Cameroun: «La crise anglophone est entrée dans la phase que nous redoutions le plus»

© AFP 2024 ALEXIS HUGUETUn soldat des forcées camerounaises patrouille dans le Sud-Ouest anglophone du pays
Un soldat des forcées camerounaises patrouille dans le Sud-Ouest anglophone du pays  - Sputnik Afrique, 1920, 04.08.2021
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Amnesty international et Human Right Watch (HRW) ont encore averti de l’ampleur de la crise séparatiste au Cameroun. Les deux ONG dénoncent des crimes et exactions commis sur le terrain. Alors qu’il fait toujours autant de victimes, «la limitation de l’information» autour de ce conflit fait craindre sa banalisation.
Que se passe-t-il réellement sur le terrain dans le conflit qui oppose l’armée camerounaise, aux groupes armés séparatistes dans les régions anglophones du Cameroun? Alors que ces affrontements sont de moins en moins au centre de l’actualité, de nouvelles sorties de deux ONG internationales alertent sur l’ampleur des dégâts.
Lundi 2 août, dans une nouvelle note d’information, Human Right Watch (HRW) dénonce de nouveaux abus effectués par les deux camps: «De nouvelles exactions ont été commises dans les régions anglophones du Cameroun par les forces de sécurité gouvernementales et les séparatistes armés, soulignant l’urgente nécessité de protéger les communautés concernées et d’établir les responsabilités dans les crimes commis».
Dans son rapport, l’ONG revient sur quelques cas d’exactions enregistrés en juin et juillet 2021. Parmi les plus tragiques, HRW souligne que les 8 et 9 juin 2021, «des membres des forces de sécurité camerounaises ont tué deux civils, violé une femme âgée de 53 ans, et détruit et pillé au moins 33 bâtiments-des magasins et des logements, y compris la demeure d’un chef traditionnel-dans la région du Nord-Ouest».
Jusqu’à ce 4 août, Yaoundé n’avait pas réagi à ces accusations. Côté groupes armés, le 6 juin, des combattants séparatistes dans la région du Sud-Ouest «ont tué un garçon âgé de 12 ans, et le 1er juillet, un enseignant âgé de 51 ans. Et le 25 juin, des combattants séparatistes de la région du Nord-Ouest ont enlevé quatre travailleurs humanitaires et les ont détenus pendant la nuit», poursuit HRW.

Une «population civile prise au piège»

Fin juillet, Amnesty international dressait déjà dans une enquête, établie sur des témoignages et des images satellite, l’ampleur des destructions dans les régions anglophones. L’ONG révèle aussi que toutes les parties en conflit y commettent «des atteintes aux droits humains et des exactions, prenant ainsi au piège la population civile».
«Dans un cas particulièrement horrible, deux vieilles femmes ont été abattues par des rafales de tirs séparatistes armés; autre cas, des membres de comités de vigilance fulanis (peuls) ont incendié des centaines d’habitations et tué quatre personnes lors d’une terrible attaque », a déclaré Fabien Offner, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty International.
Depuis plus de quatre ans, les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun sont en proie à une violente crise séparatiste. Dans ces territoires, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et les groupes séparatistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes collatérales d’exactions des deux protagonistes. Des parties en conflit qui rejettent constamment la faute l’une sur l’autre, faisant penser, relève Eugène Arnaud Yombo, politologue versé dans la géopolitique du séparatisme et des sécessions, à une «guerre du soupçon, de la propagande et de la désinformation». Le rôle des ONG et de l'ensemble de la communauté internationale, poursuit-il, est justement «de limiter la criminalité orientée vers la population civile, dans un contexte où aucune des parties ne respecte les appels au cessez-le-feu».
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Cependant, décrypte le spécialiste des conflits, ces atrocités et exactions commises de part et d’autre sur le terrain à l’encontre des civils suscitent des interrogations et sont exploitées en fonction des protagonistes. D’une part, Yaoundé, dans sa communication gouvernementale, y voit «l'irresponsabilité et le caractère terroriste des séparatistes et justifie l'usage de la force comme option efficace pour venir à bout de ces séparatistes jugés criminels». D’autre part, les séparatistes y trouvent «un paravent pour justifier le sens de la lutte séparatiste du fait de la violence gouvernementale et du refus de dialoguer».
«Aussi, les entrepreneurs politiques de l'opposition y trouvent du grain à moudre dans leurs combats politiques respectifs. On peut donc dire qu'on a affaire à un rapport de force politique et symbolique, entre les acteurs en conflit, sur l'attribution des responsabilités des crimes contre les civils», conclut Eugène Arnaud Yombo.

