«Que les opérateurs saoudiens aient été formés à un moment par les instructeurs américains qui appartenaient à des sociétés paramilitaires privées, cela n’engage absolument pas l’État et le gouvernement», affirme Alain Rodier.
Le quotidien, qui cite plusieurs documents et des sources proches du dossier, affirme que la formation a été dispensée par la société de sécurité Tier 1 Group, basée en Arkansas, qui appartient à la société de capital-investissement Cerberus Capital Management. Amorcée en 2014 sur la base d’une autorisation accordée par l’Administration Obama, la formation s’est poursuivie au moins jusqu’au début du mandat Trump.
«Ces problèmes devraient perdurer»
Dans un document fourni à l’équipe du 45e Président américain, Louis Bremer, un cadre supérieur de Cerberus, confirme que Tier 1 Group a bien fourni une formation aux agents saoudiens, mais insiste sur le fait qu’elle était «de nature protective» et «sans aucun lien avec leurs odieux actes postérieurs.» Il ajoute que sa société «condamne le meurtre horrible de Jamal Khashoggi.»
Des incidents comme la formation d’individus commettant après d’horribles crimes peuvent ainsi arriver, et des titres de presse peu flatteurs tels que «Assassinat de Khashoggi: des membres du commando saoudien formés aux États-Unis» peuvent être publiés. Toutefois, les différents pouvoirs politiques et militaires auraient bien plus à perdre en y mettant fin qu’en laissant s’essouffler la tempête médiatique.
Un rapport bénéfice-risque en faveur des SMP
Alain Rodier pense «extrêmement froidement» que les quelques incidents diplomatiques qui peuvent découler de certaines de ces formations ne sont en rien comparables aux bénéfices que représentent les services offerts par ces sociétés paramilitaires. Aussi bien pour les États-Unis, «que pour les autres États», précise-t-il. L’ancien officier de renseignement dresse d’ailleurs un parallèle éclairant: «si un pilote saoudien bombarde sans discernement un village au Yémen, peut-on tenir responsable celui qui a formé le pilote?» Pour lui, la réponse est systématiquement non.
Au contraire, «elles apportent d’importants avantages.» Que ce soit à l’étranger ou sur le sol américain, lorsque l’un des combattants de ces armées de l’ombre est tué, cela ne fait pas un scandale. Un avantage considérable auprès de l’opinion publique, souligne Alain Rodier, mais ce n’est pas le seul:
«Ils sont aussi beaucoup moins chers qu’un soldat engagé pour une carrière, dont il faudra payer la retraite. Sur le court terme, il est plus intéressant d’embaucher l’un de ces sous-traitants.»
«Ce sont des sociétés de conseil qui vendent des formations clés en main», ajoute-t-il. Qu’il s’agisse de la protection de personnalité, d’un démineur ou d’un spécialiste des drones, «la formation est ciblée et limitée dans le temps.»
«C’est beaucoup plus économique qu’une formation par un militaire employé par l’État», assure le directeur adjoint du CF2R.
D’ailleurs, «ces sociétés sont financées en grande partie par des fonds étatiques, sinon complètement.» Pour ces raisons, Alain Rodier est intimement convaincu que jouer le jeu des sociétés paramilitaires en vaut largement la chandelle pour les différents États qui se servent de celles-ci.
Khashoggi démembré
L’incident avait provoqué une considérable crise diplomatique et terni l’image du royaume, mais les liens privilégiés de l’Arabie saoudite avec les États-Unis avaient permis d’étouffer l’affaire sans que le prince héritier Mohamed Ben Salmane, dirigeant effectif du royaume et commanditaire, selon la CIA, du meurtre, ne soit inquiété. Et ce, sous l’administration Trump aussi bien que sous l’administration Biden.