Qu’elle semble loin, l’époque du père fondateur des Émirats arabes unis, lorsque le cheikh Zayed ben Sultan Al Nahyan qualifiait Israël d’«ennemi» des pays arabes. Cinq décennies plus tard, c’est tout sourire que le nouveau ministre des Affaires étrangères israéliennes, Yair Lapid, inaugure avec une flopée d’officiels émiratis et israéliens la première ambassade israélienne dans le Golfe.
Un petit moment d’histoire qui contribue à cimenter une amitié fraîche de neuf mois, au moins officiellement. «Le Moyen-Orient est notre foyer et nous sommes là pour y rester. Nous appelons donc tous les pays de la région à le reconnaître et à venir nous parler», a déclaré le chef de la diplomatie israélienne.
«La paix entre Israël et les Émirats est très solide et profonde. Cette alliance est en effet partie pour durer», prédit l’historien et spécialiste du Moyen-Orient, Roland Lombardi, au micro de Sputnik.
Plusieurs raisons permettent selon lui de tirer cette conclusion, mais un indicateur phare justifie cette position: l’alliance a survécu aux deux semaines de guerre entre Israël et le Hamas. Cette quatorzaine de conflit intense, les plus violentes depuis l’été 2014, aurait effectivement pu faire voler en éclats cette nouvelle alliance, sous la pression populaire de la rue arabe. Il n’en a rien été.
«D’une pierre, deux coups»
«Pourquoi ne le feraient-ils pas?» interroge d’ailleurs Roland Lombardi, en référence à la solidification de l’alliance. Les deux parties ont tout à gagner d’entretenir des relations apaisées, voire amicales. Concernant les Émiratis, «ils font d’une pierre deux coups», estime notre interlocuteur. «Ils améliorent leurs relations avec Israël, ce qui veut dire d’importants échanges commerciaux, technologiques, de renseignements, et très certainement des échanges militaires à venir.»
Montrer patte blanche à Washington
Mais surtout, cette normalisation, et surtout ses progrès rapides, permet à certains dirigeants, qui n’étaient pas dans les petits papiers de la nouvelle Administration américaine, «de montrer patte blanche à Washington», analyse l’historien.
En effet, les États-Unis ne peuvent que se féliciter qu’Israël, son allié le plus proche au Moyen-Orient, accroisse enfin le nombre de ses partenaires dans son voisinage, et cimente ces amitiés.
«Les États-Unis continueront à travailler avec Israël et les Émirats arabes unis pour renforcer tous les aspects de nos partenariats et œuvrer à la création d’un avenir plus pacifique, plus sûr et plus prospère pour tous les peuples du Moyen-Orient», a déclaré le secrétaire d’État américain en réponse à l’inauguration de cette nouvelle ambassade.
Pour Israël, avoir un nouvel ami dans un voisinage où beaucoup souhaitent sa mort est un pas en avant énorme vers sa survie durable. De plus, «cet accord ne se fait pas uniquement sur le dos des Palestiniens», estime Roland Lombardi. Et ce, même si l’Autorité palestinienne, à l’image des différents dirigeants palestiniens, a condamné l’inauguration de cette ambassade.
«Garanties» demandées sur la question des annexions
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a qualifié les accords d’Abraham d’«illusion» et a affirmé que les puissances coloniales avaient «implanté Israël dans cette région tel un corps étranger afin de la fragmenter et de la garder faible», relate WAFA, l’agence de presse palestinienne officielle. Ceux-ci voulaient voir leurs demandes concernant la souveraineté de la Palestine et l’occupation israélienne abordées avant la signature de ces accords.
«Avant de signer cet accord, les Émiratis ont demandé des garanties à Israël sur la question de l’annexion de la Cisjordanie. Garanties qu’ils ont obtenues et qui étaient douloureuses pour Benyamin Netanyahou, qui en a récemment payé le prix électoralement auprès des colons d’extrême droite», rappelle Roland Lombardi.
Là aussi, le spécialiste du Moyen-Orient avec qui Sputnik s’est entretenu tient pourtant à relativiser. Selon lui, si cette nouvelle alliance a bien des intérêts communs visant à contenir une politique régionale agressive de l’Iran, elle n’en est pas pour autant un nouveau rempart régional contre les ambitions de Téhéran.
«Cette alliance renforce les deux pays, mais pas nécessairement contre l’Iran. Et ce, car les Émirats ne sont pas aussi hostiles que ça au géant iranien. Ils craignent plus les Frères musulmans que Téhéran», explique-t-il.
Ce dernier conclut d’ailleurs son propos en expliquant que «pendant les sanctions américaines, les banques émiraties ont sauvé les avoirs de certains dirigeants iraniens.»