sur la sellette.
«Pour les ennemis du Hezbollah au Liban, c’est à cause de l’implication du parti chiite en Syrie que nous sommes visés par la loi César, c’est à cause de l’influence iranienne que les Occidentaux nous délaissent et c’est à cause du poids du parti que les pays du Golfe arrêtent leurs investissements au Liban», déplore Scarlett Haddad.
En effet, dans la logique de l’«axe du Mal», Riyad et Abou Dhabi, qui considèrent le Hezbollah comme un parti terroriste, ont drastiquement réduit leurs échanges avec le Liban. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes: les exportations libanaises vers l’Arabie saoudite ont littéralement fondu, passant de 427 millions de dollars en 2014 à 128 en 2018, alors que sur la période de 2003 à 2015, trois pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite, représentaient 76% des projets d’investissement étrangers au Liban.
Un désintérêt qui présente des risques pour ces puissances, le malheur des uns faisant le bonheur des autres.
«Si demain du carburant iranien arrive dans des hôpitaux, dans des stations-service, ça sera une victoire du Hezbollah. Mais même ses ennemis diront qu’il est entrain de prendre la place de l’État libanais. Ça sera sans aucun doute son nouveau défi: prouver qu’il est uniquement dans une démarche d’assistance», conclut Scarlett Haddad.