Assassinat de Jamal Khashoggi: les menaces américaines envers Mohammed ben Salmane, beaucoup de bruit pour rien?

© Sputnik / Accéder à la base multimédiaLe prince héritier Mohammed bin Salman assiste à une réunion avec le président russe Vladimir Poutine au palais royal saoudien à Riyad, en Arabie Saoudite.
Le prince héritier Mohammed bin Salman assiste à une réunion avec le président russe Vladimir Poutine au palais royal saoudien à Riyad, en Arabie Saoudite. - Sputnik Afrique, 1920, 01.03.2021
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Après des mois de mises en garde, les États-Unis n’ont pas sanctionné le prince héritier saoudien MBS pourtant directement impliqué selon la CIA dans l’assassinat de Jamal Khashoggi. Un «recalibrage» a minima qui s’explique par la nouvelle politique régionale de Washington vis-à-vis de l’Iran, d’après le spécialiste du Golfe Olivier Da Lage.

La montagne qui a accouché d’une souris. Le rapport de la CIA sur la responsabilité des autorités saoudiennes dans la mort du journaliste Jamal Khashoggi n’a pas débouché sur des mesures punitives contre Mohammed ben Salmane.

«La nouvelle n’est pas si mauvaise que ça, puisque les sanctions épargnent le prince héritier ce qui peut surprendre d’ailleurs compte tenu des propos très durs que tenait le candidat Biden et du compte rendu du rapport», commente à Sputnik Olivier Da Lage, rédacteur en chef à Radio France internationale (RFI) et spécialiste de la péninsule arabique.

En effet, Joe Biden et son entourage ont multiplié ces derniers mois les sorties médiatiques annonçant le refroidissement des relations de Washington avec Riyad, tant durant la campagne que dans les premiers jours de la présidence Biden.

«Une petite tape sur la main»?

Après avoir annoncé en octobre la volonté de revoir sous sa présidence la relation entre les deux pays, Biden, fraîchement élu, a dès les premières heures de sa présidence suspendu la livraison d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. «Il est typique au début d'une administration d'examiner les ventes en cours pour s'assurer que ce qui est envisagé est quelque chose qui fait avancer nos objectifs stratégiques et notre politique étrangère», déclarait alors Antony Blinken, le nouveau secrétaire d'État américain.

Par la voix de Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche, l’on apprenait quelques semaines plus tard que le Président Biden ne s’adresserait plus au prince héritier MBS dans les affaires bilatérales entre les deux pays, mais à son père, le roi Salmane, actuel monarque du royaume.

​Un positionnement stratégique et diplomatique, sur fond de défense des droits humains, qui pouvait laisser penser que la publication du rapport de la CIA incriminant directement MBS dans l’assassinat sauvage du journaliste Jamal Khashoggi, aurait accouché d’importantes mesures prises pour sanctionner d’une manière ou d’une autre le jeune prince saoudien. Il n’en a pourtant rien été.

«Certains ont comparé ça à une petite tape sur la main, ce n’est pas entièrement faux, même si dans l’absolu ce n’est pas une bonne nouvelle pour MBS qui ne se rendra probablement pas aux États-Unis ni même en Europe avant un moment. Les sanctions que l’on pouvait imaginer n’ont pas été prises», constate Olivier Da Lage.

C’est surtout l’image de Mohammed ben Salmane qui en patine, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Arabie saoudite. La publication du rapport «confirme ce que l’on savait déjà. À savoir que MBS était le donneur d’ordre de l’assassinat de Khashoggi», poursuit-il.

Trois saoudiens retirés de la liste des individus sanctionnés

La réaction de Washington au document de la CIA sur le meurtre de Khashoggi suscite plusieurs questions. À la suite de la sortie du rapport, des restrictions de visas pour 76 Saoudiens, soupçonnés de harcèlement de militants et de journalistes, ont été annoncées.

Jamal Khashoggi - Sputnik Afrique, 1920, 01.03.2021
Trois noms disparaissent mystérieusement du rapport de la CIA sur le meurtre de Khashoggi

Trois d’entre eux ont d’ailleurs disparus de cette liste depuis sa publication. Le bureau du directeur du renseignement national (ODNI) a refusé de préciser pourquoi les noms figuraient dans le rapport initial et quels rôles, le cas échéant, ces personnes auraient pu avoir dans le meurtre de Khashoggi. «Nous avons mis un document révisé sur le site Web parce que l'original contenait à tort trois noms qui n'auraient pas dû y être inclus», a déclaré un porte-parole de l'ODNI à CNN.

Commentant l’absence de sanctions envers le prince héritier, la porte-parole de la Maison-Blanche a fait savoir qu’il existait «des moyens plus efficaces» que les sanctions directes pour éviter que ce type d’événements ne se répète.

De surcroît, le rapport n’a pas apporté de nouvelles informations par rapport à celles qui ont fuité dans la presse il y a deux ans. Il n’a pas fourni de preuves directes de l’implication de MBS dans l’assassinat de Khashoggi, mais plutôt un raisonnement logique selon lequel la centralité du prince héritier dans l’appareil sécuritaire saoudien fait qu’il ne pouvait pas ne pas être au courant et donc ne pas être le commanditaire de l’assassinat.

​De son côté, Riyad a nié en bloc les conclusions du document de la CIA: «Le gouvernement d'Arabie saoudite rejette totalement les conclusions fausses et préjudiciables contenues dans le rapport concernant la direction du royaume et ne peut les accepter en aucun cas», affirme le ministère saoudien des Affaires étrangères dans un communiqué.

Négociations avec l’Iran

«À quoi bon dévoiler ce document qui fâche le régime saoudien sans satisfaire ses opposants choqués par la pusillanimité du Président américain?», s’interroge dans une tribune pour l’Opinion le géopolitologue Jean-Dominique Merchet.

Pour Olivier Da Lage, si Washington n’a pas pris de sanctions directes contre MBS, c’est parce que les États-Unis ne veulent pas totalement aliéner l’allié saoudien alors que s’annoncent de difficiles négociations avec l’autre mastodonte de la région: l’Iran. Tout comme les récents bombardements américains en Syrie, «il faut replacer tout cela dans le contexte de la future négociation avec l’Iran», explique-t-il.

«Il vaut mieux avoir l’Arabie saoudite à bord pour entamer ces négociations et de préférence une Arabie saoudite un peu affaiblie par rapport à ce qu’elle était à l’époque Trump. Elle ne semble actuellement pas en situation de s’opposer aux États-Unis, du moins c’est ce qu’il semble. Et c’est une façon aussi d’avoir les monarchies du Golfe avec les USA dans ce qui s’annonce être une négociation très difficile», estime le rédacteur en chef de RFI.

De plus, les jours du roi Salmane, actuel interlocuteur préférentiel de Joe Biden, sont comptés. Et à moins d’un retournement de situation extraordinaire, le prochain roi d’Arabie saoudite sera bien MBS. Soucieuse de maintenir en place le pacte du Quincy, l’alliance scellée en février 1945 entre le président Roosevelt et le roi Ibn Saoud, il est peu probable que la nouvelle administration américaine coupe totalement les ponts avec le jeune prince héritier, faute de meilleur interlocuteur.

«Il ne semble pas non plus que les Américains aient la possibilité ou même le désir d’entamer des manœuvres pour changer la ligne de succession. Donc au bout du compte, ils auront à faire un jour ou l’autre à MBS quand il sera devenu roi puisqu’il a assuré son pouvoir à l’intérieur du royaume. C’est en tout cas l’hypothèse la plus probable aujourd’hui», conclut Olivier Da Lage.
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