«Un conflit dont on s'accommode»

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Si les cas d’exactions sont tout aussi nombreux aujourd’hui que dans un passé récent, beaucoup semblent s’en accommoder à mesure que la situation perdure. Une attitude inquiétante, déplore Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l'ONG Nouveaux Droits de l'homme Cameroun: «La crise anglophone est entrée dans la phase que nous redoutions le plus. Celle d’un conflit dont on s’accommode; une situation anormale qui perdure et qui rentre progressivement dans le subconscient collectif comme quelque chose avec laquelle on doit faire».

«Et pourtant c’est le moment plus que jamais de redoubler d’efforts pour maintenir l’attention sur cette crise (…) Les organisations non gouvernementales doivent continuer sans relâche et malgré l’adversité, à documenter les violations et à impulser des réflexions sur le conflit en zone anglophone de manière permanente», martèle l’experte des droits de l’homme.
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Sur le terrain, la crise s’enlise, faisant des milliers de victimes. Selon le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW) publié en février 2021, ce conflit a déjà fait plus de 3.500 morts (civils et militaires) et provoqué l’abandon de leur foyer de plus de 700.000 personnes. Des milliers d’hommes et de femmes ont besoin d’assistance de toutes sortes. Seulement, et alors que le conflit connaît un regain de violence avec de nombreux drames enregistrés ces derniers jours, HRW dénonce les «restrictions de l’accès humanitaire et des abus visant les travailleurs humanitaires».
«L’accès [aux zones en question] est considérablement entravé et les travailleurs humanitaires ont été victimes d’attaques commises à la fois par les forces gouvernementales et par des groupes séparatistes armés», constate HRW.
Relevant des cas comme la suspension depuis décembre 2020 des activités dans le Nord-Ouest de MSF, accusé de collusion avec les groupes armés locaux, HRW pense qu’il s’agit d’une tentative manifeste de Yaoundé de «limiter les informations faisant état de violations des droits humains par les forces de sécurité et d’empêcher une surveillance internationale de la crise anglophone». Le gouvernement a refusé, poursuit l’ONG, «aux journalistes et aux organisations internationales de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, l’accès aux régions anglophones». De l’autre côté, les travailleurs humanitaires font aussi l’objet de nombreuses attaques et kidnapping de la part des groupes séparatistes armés. Une situation qui peut laisser croire, argue Cyrille Rolande Bechon, à «l’établissement des zones de non droit où le plus fort installe et impose ses propres règles, au détriment de l’indispensable protection des droits de l’homme».
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D’ailleurs souligne, Eugène Arnaud Yombo, les zones de non-droit créées dans ce conflit ne favorisent «assurément pas la formation d’une zone tampon et sécuritaire permettant l'acheminement de l’aide internationale».
«Seule la communauté internationale permettra de réaliser ce dessein. La possibilité que cela se produise est très mince, puisqu'il s'agit visiblement d’une guerre presque oubliée par la communauté internationale», se désole l’analyste.
Dans un rapport publié en 2019, l’ONG Conseil Norvégien pour les Réfugiés (NRC) classait ce conflit comme «la crise humanitaire et de déplacement de personnes la plus négligée au monde». Ce classement du NRC prenait en compte trois critères: le manque de financement pour répondre aux besoins humanitaires, le manque de couverture médiatique et la négligence politique.
D’ailleurs au terme de son enquête, Amnesty international somme la communauté internationale d’engager «publiquement les autorités camerounaises à diligenter sans délai des investigations approfondies, indépendantes et impartiales sur les allégations de violations des droits humains». Mais aussi de veiller à ce que l’aide humanitaire «destinée à répondre aux besoins des personnes touchées par les violences, notamment les réfugiés et les personnes déplacées, dispose des fonds nécessaires».
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