Bientôt des drones kamikazes pour l’armée française? Cette recommandation, qui n’est pas passée inaperçue, figure dans le dernier rapport présenté 7 juillet devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Les auteurs du document appellent, en premier lieu, à «conforter et étendre» la capacité «drones» des forces armées tricolores, en livrant «rapidement» les moyens dont elle a besoin, à mettre l’accent sur les programmes en cours «qui concernent la Marine», mais également à développer des drones «bon marché» et «consommables».
Les cas d’école du Haut-Karabakh et du Yémen
«Le rôle de l’armée est avant tout de défendre le territoire national», réagit au micro de Sputnik l’un de ses co-auteurs, le sénateur socialiste (PS) Gilbert Roger. En somme de faire face à tous types de menaces, y compris celle de l’éventuelle offensive d’une armée adverse. Comme le rappelle le sénateur, les intérêts territoriaux tricolores s’étendent de l’Amazonie à l’océan Pacifique.
Après être parvenu à faire armer les drones fin 2019, suite aux recommandations d’un précédent rapport rédigé avec son homologue Les Républicains (LR) Cédric Perrin, le sénateur PS insiste:
«il faut désormais s’intéresser à de nombreux drones intermédiaires qui peuvent voler à moyenne ou basse altitude et c’était l’objectif de notre rapport.»
Particulièrement présent dans le document présenté au Sénat, le cas d’école du Haut-Karabakh, «qui a montré que des drones à faible coût d’achat pouvaient être eux aussi destructeurs», insiste Gilbert Roger. Lorsqu’après trente ans de gel, éclate à l’automne 2020 ce conflit, les forces arméniennes –pourtant réputées mieux équipées que celles de leurs opposants azéris– sont rapidement submergées tant par les frappes des fameux drones TB-2 turcs que par les assauts des micro-drones de confection israélienne (IAI Harop).
Bien avant de semer la mort au pied du plateau du Haut-Karabakh, ce type de drones, qualifiés de «munitions-rodeuses», s’était illustré en Arabie saoudite. Mi-septembre 2019, les images de deux raffineries en flammes, aux portes de Riyad, ont fait le tour du monde. À l’origine de ces frappes, des drones-suicide venus du Yémen voisin, un affront d’autant plus terrible pour les Saoudiens que ces sites étaient protégés par des batteries antiaériennes Patriot. L’histoire se répètera en mars 2021 au cœur même de la capitale du royaume wahhabite.
Lutte anti-drones: les lasers mettent les rapaces au chômage
Pour faire face à cette évolution des doctrines en matière d’usage militaire des drones, le rapport, qui appelle à «se préparer à la guerre des drones», fait sans surprise du développement de moyen de défense anti-drones une «priorité».
«Tout le monde a bien compris désormais que les drones font partie du paysage de la défense du territoire, maintenant il faut mettre le paquet», souligne Gilbert Roger.
La problématique de se protéger face aux incursions de drones n’est également pas nouvelle et, malgré certaines moqueries dans les médias visant ce rapace de l’armée française qui s’attaquait aux enfants plutôt qu’aux drones, l’Hexagone n’a nullement à rougir de ses moyens. D’ailleurs, le même jour qu’était présenté le rapport au Sénat, Florence Parly assistait à la démonstration par la DGA d’un tout nouveau laser, qui a détruit en vol un microdrone. Une première en Europe, souligne la presse tricolore.
Cette neutralisation en direct d’un drone par un laser français (société Cilas) avait été annoncée fin juin à l’occasion du Paris Air Forum par le porte-parole de Ballard. Ce dernier rappelait qu’en août 2019, le sommet du G7 fut sécurisé par des systèmes MILAD (Moyens Mobiles de Lutte Anti-Drones) made in France. Baptisé BOREADES et développé par le groupe CS Communication & Systemes, ce premier système intégré tricolore de lutte contre les drones est capable de détecter, identifier, poursuivre et neutraliser (par leurre et brouillage) les aéronefs, tout en localisant leurs télépilotes.
Retards à l’allumage: carton rouge pour la coopération européenne?
Il faut dire que la France fut l’un des pays précurseurs en matière de drones dès les années 1980. Comment donc expliquer une telle prise de retard dans le développement de versions armées de ces engins? Du côté de la chaîne franco-allemande Arte, on met sur le dos d’industriels français «frileux» le fait que le pays aurait «raté le coche des drones armés». Un avis que semble partager la Cour des comptes, qui –début 2020– tirait également à boulets rouges sur les pouvoirs publics. N’est-ce pas également la volonté de ces derniers d’attendre une «solution européenne» qui aurait favorisé cette prise de retard?
Une attente entérinée par Paris au «tournant des années 2000», rappelle le rapport, menant à l’achat de drones israéliens. Le tout suivi de l’«échec du programme EuroMALE lancé en 2004, puis l’enlisement du programme franco-germano-espagnol de drone MALE Talarion» menant cette fois-ci à l’achat de drone américains. Aujourd’hui encore, l’Eurodrone est dans l’impasse, tout particulièrement à cause de Berlin qui, en prime, refuse l’idée que ce drone puisse être armé.
«On le rappelle pour dire qu’il faut être capable de regarder comment surmonter cela et ne pas rajouter de la complexité à la complexité», bafouille le sénateur, qui met en avant la manière dont les parlementaires de la chambre haute seraient parvenus à débloquer la situation sur le SCAF. «Les parlementaires, par la qualité de leur travail, amènent parfois des solutions et mettent aussi les grands industriels face à leurs responsabilités», insiste le sénateur, qui dément que les intérêts français aient pu être bradés dans ce dossier.