L’annonce est tombée, comme un couperet, dans la soirée du vendredi 2 avril. L’agence américaine Standard and Poor's (S&P) a révisé à la baisse ses notations en devises locales et étrangères à long et à court termes concernant le Maroc. Emboîtant le pas à Moody’s et Fitch ratings, deux autres grandes agences mondiales de notation financière, S&P a dégradé la note de «BBB- / A-3» à «BB + / B» avec perspectives stables. Cette décision fait passer le royaume en catégorie spéculative et lui fait perdre à nouveau son «Investment Grade». Une catégorie correspondant aux notations situées entre AAA et BBB-, en raison du faible niveau de risque de défaut de la dette et de défaillance des obligations.
Africa is speculative? Standards & Poor’s rating agency has just lowered Morocco’s sovereign rating from “BBB-” to “BB +”, with a stable outlook, thus moving into a speculative category. With that Botswana is the only African country left outside the speculative category. pic.twitter.com/0Xfc2sxwF6
— Carlos Lopes (@LopesInsights) April 5, 2021
«Avec le basculement du Maroc de "BBB-" à "BB +", le Botswana devient le seul pays africain qui reste en dehors de la catégorie spéculative», fait remarquer sur son compte Twitter l'économiste et ancien dirigeant de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, Carlos Lopes.
Dans un long communiqué publié sur son site web, l’agence de notation américaine S&P global ratings explique cette rétrogradation par la contraction économique du royaume et par un déficit budgétaire croissant, tous deux liés à l’impact de la crise sanitaire du Covid-19 sur les finances publiques et extérieures du pays. Un déficit dont la réduction sera probablement «lente», estime d'ores et déjà l'agence.
Le coût de la pandémie
Standard and Poor's s'est également déclarée «préoccupée» par une augmentation des garanties de l'État marocain, ce qui pourrait, selon elle, «exacerber davantage la pression budgétaire».
«La révision à la baisse de la note souveraine du Maroc reflète notre vision de la détérioration de la position budgétaire de ce pays, caractérisée par des déficits budgétaires plus élevés que prévu sur la période 2021-2024, la dette publique nette atteignant environ 72% du PIB», soulignent les analystes de S&P dans leur communiqué du 2 avril.
Selon leur calcul, le déficit budgétaire est passé à 7,7% du PIB alors que l'économie s'est contractée d'environ 6,7% en 2020, tirée par une baisse de «presque toutes les composantes de la demande globale compte tenu des effets simultanés de la pandémie sur les demandes extérieure et intérieure».
D’après ce professeur de l’Institut national de statistique et d’économie appliquée de Rabat, le Maroc pourrait même éprouver des difficultés en matière d’accès aux emprunts externes, lors des prochaines levées sur les marchés internationaux, par rapport aux opérations précédentes. À noter que les investisseurs institutionnels internationaux ne peuvent acheter que des obligations investment grade, en raison du faible niveau de défaillance qu’elles présentent.
«La décision de S&P est prise sur la base de la situation macroéconomique actuelle du pays qui est marquée essentiellement par un niveau d’endettement historique (72% du PIB), par des risques éventuels de non-soutenabilité de la dette publique [qui s’élève à 374,3 milliards de dirhams (environ 30 milliard d’euros)] à la suite de la baisse des recettes fiscales et la hausse du déficit public, en plus des risques liés à la réserve en devises internationales. Il y a lieu de noter tout de même que cette situation de hausse des dettes publiques est aujourd’hui un phénomène international, qui concerne aussi bien les pays développés, en développement et même les pays émergents. La pandémie a porté le coup de grâce à une croissance mondiale déjà molle», détaille Driss Effina en analysant les motifs de l’abaissement de la notation marocaine par l’agence Standard and Poor's et Moody’s, et avant elles par Fitch.
Pour cet économiste, le pari aujourd’hui est de savoir si le Maroc va pouvoir revenir à des taux d’endettement convenables.
Braver la prime de risque
En dépit de cette appréciation à la baisse pour les années 2021-2024, S&P prévoit dans son analyse une «croissance économique d'environ 5% et un retour au niveau de PIB de 4% en moyenne, comme en 2019» pour le Maroc. Cependant, ce rebond dépendra «du moment où les effets de la pandémie de Covid-19 s'atténueront dans le pays et chez ses principaux partenaires commerciaux», précise Standard and Poor's.
«Les perspectives stables du Maroc reflètent notre attente selon laquelle une reprise économique, parallèlement à de nouvelles réformes structurelles économiques et budgétaires, contribuera à contrebalancer les pressions budgétaires», rassure l’agence de notation américaine.
Driss Effina reste optimiste quant à l’évolution de la situation économique du pays. Selon lui, le royaume dispose des fondamentaux requis pour revenir à des taux d’endettement plus rassurants et convenables.
«Les IDE ou les investissements étrangers en portefeuille poursuivent leurs évolutions normales aujourd’hui. C’est déjà un bon signe. Il faut noter que la situation est générale, et par conséquent les capitaux étrangers vont sûrement s’adapter à cette situation historique. S’il y a rapidement un rebond économique cette année, techniquement, le taux d’endettement baissera. Les indicateurs macroéconomiques en général se rétabliront comme avant. On aura donc un déficit budgétaire normal, des réserves en devise soutenues par un solde positif du compte courant, et un niveau normal de la dette publique. Tout cela pourrait justifier un redressement de la notation de S&P à terme», conclut le président du Centre indépendant des analyses stratégiques au micro de Sputnik.
Une chose est sûre, cette nouvelle rétrogradation n’est pas pour ravir Abdellatif Jouahri. Le directeur de Bank Al-Maghrib (la banque centrale du Maroc) avait déjà réagi virulemment, en octobre dernier, aux mauvaises notes de Moody’s et Fitch. Furieux, il avait considéré la décision de ces agences de priver le Maroc de son «investment grade» comme «non professionnelle» et «non éthique».